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Pénurie d’eau : des ménages souvent dans le désarroi

Dans plusieurs quartiers de la ville de Bujumbura, trouver de l’eau potable est devenu un casse-tête. La population est soit obligée de se rabattre sur des eaux des rivières avec tous les risques que cela représente ou bien de passer par d’autres astuces pour s’en procurer.  La Regideso annonce un projet de captage d’eau dans le lac Tanganyika pour assurer la suffisance en eau potable jusqu’en 2065 avec un coût de 106 millions BIF. Dossier réalisé par Iwacu et Jimbere

L’eau potable figure parmi les besoins vitaux des ménages. Or à Bujumbura, quartiers périphériques comme nantis, la population n’y a pas toujours accès. Des scènes de citadins munis de sceaux, bidons ou cuvettes à la recherche de l’eau s’observent chaque matin où des ménages entiers sont obligés de se ravitailler chez des voisins généreux dans d’autres quartiers.

Attoupement devant un robinet public à à Kamenge

A défaut, il faut régler son horloge, et se réveiller à 2h voire 3 h du matin, pour faire le plein des récipients. Même dans ce cas, le débit est parfois lent que seuls quelques bidons sont remplis avant qu’elle ne se coupe, fait savoir C. B, habitant un des quartiers de la zone Kamenge.  

La même situation s’observe au quartier Muyaga de la zone urbaine de Gihosha où les habitants peuvent passer une ou deux semaines sans une seule goutte d’eau. F.N., un des habitants indique qu’il vit la peur au ventre à cause des cas de la variole du singe sur le territoire burundais. « Parmi les mesures de prévention, figure le lavage des mains. A part que nous n’avons pas de l’eau pour nous préparer à manger, comment pouvons-nous faire pour garantir une bonne hygiène », s’interroge-t-il.

Il fait savoir que pour assurer certaines tâches comme la cuisson, ils sont obligés de débourser beaucoup d’argent. « Avant, un bidon de 20 litres coûtait 500 BIF, mais, maintenant il est à 1 000 BIF. En plus de cela, la crainte est de recevoir de l’eau non potable car personne ne sait ils vont la puiser. Imaginez s’ils la puisent dans la rivière Nyabagere. Personne n’ignore ce qui s’y déverse », témoigne-t-il.

Une denrée à la portée de quelques-uns

Pour cet habitant, seule l’eau minérale est la plus sûre pour la cuisson. Mais, son prix n’est pas à la portée de tout le monde. Et d’appeler la Regideso à revoir sa politique d’approvisionnement de la capitale économique en eau potable.

Dans le quartier Winterekwa, les habitants peuvent passer deux ou trois semaines sans eau potable.  « Nous sommes malheureux et la situation est grave.  On peut passer une semaine ou plus. Nous craignons les maladies des mains sales dans cette localité. Nous demandons à la Regideso de réagir avant que l’irréparable n’arrive », se lamente une mère de famille.

La situation s’est dégradée alors qu’Isidore Ngendakuriyo, chef de quartier Winterekwa avait lancé un projet de captage d’eau dans localité de Ruvubu, colline Gishingano, zone Nyambuye de la commune Isare.  Cette initiative avait allégé les problèmes des habitants du quartier quand il y avait l’épidémie de choléra. « Depuis 2019, la Regideso s’est appropriée de cet ouvrage. Ils nous ont convoqués pour nous dire que les localités de Nyabagere et Winterekwa doivent  être alimentées par la Regideso.  Nous avons dû céder. Nous avons engagé un dialogue pour que la Regideso alimente ces localités mais elle ne l’a pas fait », déplore-t-il.

Bien plus, confie les mêmes sources, les familles dépensent beaucoup d’argent pour acheter de l’eau alors que la vie devient de plus en plus chère.

