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Re-penser l’école du 21ème siècle : écoute, orientation et insertion professionnelle

Le mardi 24 janvier 2023, le monde célébrait la 5ème Journée Internationale de l’Education sous le thème « Investir dans l’humain, faire de l’éducation une priorité ». Objectif : mobiliser le maximum d’acteurs étatiques, privés, société civile pour une prise de conscience collective sur rôle de l’éducation dans la construction d’un monde meilleur.

Pour une société qui sort difficilement des crises sociopolitiques majeures, il est impératif de (re)penser l’école, le canal de la formation civique et morale de la jeunesse, ainsi que le moteur de l’éducation pour la paix et le développement, comme le veut d’ailleurs l’UNESCO. Dans cette situation, une approche d’éthique morale qui privilégie l’écoute active et l’orientation socioprofessionnelle, sur tous les niveaux de la formation, se révèle pertinente.

La crise est matérielle, mais aussi morale

Au Burundi, de l’initiative missionnaire à l’engagement étatique, l’école présente une histoire plutôt riche, marquée par des ruptures mais aussi des continuités en termes de réponses à la demande sociale. Si les Burundais et l’Etat ont compris l’intérêt de l’école et ce qu’elle représente en termes de statut social, on sait déjà qu’elle a toujours été difficilement accessible pour le Burundais moyen, aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif. Car une école moderne exige tout un ensemble de moyens, financiers, humains, politiques, …bien coordonnés pour des objectifs bien précis.

Ce qui n’est pas toujours le cas. Les défis sont avant tout d’ordre financier et matériel. On reconnait que le budget alloué au secteur de l’éduction a considérablement augmenté passant de 322,1 milliards de BIF pour l’année budgétaire 2020/2021 à 353,7 milliards de BIF pour l’année budgétaire 2021/2022. Toutefois, constate-t-on, les investissements dans ce secteur restent très faibles : 69,1% des budgets du secteur de l’éducation en 2021/2022 ont été utilisés pour payer les salaires. Les investissements n’ont pris que 8,4% de l’ensemble du budget du ministère.

C’est dans ce contexte que la question des classes pléthorique, connue par tout le monde, reste cruciale ; et cela malgré le programme de construction de nouvelles écoles à travers tout le pays depuis 2005. En 2020, la moyenne était de 69 élèves par classe de fondamental. Mais il faut aussi savoir que la même année de 2020, 14.5% des enfants de 7 à 12 ans n’étaient pas scolarisés. Malgré les efforts du gouvernement relatifs à la mise en place des infrastructures et la mesure de la gratuite des frais scolaires, permettant l’augmentation de l’effectif des élèves du secondaire de plus de 50% des effectifs sur une dizaine d’années, tout le monde ne va pas à l’école.

Dans le contexte d’une croissance démographique très élevée, il a toujours été difficile de mettre en place le concept de « Tous à l’Ecole ». A ce niveau, les défis persistent si on considère les cas de non scolarisation et d’abandons scolaires. Aussi, les taux de redoublement sont restés à un niveau élevé. En 2020, les statistiques sur l’éducation affichent un taux de redoublement de 29,8% alors que la moyenne des autres pays de la sous-région est inférieure à 10%. Il en est de même du faible taux de réussite pour entrer à l’enseignement supérieur, qui est de 35,4% en 2019 et de 39 % en 2020. Les problèmes de l’insuffisance des supports pédagogiques et didactiques, des laboratoires et des bibliothèques, ont été aussi soulevés lors des Etats Généraux de l’Education de juin 2022 comme étant à l’origine de la baisse progressive du niveau des apprenants.

Plus encore, l’inadéquation formation-emploi qui aggrave le problème du sous-emploi accélère la démotivation de tout le monde (parents, élèves… ) envers l’école. Cette question est, on ne peut plus en douter, cruciale. Elle accentue la crise morale que connait l’école dans la mesure où celle-ci ne joue plus pleinement son rôle de catalyseur d’ascension sociale. Parfois, le discours de « création d’emplois par les jeunes eux-mêmes » ne correspond pas aux réalités socio-économiques et finit par devenir un slogan, tout simplement une rhétorique politique. Emerge donc un dialogue de sourds ou un jeu de quiproquo, qui ne profite à personne. Il suffit d’écouter ce que disent les gens à propos de l’école et de sa finalité, bien sûr en dehors du cadre officiel, pour comprendre l’angoisse du public en général. Pour rompre à ce cercle de plus en plus vicieux, une prise de conscience collective est, plus que jamais, une nécessite.

