Le Gouvernement Burundais a adopté, le 15 juin dernier, un projet de loi portant délimitation des provinces, communes, zones, collines ou quartiers. Même si la mesure est saluée par la société civile, le professeur Pascal Rwankara estime qu’il y a risque d’inconstitutionnalité…
Dès l’annonce de l’adoption de ce projet de loi par le Gouvernement, les réactions n’ont pas tardé. M. G., vivant en zone Rohero n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, rien ne presse et cette annonce est une fuite en avant : « Le plus urgent n’est pas à mon avis de réduire ou agrandir telle ou telle autre entité vue que le Gouvernement reconnait que même si elle était votée, cette loi entrerait en vigueur dans trois ans. Le plus urgent est de régler le manque d’énergie, d’accroitre la production agricole, etc. » Et de marteler que ce projet de loi ne vient que perturber les esprits des gens pour rien.
Tout en reconnaissant qu’une telle loi n’a rien de nouveau car les découpages administratifs ont toujours existé, un autre habitant de la zone Kamenge (nord de Bujumbura) dit craindre un éloignement exagéré de certains services administratifs : « Nous l’avons vu avec la délimitation des communes urbaines de la mairie de Bujumbura lorsqu’il s’est agi de trouver le bureau communal. Il s’avère qu’il est un peu éloigné de certains habitants de notre commune alors qu’avant tous les documents étaient accessibles au bureau de la zone. C’est bien de reformer mais des mesures accompagnatrices qui facilitent la population doivent être édictées.»
Pour d’autres à l’instar de K.M., vendeuse de farine de manioc en zone Buyenzi commune urbaine de Mukaza, la nouvelle délimitation ne pose aucun problème : « L’important n’est pas le nom de l’endroit où vous êtes nés ni même sa taille. Si ce changement améliore ma vie, tant mieux. C’est le contraire qui poserait problème. »
Une administration proche des administrés
Ce point de vue est partagé par des sources au ministère de l’Intérieur pour lesquelles la nouvelle délimitation territoriale, une fois acceptée, permettra la mise en œuvre de la politique nationale de décentralisation, avec à la clé, une administration de proximité au service du citoyen. En outre expliquent les mêmes sources, cette loi facilitera l’harmonisation avec les organisations administratives des pays de la sous-région : « Actuellement si un gouverneur d’une province tanzanienne située à la frontière avec le Burundi veut rencontrer son homologue pour parler des questions transfrontalières, il rencontre une délégation de quatre ou cinq gouverneurs en même temps. Vous vous imaginez ! » Bien plus, avancent nos sources, cette loi permettra la création des entités territoriales financièrement viables, une diminution des charges de l’Etat envers les communes et une augmentation de l’assiette fiscale.
Quant aux inquiétudes soulevées par certains habitants, les mêmes sources les balaient d’un revers de main : « C’est le contraire qui va se passer car la décentralisation est difficile à appliquer à la lettre actuellement car certaines communes n’ont pas assez des ressources. » Or, le nouveau découpage a tenu compte de la viabilité administrative et financière des 5 provinces tout en oubliant pas que les communes ont été augmenté. » Et de conclure que la nouvelle délimitation permettra une meilleure accessibilité des services de proximité.
