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« Taxi vélos », ces compagnons ignorés

Ils sont les chouchous de citadins sans moyens pour le transport public motorisé. A Bujumbura, ils « dépannent » ceux qui se rendent là où les bus ne vont pas sans toutefois prendre un taxi, et ces derniers temps, les rapports entre la société et ce métier connaissent de ces volte-faces impensables il y’a quelques années.

Aux premières lueurs qui annoncent l’imminence du lever du jour, Claude, vingt-huit ans, se lève de son lit de fortune qu’il partage avec ses trois amis dans le quartier de Jabe. Un rituel qui rythme chaque matinée: il se signe, lève ses yeux vers le ciel et dit l’habituelle prière de tous les matins: « Seigneur bénis cette journée, fais que je ne sois victime d’un accident et protège mois de tomber dans les bras d’un policier mal intentionné ».
Les hommes en bleu, le jeune homme en éprouve une peur de même couleur: « Il n’est pas rare qu’un policier t’arrête sans motif sérieux et confisque ton vélo. Pour reprendre possession de ta bicyclette, tu dois verser une amende sans toujours recevoir une quittance ». De quoi exhorter une aide de l’au-delà.

Direction, l’imbuga, le parking où il retrouve ses frères de métier. Une vraie potinière où pour tuer l’ennui, on jase sur tout et rien dans l’attente d’un client qui peut surgir de nulle part. Pour se l’arracher, c’est en vitesse de rodéo que ceux qui se taquinaient tantôt, se précipitent vers lui et lui adressent, sourire aguicheur aux lèvres, un velouteux « Dushika he ? ». Le prix convenu, le taxi vélo enfourche sa bécane. Et la place au parking, on doit bien plonger la main dans sa poche pour l’avoir: « Tu peux payer même jusqu’à cinquante milles pour avoir droit de cité », révèle Claude.

Un microcosme à moult réalités

A force de les voir se faufiler dans les labyrinthes des voies qu’ils maîtrisent comme leurs poches, leur présence devient un détail banal de notre quotidien. Mais à voir de près, c’est un monde bien particulier. Au point de susciter l’attention des universitaires. L’équipe de recherche Suburbu (« Subsistance urbaine et mobilisations du travail au Burundi, 20e-21e s. »), un collège de chercheurs en grande majorité composé de professeurs œuvrant à l’Université du Burundi s’y est penché pour scruter cet univers avec des lunettes de sociologues.

Et les conclusions de leurs recherches dévoilent la complexité de ce métier, loin des stéréotypes que l’on pourrait s’en faire à prime abord. « Ces engins sont devenus des moyens de transport rémunéré depuis les années 2000 d’abord dans la ville de Bujumbura et ses environs, avant de gagner ensuite d’autres villes secondaires comme Gitega, Ngozi, Rumonge et Rutana qui font l’objet de nos investigations », peut-on lire dans le document final de l’enquête de la Suburbu menée sous la direction du professeur Nicolas Hajayandi.

Métier d’avenir ?

Dans sa progression, ce métier pratiqué en grande partie « par des jeunes désœuvrés, déscolarisés, lauréats de l’enseignement secondaire, anciens domestiques, démobilisés de l’armée ou des groupes rebelles », note le rapport, a progressivement constitué l’appât qui attire les jeunes vers les villes, accentuant le phénomène de l’exode rural. Au départ, vu comme un métier des jeunes rebuts du système scolaire, il est intéressant de remarquer que des jeunes scolarisés se convertissent en « taxi vélos ». « Dans un parking où nous enquêtions, nous avons vu des jeunes prendre leurs vélos et attendre des clients juste devant le lycée où ils ont terminé leur cycle du secondaire sans complexe aucun », se rappelle le Dr Hajayandi.

Une réalité qui ne scandalise point un jeune étudiant présent lors du séminaire de lecture présentant le document final, qui affirme avoir des camarades qui alternent leurs présence en classe et celles sur le parking « pour essayer d’arrondir les fins des mois avec une bourse qui fond comme beurre au soleil devant les exigences que comporte la vie estudiantine ».

« Taxi vélo », métier d’avenir dans un monde où ce n’est pas demain la veille de l’éradication du chômage, la bête noire qui hante incessamment les esprits des jeunes ? La question mérite d’être posée. Quant à la réponse, time will tell…

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