Intégrer le service écoute, orientation et insertion professionnelle

L’UNESCO considère que « seule l’éducation tout au long de la vie, dès les premières années de la vie, est à même de briser le cycle de la pauvreté, d’améliorer la santé, de préparer les individus à des emplois décents offrant des possibilités de reconversion et de perfectionnement, et d’atténuer la crise climatique ». Comment donc sortir de l’impasse que connait Burundi ? Selon les conclusions des Etats Généraux de l’Education, il faut « veiller à la cohérence du continuum des curricula depuis le préscolaire à l’enseignement supérieur en impliquant tous les partenaires (Vision à long terme) ».

Pour y arriver, une prise de conscience nationale est une urgence pour, d’abord, définir les priorités nationales à court comme à long termes et, ensuite, mobiliser l’ensemble des moyens nécessaires (matériels, humains, …). Faut-il donc un programme de suivi-évaluation annuel inclusif, comprenant les principaux intervenants dans ce domaine. Car, l’école du 21ème siècle se veut prévisible et réactive en fonction des évolutions et des exigences technologiques, numériques et des réalités sociales, aussi bien au niveau communautaire, national et global. C’est pourquoi on doit avoir le courage de revisiter chaque fois les programmes d’enseignements, à une courte échéance.

Mais il faut, et surtout, restaurer la confiance en l’école pour lui rendre sa grandeur, sa gloire, son utilité sociale. Une nouvelle approche, plus sociale, plus proche voire communautaire peut se révéler efficace. Elle nécessite une écoute active, un suivi psychosocial, pas seulement pour la petite enfance ou aux cycles inférieurs, mais également à l’enseignement supérieur. En effet, dans le contexte de la régression progressive l’encadrement parental, l’école devait être outillée pour jouer son rôle d’éducation morale de la société.

L’approche de formation-coaching permettrait à l’enfant de retrouver et d’accroitre l’estime de soi, très nécessaire, pour se lancer et réussir dans la vie. Pour une société qui connait autant de fragilité, l’école devait être un lieu de socialisation sûre, de détection des talents et des compétences multiples. Ainsi, l’enfant a besoin d’un accompagnement rapproché tout au long de sa formation pour faire de bons choix pour sa vie scolaire et professionnelle.

A propos de l’enseignement supérieur, faut-il, par exemple, améliorer le service aux étudiants en incluant l’option orientation et insertion professionnelle. Ce service serait à l’écoute des étudiants dès le moment du choix des filières de formation jusque plus tard dans la vie professionnelle. Qu’on ne se trompe pas, tout le monde n’est pas suffisamment informé pour choisir le domaine qui répondrait mieux à ses aspirations !  Ce service orientation et insertion professionnelle serait en contact permanant avec les autres secteurs professionnels aussi bien publics que privés afin de relayer les informations actualisées aux apprenants (pendant et après la formation) en termes de job (étudiants), de stages, d’emplois, de bourses d’études, etc. Comme chaque intervenant dans le secteur voire tout le public en général sera informé, par exemple, sur le taux d’employabilité des lauréats de telle ou telle autre université selon les filières de formation. Ces différentes innovations seraient possibles dans le cadre des partenariats entre les écoles/universités et les autres acteurs économiques et sociaux.

On peut dire, en bref, qu’il y a toujours l’ « audace d’espérer » et ainsi pouvoir faire face aux défis. Il est donc très nécessaire de repenser l’école et l’éducation du 21 è siècle pour leur redonner de la grandeur, pour en faire un outil de la formation d’une société résiliente : d’abord réconciliée avec elle-même et ensuite capable d’affronter les défis du monde présent et à venir. C’est pourquoi un nouveau « contrat social » à travers une reconnaissance et une responsabilité sociale doit se sceller autour de l’école. L’approche viserait à guider l’apprenant en termes d’«acteur possible » de l’avenir de sa communauté locale, nationale et globale, avec toutes les exigences en termes de savoir, savoir-faire et savoir être. Une telle mission se présente, à priori, difficile. Mais, elle pourra être possible avec bien sûr de la volonté et de la détermination pour le long terme car c’est dans les bonnes graines d’aujourd’hui que se calculent les fruits délicieux de demain.

Par Dr Éric Ndayisaba, enseignant-chercheur

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