« Un bidon coûte entre 1500 et 2000 BIF. Certaines familles déboursent plus de 30 mille pour satisfaire leur besoin quotidien en eau« 

Des écoliers et des quartiers dits ‘‘nantis’’ également touchés

Les habitants de la ville de Bujumbura rencontrés demandent à l’Etat et à la Regideso de faire une étude approfondie sur les stratégies pouvant permettre une distribution d’eau suffisante dans toutes les localités pour faciliter les activités quotidiennes.

Le constat est que la situation est intenable pour les élèves des établissements à régime d’internat. Au lieu de réviser les cours, ils vont puiser de l’eau. Ce qui les perturbe énormément. Ainsi, cette pénurie d’eau quasi permanente n’avantage surtout pas les femmes et filles en rapport avec la propreté.

L’exemple donné est celui de l’école technique secondaire, ETS Kamenge. On peut constater des mouvements des écoliers qui sillonnent les quartiers afin de trouver de l’eau pour se laver et faire la lessive. Le malheur ne vient jamais seul. Dans les quartiers périphériques de cette école, les habitants font face au même problème.

Dans le quartier Carama, un quartier réputé « riche » au regard des maisons y érigées, il y a aussi pénurie d’eau. Un gérant d’un hôtel explique les pertes subies. « Nous travaillons à perte chaque jour. Nous payons les salaires et des dépenses de plus d’un million par mois. Un bidon coûte 1 000 FBu. On achète 30 bidons par jour».

 Un membre d’une famille ne comprend pas qu’un tel quartier où habitent des dignitaires et les gens riches puisse manquer d’eau pendant des jours. « Chaque jour, nous utilisons 25 bidons. Cela depuis 2 ans », précise-t-il.

Un parcours de combattant pour avoir de l’eau

Les gens se rabattent sur les eaux de ruissellement dans le quartier Nyabagera de la zone Gihosha

A Kinama, certains habitants se rabattent sur des eaux qui coulent dans des caniveaux.  Tous ces habitants demandent aux autorités compétentes de résoudre  la question de l’eau dans les brefs délais. A défaut de le faire, il  sera difficile d’arriver à la vision Burundi pays Emergeant en 2040 et pays développé en 2060.

Dans la zone urbaine de Musaga, les habitants disent qu’ils ont eu beau crier, personne n’a daigné s’occuper de la question. L’eau que se partagent plusieurs ménages provient de deux robinets publics situés à la 1ère avenue.

La prénommée Diane qui habite à la 2ème avenue fait savoir qu’elle passe souvent des heures et des heures à attendre que son tour arrive pour pouvoir puiser de l’eau. Les bousculades, les injures accompagnées de plusieurs jurons sont les maîtres mots sur les lieux où se trouvent les robinets publics. « Je ne peux pas venir ici avec un enfant. Les gros mots qui fusent de partout font honte. Ceux qui y envoient les enfants sont ceux qui n’ont pas d’autres choix », déclare-t-elle.

En ce qui concerne les mesures d’hygiène, cette dame dit que le jour où cette variole du singe prendra réellement place, ce ne sera pas seulement les habitants de sa localité qui seront décimés mais toute la capitale. 

« Les risques sont grands. Mais, on n’a pas de choix. Bien plus, nous ne sommes pas les seuls parce que partout dans la capitale économique, les coupures d’eau s’observent. Aussi, les gens de Musaga vont en ville et croisent les personnes d’autres localités. Ils se frottent contre les autres en faisant la queue au centre-ville pour les bus. Si alors des gens de Musaga venaient à être contaminés, ils pourront ainsi contaminer les autres. Raison pour laquelle il faut de l’eau propre à Musaga », insiste-t-elle.

Elle dit plutôt que la Regideso devrait revoir sa politique. Elle ne comprend plus l’utilité des robinets installés par cette société dans les ménages.

Des robinets, objets d’ornements

Dans la zone urbaine frontalière de Kanyosha, c’est le même drame. Mais, ce qui différencie les deux localités, ce sont les robinets publics. Les habitants paient des transporteurs qui ne font que ce boulot, à vélo. Dans le quartier Busoro de Kanyosha, les habitants dépensent beaucoup pour avoir de l’eau. Deux bidons de 20 l chacun ont monté jusqu’à 1 000 BIF. Or, chaque ménage doit avoir un minimum de cinq bidons par jour pour satisfaire les besoins élémentaires.

