Dans la commune Ntega de la province de Kirundo, 5 femmes ont été tuées par leurs maris en une année, dont 4 en seulement deux mois, de décembre 2022 à janvier 2023. Un phénomène décrit par la population, une épidémie, qui par ailleurs déplore la non implication de la justice contre les auteurs de ces meurtres à répétition. Reportage.
Mardi 21 février 2023. Il fait beau à Ntega. Une fine pluie vient de tomber après deux semaines d’un soleil de plomb. Au petit centre se trouvant tout près du chef-lieu de cette commune, des hommes et des femmes s’entremêlent et partagent des bouteilles dans des cabarets de vin de banane et dans des bistrots des boissons des produits Brarudi. Ils boivent comme s’il n’y avait rien à craindre.
A voir l’ambiance qui y règne, nous avons la curiosité de savoir comment les maris et les femmes cohabitent dans leurs ménages. Une femme au teint clair se présente tout de suite et prend la parole : « Ici, nous sommes considérées comme des animaux. Nos maris nous tuent comme si nous étions des rats, des mouches sans valeur. Celles qui ne sont pas tuées, subissent des violences de toute nature. » Et de s’inquiéter : « Rendez-vous compte qu’en seulement un an, plus de 5 femmes auraient été tuées par leurs maris. C’est déplorable ! »
Béatrice Niyonkuru, présidente du Forum des femmes dans la commune Ntega ne dira pas le contraire. Elle fait savoir que les tueries et les tentatives de tueries des femmes sont devenues une épidémie. Mais, elle confie qu’il y a aussi quelques cas où les femmes maltraitent leurs maris.
Cette activiste indique que 5 cas d’homicides conjugaux se sont observés sur 4 collines dont Gatwe : 2 femmes tuées, et puis respectivement Mwendo, Ntega et Monge où une femme a été tuée sur chaque colline. Les enquêtes effectuées par l’administration prouvent avec exactitude que toutes ces femmes ont été tuées par leurs maris.
Des femmes tuées …
C’est au centre Mihigo que nous avons rencontré François Habineza dont la sœur a été tuée par son mari. Larmes aux yeux, il nous raconte que sa sœur Bernadette Nibigira, 43 ans, qui vivait sur la colline Mwendo, a été tuée le jour où les autres étaient dans la célébration de la fête de Noël.
François Habineza explique : « Son mari est devenu infidèle. Il a commencé à gaspiller les récoltes et à vendre les propriétés. Le foyer est entré petit à petit en disputes et des menaces s’y sont ajoutées. La femme ne pouvant plus résister, elle a décidé alors de fuir le foyer pour retourner à la maison de notre père. Son époux se mariera quelques jours après avec une deuxième femme ».
M. Habineza précise que Bernadette est allée porter plainte au Tribunal de résidence : « La justice a bien joué son rôle. La propriété que son mari avait vendue a été mise sous le contrôle de Bernadette afin de l’exploiter pour subvenir aux besoins de ses enfants. » Son mari qui ne voulait pas que sa propriété soit mise entre les mains de sa première femme, décida alors de rompre la relation avec sa deuxième femme. Et puis, poursuit le frère, il est allé supplier l’administrateur pour que ce dernier puisse convaincre Bernadette de retourner dans la maison familiale.
Bernadette a accepté d’y retourner, car, elle désirait que ses enfants puissent grandir en famille : « Quand elle est arrivée à la maison, elle a été poignardée au niveau de la poitrine. Subitement, elle est tombée par terre. Son mari lui a fendu le sein, l’a encore poignardée au niveau du bassin et au niveau des yeux », se rappelle nerveusement François tout en sanglotant. La femme est morte laissant 4 enfants qui sont aujourd’hui chez leur tante paternelle.
L’auteur de ce meurtre s’est lui-même rendu au commissariat de Kirundo et a été emprisonné, comme l’indique la même source.
La population raconte également l’horreur qui s’est déroulée sur la colline Gatwe. Une femme, dégoutée des querelles qui se faisaient toujours entendre dans le foyer, a décidé de fuir le foyer et de retourner chez son père. Son mari, qui s’était déjà marié avec une autre femme, est allé à la maison de son beau-père au cœur de la nuit. « Il a creusé dans les fondations de la maison, a enlevé les briques et s’y est introduit. Il a tué sa femme, et a pris le large. » Mais, cet homme a été attrapé et mis sous les verrous, comme le font savoir les gens rencontrés sur cette colline.
Ce n’est pas tout. Pierre Claver Mbanzabugabo, administrateur de Ntega, fait savoir que sur la colline de Monge, un militaire en congé a tué sa femme. Ce soldat avait une seconde femme à Bujumbura. Mais, il voulait vendre les propriétés se trouvant sur sa colline natale ; mais il a rencontré une farouche opposition de sa première épouse qui lui refusa la signature de vente. En colère, le soldat a tué son épouse.
