Peu visible, la violence symbolique porteuse souvent des mots dégradants, peut dégénérer en violence physique lorsqu’elle quitte la sphère de conservation et de conquête du pouvoir à l’approche des échéances électorales, pour se transformer en messages de haine entre membres de différents groupes. Comment l’appréhender pour mieux s’en prémunir. Plus de détails avec Patrice Sabuguheba, sociologue et professeur à l’université du Burundi.
Qu’est ce qui caractérise la violence symbolique ?
La violence symbolique est liée aux messages qui stigmatisent l’autre. Et généralement celui qu’on stigmatise, qu’on épingle, qu’on étiquette ; on l’identifie comme un animal, comme un mal quelconque jusqu’à le prendre comme tel. Et là, le message donné en lui-même, véhicule la violence. Il y a la violence que dans un premier moment se met dans les esprits des gens et les gens essaient de capitaliser cette stigmatisation quitte à ce que, dans un premier moment, il y a un mécontentement, il y a un refoulement.
Que vise cette violence ?
Elle vise à évincer les concurrents ou les détenteurs des postes afin d’y accéder. Par exemple un leader religieux sera traité de Satan par ses opposants auprès des autres membres. On veut qu’il soit noircit. Et là demain ou après-demain, celui qui est en train de stigmatiser ce leader propose qu’il soit remplacé et c’est ça l’objectif.
Et au niveau politique ?
Au niveau politique c’est la même histoire. Si un leader est stigmatisé, si le leader est attaqué, celui qui l’attaque, qui le stigmatise, qui l’appelle animal, qui l’appelle maladie, c’est qu’il veut ternir son image vis-à-vis de ses sympathisants et pour que demain ou après-demain il va montrer son dossier destitution de ce leader qu’il a longtemps terni, dont l’image est déjà ternie.
Et qu’est-ce qui se passe lorsque cette stigmatisation descend dans la masse ou bien s’observe entre simples sympathisants de différents leaders ?
Oui il arrive que cette stigmatisation arrive dans la masse populaire, dans les sympathisants des leaders religieux, économique ou politique, ce qui va rappeler le passé douloureux, des mauvais actes posés par le passé par le même processus de stigmatisation. Quand il y a mécontentement, refoulement après, il suffit d’un petit élément de déclencheur pour que les communautés visées, les groupes visés se rentrent dedans. L’homme est patient mais la patience a des limites.
Mais de violence symbolique à la violence physique, il y a un pas. Que peuvent être les éléments déclencheurs de ce passage à l’acte ?
Les éléments déclencheurs viennent dans certaines circonstances politiques. Il y a la chaleur qui monte, il y a la tension qui monte, il y a les émotions qui s’échauffent et là, à un moment donné, l’élément déclencheur arrive. Les gens commencent à se rappeler de ce qui s’est passé en 1960, de ce qui s’est passé en 1993, de ce qui s’est passé longtemps avant où dans un passé proche pour dire maintenant plus jamais et quand on dit plus jamais, les groupes en conflit se rentrent dedans. C’est le tissu social qui est finalement déchiffré.
Pour dire qu’il y a un lien entre ce genre de messages et la prolifération de message de haine ?
Effectivement le lien est que le message donné, échangé entre les chefs, entre les leaders. La prolifération se fait par une communication soit lente soit rapide et ça dépend des circonstances mais tôt ou tard ce qui est dit à Bujumbura, à Gitega, à Ngozi, à Makamba va se retrouver à Ruyigi, à Karusi dans un coin, sur une colline, dans une zone et les gens commencent à se poser la question de savoir comment de tels messages de haine, de violence se sont infiltrés jusque dans les coins sous les bananeraies. Et là, c’est parce qu’il y a eu des proliférations et des fois altération des messages, altération parce que dans un premier moment c’était un message simple mais parce que ça passe de bouche à oreille et que ça a été transformé par des gens, chacun selon son objectif, et il y a l’altération du message et on va dire ce monsieur cette fois ci on ne va pas dire que c’est un homme mauvais, on va l’appeler animal, on va l’appeler maladie, ce qui se transforme en message de haine par altération, par échange de bouche à oreille, des fois d’une façon lente, des fois d’une façon rapide.
Alors quel est le moment favorable à l’utilisation de ce genre de discours ?
Ce genre de discours s’observe souvent quand certains événements majeurs approchent. Pour par exemple, les hommes d’église dans certaines églises, ils peuvent dire le mandat de ce pasteur va prendre fin cette année et celui qui va le remplacer c’est qui et celui qui va le remplacer il va commencer ternir l’image de son concurrent et qui devrait se faire élire comme lui. S’il s’agit des hommes politiques là c’est clair, il y a la campagne qui approche, la campagne législative, la campagne présidentielle et là les intérêts sont majeurs. Comme les intérêts sont majeurs, la corruption commence par là. Celui qui se met dans un coin pour insulter son opposant, il profite de ce moment chaud où la température monte où les émotions ne sont pas maitrisées, où la masse est agitée et là, il rappelle les mauvais événements du passé et pour dire mettez-vous en marche pour que notre victoire ne soit pas volé et là tous les moyens sont bons pour dire du mal, pour comparer un leader à un animal féroce, pour comparer les leaders à une maladie grave.
Quel est l’impact de ce langage basé sur la violence symbolique sur la relation communautaire ou les membres de différents groupes surtout dans un pays post conflit ?
Dans les pays post-conflits, le danger est que ce langage qui appelle à la violence rappelle le passée et le passé sombre, le passé teinté des guerres et des guerres qui malheureusement n’ont pas effacé les séquelles. Et là c’est un rappel. Ça devient un rappel du passée sombre, la violence symbolique sera changée en violence cette fois-ci physique. Le tissu social va être déchiré, le sang va être versé, les intérêts divergents qui étaient cachés, cette fois-ci vont s’étaler au grand jour et on va constater que le leader du groupe qui a commencé les messages de haine et de violence dans son groupe avait finalement pour objectif la conquête du pouvoir. Il faut donc rappeler à l’ordre ces leaders pour qu’ils sachent comment communiquer, garder à l’esprit les intérêts qu’ils visent et garder aussi à l’esprit les messages qu’ils donnent.
Quel comportement ces communautés qui reçoivent ce genre de messages devraient-ils adopter ?
La communauté est construite par une pyramide. Du sommet à la base il y a des échelons et à différents échelons, il faut que les gens sachent comment se maîtriser. Le leader reste leader, il doit être conséquent parce que le message de haine, le message de violence peut arriver jusqu’à la base déjà altéré, déjà chargé émotivement, ce message va faire en sorte que les gens se rentrent dedans et c’est la guerre qui commence. Tous les membres de la communauté, à ses différents niveaux, il faut qu’ils sachent décortiquer ces messages pour dire finalement celui-là est un menteur, celui-là il n’a pas voulu dire ceci. Quoi qu’il en soit ce n’est pas une raison de nous rentrer dedans, de nous blesser de nous combattre pour des intérêts qui se trouvent au sommet où seuls les leaders vont être les premiers bénéficiaires et la population devient finalement victime. Une fois cette prise de conscience, la population va se comporter de manière à minimiser ces messages, à dire non à ces messages de violence et de haine et à dire oui au message de justice, de paix, de réconciliation et de développement.