« Nous dépensons beaucoup plus que nous devrions payer la facture de la Regideso. Les dépenses en eau par jour couvrent à elles seules ce que nous devrions payer à la Regideso par mois », déplore un habitant de cette localité.

Une habitante de Nkenga-Busoro se dit être dans  le désarroi.  Elle comme d’autres ménages ont déjà abandonné leurs toilettes. « C’est impossible de continuer à utiliser des toilettes à siège sans eau. Nous sommes dans une situation insupportable. Nous craignons des maladies de main sales au moment où des épidémies font rage ». 

D’autres habitants se lamentent que leurs robinets sont comme des objets d’ornement. Depuis le mois d’avril 2024, des robinets sont à sec. «  A cette époque, on pouvait avoir de l’eau deux fois par semaine. Nous utilisons de l’eau achetée aujourd’hui. Un seul bidon est à 1 500 FBu. Je peux utiliser 15 bidons par jour. Vous vous rendez compte de cette situation ? C’est très cher ».

Situation intenable à Gatumba

Un malheur ne vient jamais seul. A côté des inondations, certaines localités de la zone Gatumba en commune Mutimbuzi manquent cruellement d’eau potable. Durant la période des inondations, seule une colline sur les neuf que compte cette zone a de l’eau. « La zone Gatumba vient de passer plus de quatre mois sans eau potable. C’est insupportable. Depuis les crues de la rivière Rusizi et le débordement du lac Tanganyika, nous vivons une pénurie d’eau de la Regideso. Nous avons partout l’eau, sauf dans nos robinets », se lamente un habitant.

Nous sommes sur la colline Kinyinya II. Il est 11 h. Des femmes sont avec des enfants sur le dos et des bidons sur leur tête. Interrogées, elles disent qu’elles viennent de Kajaga, de la zone de Kinyinya. « Nous avons puisé cette eau à Kajaga. Ici, dans notre zone, nous n’avons pas d’eau dans les robinets. Nous sommes fatiguées. Parfois, nous nous demandons la faute que nous avons commise pour mériter cette vie. Ne nous demande plus autre chose. Nous sommes fatiguées de répéter toujours la même chose », répond une parmi les femmes trouvées sur le terrain.

« On préfère acheter un seul bidon pour avoir de l’eau à boire et ce bidon peut durer deux semaines », confient les habitants de Gatumba

Les habitants de la zone Gatumba disent également que la Regideso envoie l’eau dans un robinet de la localité de Muyange pendant la nuit. Et la présidente Adidja, habitante de cette localité, témoigne que la Regideso envoie cette eau dans un seul robinet de tout le quartier. « Imaginez-vous un seul robinet qui a de l’eau pour toute la colline. Ça ne peut pas suffire. Aussi, cette eau vient pendant la nuit. J’imagine que venir des collines Kinyinya I ou II pendant la nuit est impossible avec les risques de croiser des crocodiles ou des hippopotames qui circulent la nuit. Cela peut même mettre la vie des gens en danger ».

Chacun y va de son astuce pour accéder à l’eau

Plusieurs habitants de la zone Gatumba utilisent une eau puisée dans des puits dits « Amariba » et d’autres utilisent l’eau de forage pompée dans le sous-sol à l’aide d’une machine installée, « Amajorgik». « J’utilise cette eau pompée dans le sous-sol pour cuire, laver les habits et me laver avec toute ma famille. L’eau potable est chère. On préfère acheter un seul bidon pour avoir de l’eau à boire et ce bidon peut durer deux semaines », témoigne Marie Rose, habitante de Kinyinya I.

