Partant du Rapport de Felwinn Sarr et Bénédicte Savoy produit sur demande du Président français Emmanuel Macron, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne et l’universitaire camerounais Alexandre Kum’a Ndumbe III offrent deux regards croisés sur la problématique de la restitution du patrimoine culturel africain, à l’occasion d’une conférence lors de la 28ème édition du Salon international de l’éditeur et du livre du Maroc, à Rabat
Un chiffre, pour donner l’idée de l’ampleur du pillage dont le continent africain a été victime: le Cameroun, avec lequel le Burundi partage les cicatrices coloniales puisque les deux pays ont été sous occupation allemande jusqu’en 1916 (dès 1884 pour l’un et 1903 pour l’Urundi), le Cameroun donc « compte à lui seul 40.000 objets d’art conservés en Allemagne« . Ce chiffre que donne l’universitaire Kum’a Ndumbe III est à mettre en parallèle avec les 69.000 objets d’art africain qui dorment sous le seul toit du Musée du Quai Branly… Même si aucune recherche exhaustive n’a été faite à propos du patrimoine culturel burundais se trouvant en Allemagne ou en Belgique, il va sans dire qu’il est conséquent, et surtout significatif, à l’image du débat sur la localisation des restes du tambour Karyenda, supposé entreposé quelque part en terre belge.

Des objets donc massivement arrachés de l’Afrique pendant la période de la conquête et des violences coloniales, pour décorer les musées ethnographiques qui « ont été à l’origine des réceptacles du fruit des expéditions militaires punitives, nourris par ailleurs par les campagnes de civilisation religieuses comme l’a été au Cameroun la Mission suisse de Bâle. » rappelle Kum’a Ndumbe III.
De fait, le terme même d’objet d’art pose problème: ce qui a été exhibé pendant des décennies dans les vitrines occidentales comme relevant de l’art, provenait avant tout des espaces africains de culte et de pouvoir, du quotidien.
Ainsi, la culture muséographique occidentale va altérer les fonctions religieuse, politique, usuelle de ces objets pour les réduire à l’unique état artistique. « C’est pourquoi, à la place du mot objet, l’on préfère désormais utiliser le terme anglais artifact« , précise le philosophe sénégalais Bachir Diagne. D’autant plus que parfois, les « objets » en question dans les musées sont des restes humains…
Face au refus de restituer…
Pour illustrer la problématique de la restitution, le cas du « Tangué de Lock Priso » conservé au Musée des 5 Continents de Munich. Objet de pouvoir religieux chez les chefferies Sawa, au Cameroun, cet artefact est pris en butin à Douala en 1884 par une expédition militaire allemande punissant le roi Kum’a Mbappe alias « Lock Priso » pour avoir refusé de signer le traité de protectorat avec les envahisseurs allemands.
114 ans plus tard, le petit-fils du Roi, le Prince et universitaire Alexandre Kum’a Ndumbe III entamera le processus de demande de restitution du bien familial. La réponse, négative, sera sèche: « Les lois de la Bavière ne peuvent pas permettre de vous rendre cet objet, mais nous pouvons vous faire une copie à votre charge », répondra le président de l’État allemand.
Face au refus catégorique de restitution, le Prince Kum’a Ndumbe III va faire fabriquer à Douala un nouveau Tangué et inviter les rois du Cameroun pour des cérémonies de transfert du pouvoir cultuel dans le nouveau symbole communautaire: « Le Tangué de Munich est devenu une copie de celui de Douala ».

Ce qui s’est passé avec le « Tangué » rappelle un refus similaire de restitution des Bronze du Bénin au Nigéria par le British Museum à Londres, qui héberge ces plaques saisies par des soldats britanniques au cours de l’expédition punitive dans le royaume du Bénin en 1897: « En 1977, le Nigéria dit de toutes les façons, ceux qui ont créé cet art sont toujours vivants, et ce sont eux la matrice créatrice de ces objets. Gardez votre copie, nous allons demander aux descendants de ces créateurs de les recréer. Ce geste a été philosophiquement important, puisqu’il consistait à dire au British Museum, ce que vous avez gardé a perdu toute aura et n’est plus qu’une copie. Nous allons recréer ces objets, et précisément parce que nous les recréons, nous rappelons que la force vitale à l’origine de leur existence est toujours nôtre ».
Accepter même le mot « restitution » fait peur
Le philosophe sénégalais Bachir Diagne, racontant ce moment, reviendra sur la difficulté même pour les détenteurs de patrimoine culturel africain de parler de « restitution »: « Le terme de circulation que des directeurs des musées occidentaux ont essayé d’engager n’a pas lieu d’être. Ils sont conscients que le mot restitution a une charge légale telle que dès lors qu’on l’utilise, il va signifier que les biens en possession ont été mal acquis, ce qui implique une décision mécanique de leur restitution aux espaces qui les ont vus naître. Il faut donc précisement insister sur l’usage du mot restitution. Une fois qu’on a restitué, alors on peut remettre ces artifacts en circulation« .
Restituer donc, mais à qui? Pour le professeur Diagne, « Sarr et Savoy dans leur Rapport au Président Macron ont tracé une réponse, en rappelant que le monde actuel vit dans un système de relations inter-nationales. Comme l’on a affaire à des Nations, il n’appartient pas à un Directeur de Musée de se choisir le destinataire de tel objet ou tel autre. Il faut restituer le patrimoine culturel à l’État, et celui-ci s’occupera de déterminer à qui le rendre ».
On notera qu’en matière de patrimoine culturel et de mémoire, le Burundi, protectorat de la Belgique de 1916 à 1960, a reçu en septembre 2022 une délégation du Parlement belge dans le cadre de l’examen du passé colonial de la Belgique. Une mission qui n’a pas abouti à grand chose.