Cet administratif fera savoir également que sur la colline Ntega, il y a eu un cas d’une femme tuée par son mari. Il affirme que 5 femmes au total ont été tuées dans une période ne dépassant pas une année, dont 4 en seulement 2 mois : de décembre 2022 à janvier 2023. Le constat, d’après l’administrateur communal, tous les hommes qui ont tué leurs épouses avaient des concubines.
… et des plaintes contre la justice
Minani, habitant de Ntega, se plaint de voir le Tribunal de résidence faciliter les divorces des conjoints, sous prétexte qu’il y a des comportements bizarres. Il s’inquiète qu’en cas de divorce, le Tribunal de résidence partage aux couples divorcés les biens qu’ils possèdent : les propriétés, les maisons, la récolte… « Si l’homme a une deuxième femme, il est obligé de laisser la première femme dans sa maison afin de continuer à éduquer les enfants. Dans ce cas, il arrive que l’homme développe un mauvais esprit arguant qu’une épouse divorcée n’a pas le droit de gérer les biens et les propriétés qu’elle n’a pas achetés. Il préfère se débarrasser d’elle. D’où l’homicide conjugal. »
L’homicide dans la commune de Ntega ne date pas d’hier. Et l’impunité qui y règne actuellement inquiète la population, qui accuse la justice d’être tolérante face à ces tueries répétitives. Depuis 2006, des homicides s’y sont observés. D’après les habitants de la commune Ntega, les auteurs de ces meurtres ont été attrapés et emprisonnés. « Après quelques années, ces malfaiteurs ont été libérés de la prison », déplore une femme de Ntega.
La population demande à la justice d’appliquer la punition convenablement. « Si un auteur de meurtre est attrapé, qu’il subisse une peine à perpétuité comme il est prévu dans le code pénal. Sinon, si un malfaiteur est emprisonné, et qu’après x temps on le libère, les autres ne peuvent pas craindre l’homicide. »
Se référant au rapport qu’il a fait en collaboration avec les chefs des collines de la commune Ntega, M. Mbanzabugabo confie que 39 auteurs de meurtre des années antérieures ont été libérés de la prison. « Ce qui est déplorable ! Cette impunité fait que tous ceux désirant faire un mal, le commettent, car, ils savent qu’ils ne seront pas sérieusement punis. »
Selon Jean Baptiste Kwizera, conseiller socio-culturel du gouverneur de la province de Kirundo, les auteurs de meurtre qui ont été libérés ont trompé la vigilance des autorités judiciaires lors de la grâce présidentielle. Mais, il indique que l’administration à la base les surveille et s’ils continuent de se méconduire, ils seront attrapés et emprisonnés de nouveau.
Les causes d’homicides conjugaux sont nombreuses
La dilapidation des biens familiaux faite soit par l’homme, soit par la femme, le concubinage de la part des hommes ou des femmes, la polygamie, la polyandrie, l’ivresse, des conjoints qui s’accusent de sorcellerie ou d’empoisonnement, … telles sont les principales causes des violences dans les foyers qui d’ailleurs entraînent les homicides conjugaux, comme le fait savoir Immelde Nyabuhinja, assistante sociale du Centre de Développement Familial et Communautaire (CDFC).
Cette assistante indique que ce sont les femmes en grande majorité qui subissent des violences conjugales. Mais, il y a aussi des hommes qui en subissent car, souligne-t-elle, certains hommes fuient leurs ménages à cause des comportements inappropriés de leurs épouses ou des hommes sont battus par leurs femmes et leurs enfants, etc.
La majorité des hommes accusent leurs femmes qu’elles prétendent les dominer et leur donner des ordres comme si elles étaient les chefs de ménage : « En aucun cas, une femme ne pourra dominer l’homme. Mieux vaut la tuer et être emprisonné qu’être dominé par une femme », confie un homme de la colline Ntega. « Vivre dans une prison est beaucoup plus préférable que vivre dans un mauvais foyer (Urugo rubi rurutwa n’agasho). Car, en prison, on est nourri et si on a de l’argent on fait du commerce et la vie continue comme d’habitude », renchérit un autre.
Dans cette commune de 37 collines regroupées en 4 zones ayant une population avoisinant 150 milles personnes, l’administration a pu cibler les ménages à risque de violences conjugales qui sont plus de 500. L’objectif de l’administration locale est de chercher des ONGs qui peuvent sensibiliser à la bonne cohabitation dans les foyers, afin d’éradiquer les cas d’homicides conjugaux qui ne cessent de surgir.