Certains ont trouvé un business pour gagner de l’argent.  Trois camions remplis de citernes d’eau sillonnent les collines de la zone Gatumba. Le prix d’un bidon de 20 l est de 1.000 BIF. La population de Gatumba salue cette initiative, mais dit que parfois ils n’ont pas cette somme, car la vie est devenue très chère avec les inondations qui ont détruit leurs ménages.

« C’est une bonne chose parce que maintenant, on peut trouver un bidon pour survivre. La somme de 1.000 BIF est exorbitante. Les autorités et les responsables de la Regideso devaient agir parce qu’il y a la pauvreté dans notre communauté. Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre d’acheter un bidon à 1 000 BIF. »

D’après Olivier Nkurunziza, président du parti Uprona, le gouvernement doit faire recours aux investisseurs privés pour faire face au problème lié au manque d’eau au Burundi. « Avec des investissements privés, le problème d’eau potable sera résolu. Même dans d’autres pays membres de l’EAC, le problème lié au manque d’eau a été résolu grâce aux investisseurs privés », a précisé le député au parlement de l’EAC.

Les promesses de la Regideso

Selon Dr Ir Lt Col. Jean Albert Manigomba, Directeur général de la Regideso,  95%  de la quantité d’eau consommée en mairie de Bujumbura  provient du lac Tanganyika.  Ce projet a commencé en 1985. «  Sur la planification de l’époque, on était sûr que cette eau sera suffisante pour alimenter les habitants de la ville de Bujumbura jusqu’en 2005. Par après, il n’y a pas eu d’autres projets. A voir la densité de la population en mairie de Bujumbura, vous constatez que l’eau n’est plus suffisante. C’est-à-dire que cette eau insuffisante est répartie dans tous les nouveaux quartiers ».

Albert Manigomba: « La population de la ville de Bujumbura sera servie jusqu’en 2065 sans pénurie si le projet est exécuté. »

Le Directeur Général de la Regideso fait savoir que depuis 2020, il y a eu des initiatives pour augmenter l’eau par de nouveaux captages de l’eau provenant des montagnes surplombant la ville de Bujumbura et d’autres communes notamment Mutambu et  Rugazi : « Des initiatives pour trouver des solutions d’urgence à Matyazo et Gisagara dans la commune Isare sont en cours. Les travaux, dit-il, sont en phase terminale. »   

En mairie de Bujumbura, annonce le DG un projet important est en cours, qui consiste à capter l’eau du lac Tanganyika: « Ce projet, qui n’a pas été exécuté en 2015, devrait résoudre définitivement la pénurie d’eau. Soutenu par la Banque mondiale, il demande selon les études, un budget de 106 millions de dollars. Même la parcelle est disponible à Nyabugete ».

Si le projet est exécuté, soutient-il, toute la population de la ville de Bujumbura sera servie jusqu’en 2065 sans pénurie.  La ville de Gitega n’est pas en reste, ajoute-t-il : « Jusqu’ici, la grande partie de l’eau utilisée provient des forages. »

Même son de cloche du côté du ministre de tutelle. Le gouvernement de la république du Burundi, apprend-t-on, a reçu du Groupe de la Banque africaine de Développement (BAD), un financement d’un montant de 13,15 millions de dollars en vue de contribuer au Programme d’appui au secteur de l’eau et au renforcement de la Résilience au changement climatique au Burundi (PASEREC) : « La zone d’implémentation du programme couvre les provinces de Cibitoke, Bubanza, Ruyigi, Rutana, Cankuzo, Kayanza, Mwaro et Gitega. »

Lors du lancement de ce programme par le ministère en charge des finances, en collaboration avec le ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines, jeudi 10 octobre 2024, Nestor Niyonzima, directeur général de l’Agence burundaise de l’hydraulique et de l’assainissement en milieu rural, AHAMR a précisé que ce programme sera bénéfique : « Il sera exécuté en première phase dans les provinces de Bubanza, Cibitoke, Cankuzo, Ruyigi et Rutana. » Pour lui, l’alimentation en eau potable sera assurée.

Jérémie Misago & Willy Frid Irambona

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