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Droits des femmes bafoués : où est passé l’activisme ?

Recrudescence des cas d’homicides conjugaux : l’heure de la levée de boucliers ?

Si les violences basées sur le genre sont multiples, elles restent jusqu’ici peu visibles, voire tolérable, nonobstant ses diverses conséquences tant sur le plan économique que sociétal interpellent. Les récents cas d’homicides conjugaux perpétrés dans les différentes régions du Burundi nous rappellent surtout la vulnérabilité de la femme vis-à-vis des violences conjugales, parfois banalisées par notre société.

Peur de parler, mouvement associatif faible, impunité… En milieu rural qu’urbain, les victimes des violences sexuelles basée sur le genre ont plus de mal à dénoncer les auteurs.

L’omerta autour de ces violences, souvent commises dans des milieux intimes ou isolés, engendre une sorte de tolérance ou de banalisation de ces actes ignobles.

Le centre Seruka spécialisé dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles basées sur le genre recense depuis décembre 2022 jusqu’à fin février 2023, 241 cas de victimes de viols dont 227 sont de la gent féminine, et 185 sont des mineurs.

Dans ce même registre, 38 cas (dont 37 femmes) ont été accueillis par ce centre, après avoir subi des violences physiques, émotionnelles et économiques.

Si l’on était habitué à ce genre de violences à l’égard des femmes, le plus surprenant est que la tendance actuelle frise l’ignominie. Aux tortures, supplices… s’ajoutent désormais des homicides conjugaux dont les femmes sont les seules victimes.

Plus récemment, un reportage mené par notre confrère en commune Ntega de la province Kirundo, faisait état de 5 femmes tuées par leurs maris en une année, dont 4 en seulement deux mois, de décembre 2022 à janvier 2023.

Un phénomène qui tend à se répandre dans d’autres localités des provinces de Kayanza, Rumonge, Bujumbura, … où l’on dénombre plusieurs cas d’homicides conjugaux. Même si les auteurs sont parfois punis, les faits ne semblent pas alerter l’opinion d’une façon générale.

Certes, la justice essaie de jouer son rôle en réprimant les auteurs, mais d’autres actions comme le plaidoyer, des campagnes de communication, des pétitions, marches manifestations, … ne sont-elles pas nécessaires pour condamner ces actes ignobles qui tendent à se normaliser ? Est-ce que l’heure de la levée de boucliers n’a-t-elle pas sonnée ? Sinon, quand ?

Inès Kidasharira : « C’est bon de parler d’un problème qui est là. Mais il faut des solutions »

Influenceuse sur les réseaux sociaux en matière de protection des droits de la femme, Inès Kidasharira a essayé de répondre à nos questions sur le sujet de la recrudescence des cas d’homicides conjugaux.

Q : Nous sommes dans une semaine dédiée aux droits des femmes et il s’observe des cas d’assassinat de femmes dans les différentes localités. Quelle est l’explication que vous donnez à ce phénomène ?

Les explications pour moi sont multiples et à plusieurs dimensions de la question.  Primo, c’est la culture burundaise qui encourage, valorise la femme qui sait se taire même quand sa dignité est menacée au sein de son foyer. Cette culture-là est tellement encrée qu’une femme qui ose dénoncer ce qui lui arrive dans son mariage, dans son ménage est vue comme une femme qui n’a pas su faire son mariage, qui n’a pas su garder son mari, qui n’a pas su comment être une bonne femme. Et ce regard là, ce poids-là de la société ou de la culture, fait que les femmes ont peur de dénoncer ce qui leur arrive, de peur d’être stigmatisée dans la société et d’être traitée comme des déviantes.  Si elle ose dénoncer par exemple, la loi va lui dire, ces violences déjà, voilà, c’est constaté, le monsieur on va lui punir.

Q : Alors, c’est quoi la suite ?

La suite généralement et légalement, devrait être le divorce. Personne ne veut divorcer parce que c’est trop lourd, c’est trop de stigmatisation, on n’arrive pas à comprendre qu’il y’a des raisons parfois vitales qui peuvent pousser quelqu’un vraiment à quitter le mariage violent.

L’autre explication peut se trouver au niveau de l’ignorance des lois. Les femmes surtout rurales ne savent pas qu’il y’a des lois qui interdisent, qui protègent contre les violences physiques, morales, être privé de ressources.

Kidasharira : « Les associations sont là pour alerter les instances de prise de décision »

Qu’il y’ait des lois qui les protègent. Donc elles ne sont pas au courant et partant ne peuvent pas saisir les instances pour pouvoir jouir de leurs droits.

Et pour celles qui savent, cela pose un autre problème. Si la femme n’a pas accès aux ressources, n’a pas un compte, n’a pas de ressources financières à elle propre, comment est-ce qu’elle va divorcer de quelqu’un qui va, et va porter plainte contre quelqu’un qui pourvoit tout. Cela devient une équation difficile pour ces femmes-là. Elles préfèrent rester et se consolent en se disant, c’est pour les enfants.

Mais le fait de porter plainte contre ton conjoint, même le fait d’être séparé n’influe pas sur la prise en charge des enfants. Parce que les enfants, même séparés, vous avez le devoir en tant que parents de subvenir à leurs besoins.

Et l’autre explication pour moi et qui est triste, c’est le manque d’engagement visible des instances de décision, malheureusement il faut qu’on le dise.

Si une femme, deux femmes, trois femmes sont tuées dans une localité, pour moi c’est inconcevable que le ministre chargé du genre, le ministre de la Justice, le ministère de l’Intérieur ne se lèvent pas pour dire halte à ces violences doivent cesser, prendre des mesures, des positions fortes, décourager ces gens-là, les emprisonner, faire que la justice vraiment soit rendue comme c’est écrit, cela fait de manière je dirais constante, cela va faire que ces violences régressent.

Sinon, quand on voit que l’on peut tuer sa femme et que l’on peut continuer à vivre, ou sans s’en tirer avec une amende et bien cela va continuer à augmenter et notre société ne va pas s’étonner d’aller à la dérive.

Cela c’est un des piliers des valeurs, de l’humain, de respecter la vie de la femme comme on aime le dire « le sang de la femme ne devrait couler que quand elle donne la vie. Seulement dans cette condition ».

Q : Parmi les instances de prise de décision, au sein des associations féminines, il y’a silence radio, comment vous expliquez cela ?

Je pense que les explications sont peut-être politiques de se dire que si on parle « est-ce qu’on va être entendu ou écouté ? Ou elles se disent que peut être on va en parler et puis après ? ».

Parce que c’est bon de parler d’un problème qui est là. Mais c’est aussi bien de pouvoir contribuer dans la résolution d’un problème en offrant des solutions.

Alors peut-être que c’est décourageant pour ces associations-là. Elles se disent « après qu’est-ce qu’on va faire peut-être ?» On ne pourrait pas répondre pour ces associations là mais aussi pour moi, c’est grave et c’est dommage qu’elles se taisent aussi. Parce que c’est en criant, en lançant des alertes qu’on éveille les consciences, qu’il y’a quelque chose d’anormale qui se passe et qu’on peut aider les instances de prise de décision à se rendre compte qu’il y’a un besoin à tel point, à tel autre pour y répondre de façon adéquate. Parce que les associations sont là aussi pour alerter les instances de prise de décision.

Par Christian Bigirimana et Adiel Bashirahishize, Jimbere

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