Cet avis est également partagé par Faustin Ndikumana, président de la PARCEM pour qui, le pays pourrait vivre une révolution économique tout en profitant de ces grandes agglomérations : « Dans un pays comme le Burundi, avoir 18 provinces et 119 communes sur une superficie de 27. 834 km² occasionne des coûts énormes. » Raison pour laquelle beaucoup de communes ne sont pas viables au niveau administratif et économique actuellement : « La nouvelle délimitation permettra de changer la donne. »
Le principe de la hiérarchie des normes n’a pas été respecté
Pour le Dr Pascal Rwankara, constitutionaliste et professeur d’Universités, le problème n’est pas la nouvelle délimitation territoriale car des reformes du genre ont toujours existé. C’est sur le plan juridique et par rapport au respect de la loi que le juriste dit être sceptique : « La première des choses à faire sans entrer en détails est la correction de l’intitulé dudit projet de loi même car il a été incorrectement formulé en étant appelé projet de loi organique alors que cette matière est en principe régit par une loi ordinaire. »
En matière légistique, soutient-il, le principe de la hiérarchie des normes opère une distinction très nette entre une loi organique et une loi ordinaire. Or, dans le cas d’espèce, l’article 3 de la constitution est parfaitement clair : « Le Burundi est subdivisé en provinces, communes, zones et collines et toutes autres subdivisions prévues par la loi. Leurs organisations et fonctionnements sont fixés par la loi. Elle peut en modifier les limites et le nombre. »
De manière générale, précise le professeur, une bonne loi entendue dans son sens large est caractérisée par deux critères essentiels : la clarté et la pérennité : « Par clarté, le législateur doit éviter -autant que faire se peut- la conception, l’élaboration, la rédaction, l’adoption et la promulgation d’un texte législatif dont certaines dispositions sont ambiguës ou équivoques ; et qui peuvent, en conséquence susciter des polémiques et des confrontations éventuelles. »
Par pérennité, poursuit-t-il, le législateur vise l’objectif que la loi puisse régir pendant longtemps une situation juridique pour les générations futures : « Cet impératif législatif permet de proscrire des lois pléthoriques et a durée éphémère, voire tout simplement des lois inutiles. »
Obligation de réviser la loi communale et le code électoral
Et de suggérer deux préalables à la mise en place d’une nouvelle délimitation administrative telle que souhaitée par le gouvernement. Premièrement : la nécessité de concorder avec la loi organique régissant les communes : « A supposer que cette nouvelle loi soit promulguée, sans que la loi relative à la décentralisation territoriale soit revue, il y a un risque majeur que certaines des dispositions des deux lois deviennent purement inconstitutionnelles. » Par ailleurs, estime M. Rwankara, il est capital que cette nouvelle soit du niveau d’une loi organique pour que le principe de la hiérarchie des normes soit respecté.
Deuxièmement, l’obligation de réviser le Code électoral. Parallèlement à la nécessite de revoir la loi communale, soutient le constitutionaliste, force est de constater que le Code électoral devra également subir certaines retouches. Pour rappel, cette nouvelle délimitation territoriale aura un impact certain et significatif sur le nombre des sénateurs, des députes, des conseillers communaux et collinaires ; le fichier électoral doit donc établir de nouveaux rééquilibrages relatifs aux nouvelles circonscriptions électorales.
Analyse
Risque d’aboutir au résultat inverse
Comme on s’en aperçoit, le découpage administratif est une matière prévue constitutionnellement par une loi ordinaire à l’instar du changement de la capitale, de la détermination des langues officielles, etc.Ainsi, l’inconstitutionnalité de la loi sur la nouvelle délimitation territoriale serait avérée sur deux niveaux : la matière de législation de cette loi et l’incompatibilité de celle-ci avec les deux autres lois organiques à savoir loi communale et le Code électoral, comme démontré par le professeur Pascal Rwankara.A titre illustratif, l’article 270, alinéa premier de la loi communale dispose : « La commune ainsi que d’autres collectivités locales de la République sont créées par une loi organique ». Enfin et pour rappel, une loi organique est caractérisée par trois critères : une matière prévue par la constitution, un vote à une majorité spéciale ou qualifiée et une vérification de conformité à la Constitution par arrêt de la Cour constitutionnelle : « Si un des trois critères manque, la loi n’est pas organique ; elle est placée au rang de loi ordinaire. » L’autre question qui se pose est le sortdu mandat actuellement en cours pour les élus de 2020, si la nouvelle loi est promulguée avant 2025. Toutefois et pour autant que l’on puisse en apprécier la portée et la conséquence, la prudence commanderait que des dispositions transitoires soient soigneusement prévues pour régler cette problématique délicate. Somme toute, si l’on considère que la finalité d’une bonne décentralisation territoriale est de permettre que les pouvoirs publics soient plus proches des administrés, on doit reconnaitre que ce projet de loi risque d’aboutir au résultat inverse si les choses demeurent en l’état.