Les deux moments essentiels de l’année (umwaka) étaient rythmés par les deux principales vieilles cultures africaines, respectivement la récolte de l’éleusine vers avril-mai et les semailles du sorgho vers décembre.
Dans le premier cas, « l’année » était une pâte faite avec les prémices de l’éleusine et consommée en famille: on disait alors qu’on « mangeait l’année » : kurya umwaka. Chaque maison utilisait les premiers épis récoltés sur ses champs ou de préférence échangés contre ceux récoltés au même moment par des voisins ou obtenus d’un « client » – par le troc. Mais la pâte, elle-même, restait une affaire strictement familiale.
La mère la préparait et présentait à son époux une grosse boule placé sur une spatule (Umuhimba-bweze ou Umudahara). Le père de famille la découpait en morceaux qu’il distribuait alors à sa femme puis à ses enfants suivant leur âge (tous devaient être obligatoirement présents) en leur souhaitant une « bonne année » et en veillant de prononcer une formule d’imprécation contre leurs éventuels ennemis : Uwu mwaka muwudye ntubadye. La cérémonie était suivie d’un repas très apprécié où on mangeait de la pâte, du lait frais (imfyufyu), des courges, et de l’épinard (isogo) préparé au beurre (le plat appelé ibirunge).
L’aspect sacré et prioritaire de la fête apparaît aussi dans l’usage de bois spéciaux pour les baguettes servant à couper la pâte: de l’érythrine (umurinzi) et du chénopode (umugombe), deux des arbres composant le bosquet sacré de Kiranga, le héros divin du rituel de kubandwa. Enfin une union sexuelle des deux parents était requise dans la nuit qui précédait ce grand jour. Fécondité des hommes et fertilité des champs d’éleusine devaient aller de pair.
Signification de Umwaka
L’umwaka, que nous traduisons littéralement par « année », était une réalité organique plus complexe associée étroitement aux cultures de l’éleusine et du sorgho. Voici les définitions recueillies auprès de vieillards de Kiganda le 17 juillet 1971 : « Nous disions que c’était une bonne « année » quand 1’eleusine était mûre. Nous mangions alors ‘l’année’, la pâte. Pour le début de « l’année », c’était lorsqu’on semait le sorgho, le jour de l’umuganuro. ‘Umwaka’ mangée en avril-mai (mu mpeshi) grâce à l’éleusine etait l’année des Tutsi et Hutu, et celle de décembre (Kigarama) avec du sorgho, était l’année du Mwami (le Roi). »
Avant de revenir sur ce double niveau, lignager et monarchique, constatons que le concept temps s’enracine dans le processus bio-agronomique de certaines plantes. Il est intéressant de voir que « l’année » n’est pas un segment lunaire, mais un mouvement progressif qui débute avec la fin de la saison sèche.
Le vocabulaire employé par les témoins interrogés à Gishubi est l’un des plus revelateur : « On sentait (kwosa, flairer) ‘l’annee’, disent-ils, et ensuite les baganuza installés à Gikonge veillaient sur son arrivée (kwarama, kwaramira) ». Ces images font bien de l’umuganuro une naissance ou plutôt une renaissance. En octobre, « l’année arrive » (umwaka uraje), en décembre « elle est arrivée » (umwaka washitse).
L’umwaka est donc une force qui se développe chaque année parallèlement aux pluies, dont la naissance est proclamée par le Roi lors des semailles du sorgho, et qui est consommée cinq à six mois plus tard en famille sous forme de pâte d’éleusine.