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Société

Promesses non tenues, confiance érodée

Les attentes non satisfaites nourrissent une frustration collective.

Malgré les engagements répétés des autorités, la réalité peine à suivre les promesses. L’accès aux services essentiels reste aléatoire, et les attentes déçues creusent un fossé grandissant entre dirigeants et citoyens. Dans ce climat de désillusion, la confiance s’effrite et le lien social se fragilise…

Dans la commune de Bubanza, sur la colline Buhororo II, plusieurs habitants dénoncent le fossé grandissant entre les discours officiels et la réalité de leur quotidien. Les promesses réitérées des autorités restent rarement suivies d’effets concrets. « Durant les campagnes électorales, nos députés nous promettent chaque fois des projets d’alimentation en électricité, mais cela fait déjà dix ans que nous attendons leur concrétisation », déplore Jean-Claude*, habitant de la localité.

La fertilisation des terres constitue un enjeu majeur pour les agriculteurs de Buhororo II. Pourtant, la distribution des engrais est régulièrement entachée d’irrégularités, attisant la colère des habitants. « On nous demande de verser des avances très tôt, mais au moment de l’approvisionnement, c’est le désordre total. Certains repartent sans avoir reçu la quantité prévue, et cela nous met en colère. Pourtant, pendant les campagnes, les politiciens nous promettent toujours de répondre à nos besoins en engrais, en sucre et en semences », déplore Éliane*, habitante de la colline.

En revanche, poursuit Éliane*, ces discours répétés à chaque échéance électorale ne sont plus perçus comme de véritables engagements, mais comme de simples manœuvres de manipulation. « Ils font ces promesses pour séduire l’électorat, sans se soucier de notre sort. Leur seul objectif est de satisfaire leurs propres intérêts en récoltant le maximum de voix », confie-t-elle avec amertume.

Le glissement de la promesse vers la rupture sociale

Pour Léandre*, un autre habitant de la colline, ces promesses servent avant tout d’outils de contrôle de l’opinion, destinés à entretenir un espoir sans fin. « Certaines autorités savent que leurs paroles apaisent momentanément. Elles multiplient les promesses mirobolantes pour gagner la sympathie et achever leur mandat en toute tranquillité, sans jamais les tenir », estime-t-il.

Face à ces engagements non tenus, la confiance envers les autorités s’effrite, jusqu’à parfois laisser place à la désobéissance civique, explique encore Léandre*. « En tant que citoyen, je considère que le non-respect des engagements d’un élu est une trahison envers ses électeurs. Ce sentiment d’abandon nourrit la colère et la frustration au sein de la population », confie-t-il.

Selon lui, ce climat de méfiance se traduit parfois par une démotivation vis-à-vis des activités d’intérêt public, notamment les travaux communautaires. « Certains finissent par se rebeller contre les ordres des autorités, par lassitude ou mécontentement accumulé. Ce genre de réaction peut attiser les tensions et déboucher sur des actes de violence », prévient-il.

En outre, soutient Sylvère*, un autre habitant de la localité, lorsque la population n’est pas servie comme promis, elle peut demander des comptes aux élus, parfois de manière brutale. « Lorsqu’une autorité qui n’a pas honoré ses engagements mène une nouvelle campagne électorale, elle risque de se heurter à une population déçue et frustrée par des attentes sans fin. Cette colère peut se traduire par des actes hostiles, parfois violents, envers l’autorité concernée. De telles confrontations peuvent entraîner des dégâts humains et matériels, des emprisonnements, voire creuser davantage la fracture sociale », avertit-il.

Le danger des promesses non tenues

Acher Niyonizigiye, expert en leadership

Abondant dans le même sens, Acher Niyonizigiye, expert en leadership, explique que la répétition de promesses non tenues mine la confiance envers un leader : « Les gens finissent par considérer qu’il est un menteur, que sa parole ne vaut rien et qu’il ne faut pas lui prêter attention. »

La communication entre le leader et ses administrés, poursuit-il, devient alors difficile, car ses messages perdent toute importance. « En politique, cela peut conduire à l’apathie civique : les citoyens se désengagent des affaires publiques, estimant qu’il n’existe pas de leader sérieux et que tout engagement mènera inévitablement à de nouvelles déceptions », analyse-t-il.

Bien plus, insiste Acher Niyonizigiye, cette situation peut engendrer un climat malsain au sein d’une organisation, voire d’une nation : « Dès que les citoyens ou les membres se rendent compte qu’un leader ment ou ne dit pas la vérité, ils commencent à remettre en question sa légitimité. Ils se demandent pourquoi cette personne devrait les diriger si elle ne leur dit pas la vérité. » Quand la confiance s’effrite ainsi, avertit cet expert, cela peut provoquer opposition, révolte et tensions, déstabilisant la quiétude de l’organisation ou, dans le cas d’un leader politique, celle de tout le pays.

Dans ce contexte, prévient Acher Niyonizigiye, les risques de violences de masse deviennent évidents : « Toutes les révolutions dans le monde sont parties d’un sentiment de mécontentement et de déception vis-à-vis de l’autorité en place. Quand une population se sent trompée et malmenée, et que les leaders ne changent pas, certains finissent par se demander : pourquoi sont-ils toujours là ? »

Cependant, note l’expert, comme aucun leader — du moins généralement en Afrique — ne cède facilement le pouvoir, certains individus plus agressifs peuvent en conclure qu’il faut le faire partir par la force. « Dès que l’idée de la force s’installe, deux blocs se forment : ceux qui soutiennent le leader à tout prix et ceux qui veulent le renverser. Dans ce contexte, il suffit d’une petite provocation pour que les tensions éclatent. On peut alors assister à des violences de masse, voire à une guerre civile, générées par ce sentiment de trahison et de frustration », avertit-il.

Appel à la responsabilité des leaders

Et de rappeler que les promesses non tenues sont fréquentes, surtout en période électorale, où elles servent à séduire les électeurs. C’est le cas, par exemple, du projet de construction de l’aéroport de Bugendana ou du projet de pension pour les retraités, restés tous deux sans suite. « Ces engagements, souvent annoncés sans étude préalable ni garantie de financement, relèvent parfois d’une stratégie de manipulation ou d’un désir de paraître compétent. Confrontés à la réalité, certains leaders préfèrent ne pas revenir sur leurs paroles, espérant que la population oubliera. Ce manque de transparence nourrit la méfiance et fragilise la relation entre dirigeants et citoyens », souligne-t-il.

Par ailleurs, souligne Acher Niyonizigiye, les actions parlent plus fort que les mots, car les citoyens observent davantage qu’ils n’écoutent. « Un leader qui agit peu perd en crédibilité, tandis que des actes concrets donnent du poids à ses paroles, même rares. Il est donc essentiel qu’il agisse davantage et parle avec retenue. Et lorsqu’il communique, ses mots doivent être mûrement réfléchis », insiste-t-il.

Du côté de l’administration communale de Bubanza, Joachim Nduwumukama, secrétaire exécutif communal, rappelle que les promesses non tenues par un leader politique peuvent avoir des répercussions directes sur la vie des habitants, surtout lorsqu’elles sont faites publiquement en présence de ses représentants locaux. « Ces engagements, souvent prononcés lors de visites soigneusement préparées, engagent également ses sympathisants et collaborateurs de terrain. Lorsqu’ils ne sont pas respectés, ce sont ces derniers qui doivent en assumer les conséquences. Il est donc crucial que les leaders tiennent leurs promesses et évitent de séduire par de beaux discours sans fondement. Ils doivent plutôt exprimer une vérité sincère, ancrée dans leurs convictions », souligne-t-il.

*nom d’emprunt

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