Se soucier de l’autre en cherchant à comprendre son ressenti, ses préoccupations, est une arme efficace contre la fabrication et à la propagation des messages de haine, explique le psychologue Alexis Ndayizigiye. Et cela passe en premier lieu par l’éducation…
Qu’est-ce qu’on peut comprendre par une empathie cognitive dans une période post-conflit?
L’empathie cognitive, c’est la capacité qu’a un individu à comprendre, à ressentir les expériences affectives d’autrui, de se mettre à la place de l’autre, de percevoir ce que l’autre ressent et aussi d’entrer dans la conscience de l’autre pour apprécier, pour se laisser influencer et changer sa perception de la situation présente. Par rapport à la période post-conflit que vous évoquez, malheureusement pendant le conflit, l’empathie des gens est à son niveau le plus faible, ce qui influe sur leur capacité cognitive. Mais une fois rentrés dans la période post-conflit même, leur capacité cognitive augmente au fur à mesure que s’organisent des activités de reconstruction de la paix, de sensibilisation sur les causes et les conséquences des conflits.
Quelle est l’importance de l’empathie cognitive ?
L’empathie cognitive pousse les individus, malgré différences, à percevoir les autres comme des personnes qui possèdent également des idées, des pensées, des émotions. Elle permet à l’individu d’être dans la peau de l’autre, ce qui le pousse à ressentir la douleur ou bien la joie de l’autre avant d’agir. Pour les jeunes par exemple, souvent objets de manipulations, quand il y a quelqu’un qui a tendance à les manipuler, grâce à l’empathie cognitive, ils ne sont pas facilement influençables. Ils résistent donc à toute sorte de manipulation parce qu’ils perçoivent immédiatement les pensées, les objectifs de l’autre, malgré ce qu’on leur fait miroiter. Ils perçoivent directement ce qui est en train de se faire, les objectifs ou les tendances de ce manipulateur. De plus, l’empathie cognitive réduit la haine au niveau de certains individus, elle renforce les capacités de résilience de tout individu face à différentes manipulations.
Vous parliez tantôt des situations où cette empathie cognitive est faible. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui il y a des cas où le niveau de l’empathie faible. Par exemple en période des combats chez les militaires et chez les combattants ou bien les parties qui sont au front, l’empathie n’est pas vraiment très élevée. Ils ne parviennent pas à comprendre, à digérer, à supporter toute personne qui n’est pas de leur côté. Donc c’est très difficile. Il y a des situations dans lesquelles les individus n’ont pas cette empathie à un niveau satisfaisant. L’autre exemple s’observe chez les politiques en période électorale qui n’arrivent à digérer les idées de leurs adversaires même lorsque celles-ci sont meilleures que les leurs.
Quelles sont les conséquences qui peuvent se manifester en cas d’absence de l’empathie cognitive dans une communauté ?
Au niveau des couples, cela peut déboucher sur des divorces. C’est la conséquence du manque d’empathie cognitive. Dans la communauté, on observe un manque criant de tolérance : les parents ne tolèrent pas les fautes, leurs enfants ne tolèrent pas les comportements ou les mésententes de leurs parents. Au niveau des partis politiques, les jeunes ne parviennent pas à digérer les incompréhensions au niveau social ou économique. De plus, la manipulation augmente au niveau communautaire, religieux ou partisan. Malheureusement cette manipulation touche beaucoup plus les jeunes adolescents.
Et au niveau individuel ?
Au niveau individuel, le manque d’empathie cognitive débouche souvent sur l’agressivité, l’anxiété, la dépression, la dureté, l’insensibilité à la douleur de l’autre, la propagation des messages de haine, des conduites de se faire du mal, l’addiction aux drogues et stupéfiants, etc.
Et comment encourager les membres des différents groupes à adopter cette empathie cognitive ?
La famille, les organisations de la société civile, les confessions religieuses, les politiques devraient dénigrer tout message de haine lancé par des manipulateurs. Mais cela commence avec l’éducation des enfants. Même lorsque des messages de haine sont lancés, quand la famille a cultivé auprès de ses enfants les idées de percevoir l’autre comme étant une personne avec des idées, des émotions, il est facile de ne pas faire attention à cette haine véhiculée.