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Crise du carburant et ses vicissitudes : va-t-on s’en sortir ?

3 ans durant, les ravages du manque des produits pétroliers ne sont plus à démontrer. Avec des mesures souvent controverses visant à gérer ou à retourner la situation, d’aucuns se demandent à quand la solution à ce problème qui touche tous les secteurs de la vie nationale…

Plus la carence s’étire, plus le mode de vie s’étiole. Depuis le début de l’année, l’or noir fait parler de lui par son absence sur tout le territoire national. Bien que son approvisionnement s’est avéré un défi majeur il y’a à peu près 3 ans, cette fois-ci la tendance est plus que chaotique.

Nombreux sont ceux qui commencent à s’habituer ou à se résigner selon certains, à la pénurie du carburant et ses affres. Faire le pied de grue devant les parkings des véhicules de transport en commun ou jouer les coudes à leur arrivée pour y entrer, se ravitailler en carburant sur le marché noir ou dans les pays transfrontaliers à des prix exorbitants, parcourir des kilomètres à la ronde pour aller au travail ou à l’école faute de moyens de déplacement… le lot quotidien des usagers de transports en commun et des conducteurs de véhicules est plus que tourmenté.

Le comble du malheur pour certains d’entre eux :l’interdiction de stationner aux stations-services sans carburants. Une mesure sécuritaire selon la police, mais perçue comme un dernier clou dans le cercueil pour les automobilistes : « C’est inconcevable comme décision car les voitures faisant la queue en attente d’être servi en carburant ne causent aucun souci, c’est plutôt les pompistes qui créent parfois du désordre par une distribution inéquitable », déplore un citadin qui a garé sa voiture à la maison depuis des lustres, par manque de carburant.


Le même regret est ressenti chez les conducteurs de véhicules de transport en commun qui se lamente qu’aujourd’hui, leur vie ne tienne qu’à un fil : « Cette décision vient en remettre une couche puisqu’il sera encore plus difficile de ravitailler nos engins, qui seront d’ailleurs logés loin des stations-services, pour éviter d’être sanctionné.  Il y’a un gros risque que des spéculations sur la vente en catimini du carburant peuvent s’aggraver. »

Cette préoccupation est partagée par l’Olucome, une organisation de la société civile. Pour Jean Nduwimana, son porte-parole, « il est plutôt urgent que l’Etat trouve une solution aux problèmes d’approvisionnement du carburant, au lieu de chasser les conducteurs des engins automobiles car ces derniers ne font pas la file indienne au niveau des stations-services par plaisir. »

Et corollairement à cette situation, le ticket de transport connait une hausse démesurée. En Mairie de Bujumbura comme à l’intérieur du pays, le tarif a officieusement presque doublé, voire même triplé. Les passagers grognent, alors que les conducteurs disent qu’il n’y a aucun autre choix : « Au minimum, il te faut environ 350.000 Fbu pour acheter un bidon de 20l de mazout sur le marché noir, car les stations sont à sec. On doit revoir les prix de transport pour éviter à notre tour de travailler à perte. »,

L’activité économique au point mort

Qui dit carence du carburant, dit l’arrêt définitif ou temporaire de la vie socio-économique. Aucun secteur n’est épargné.  Alors que l’électricité fait défaut dans certains quartiers de la capitale économique, la paralysie est quasi générale dans certaines activités de vente de biens et services. Outre les retards ou les absences du personnel à leur milieu de travail, le manque du carburant pour alimenter les groupes électrogènes en cas de coupure électrique plombe les affaires : « Nos activités tournent au ralenti depuis bientôt 3 semaines. Le rendement quotidien est médiocre puisqu’on arrive plus à bosser toute la journée, et nos recettes se réduisent comme peau de chagrin », se désole un patron d’une entreprise qui loue des services de livraison à domicile.

Les temps sont durs, selon l’Olucome. Pour Gabriel Rufyiri, son Président, « il n’a aucune société tant publique que privée qui fonctionne normalement, même certains petits métiers sont touchés de plein fouet. Avec le problème de transport qui est devenu un casse-tête, il ne faut pas prétendre au développement, ni s’attendre à des investisseurs étrangers ou à des touristes, quand il n’y’a pas des produits pétroliers. »

D’après un économiste qui suit de près cette situation, mais qui a requis l’anonymat, il est difficile d’évaluer l’impact des dommages causés par le manque de carburant au Burundi. Ce qui est sûr, affirme-t-il, c’est que « l’économie du pays dans son ensemble est ébranlée par cette carence. L’exemple le plus frappant est la montée des prix de certaines denrées sur le marché, due au problème de transport suite au manque du carburant. »

De l’espoir mitigé

Bien que le manque de devises reste au banc des accusés de cette pénurie récurrente du carburant, les raisons divergent sur l’origine de cette conjoncture actuelle. Pour Gervais Ndirakobuca, Premier Ministre,  » nous vivons les conséquences des sanctions prises de 2015 à 2020 par nos partenaires techniques et financiers. S’il y’a ceux qui ne l’avaient pas constaté jusqu’ici, c’est que la situation d’alors était bonne. »

Le Président de la République et celui de l’Assemblée nationale, quant à eux, sont remontés contre « certaines personnes qui alimentent le chaos général en cachant le carburant, pour torpiller son approvisionnement au niveau national. »

Du côté du Ministère des Finances, « cette sévère pénurie du carburant reste toujours une problématique puisque jusqu’ici les devises destinées à son importation sont insuffisantes », comme l’a fait savoir Audace Niyonzima, le grand argentier, ce 13/06/2024 devant la chambre basse du parlement.

Mais Faustin Ndikumana, Président du Parcem ne le voit pas de cet œil. Il trouve pourtant qu’une megestion des devises et la corruption mettent à mal toutes les initiatives de relance économique : « Il y’a un mauvais circuit d’approvisionnement du carburant. Normalement, on devrait impliquer des acteurs privés capables et ayant une logistique nécessaire, afin de les rendre concurrentiels, mais l’Etat veut se substituer aux privés pour importer lui-même le carburant, ce qui n’est pas normal dans un pays gangréné par des malversations économiques. »

Cet expert en économie déplore par ailleurs que les hautes autorités continuent de parler des opérateurs économiques qui bénéficient des devises, mais refusent d’importer pas le carburant. « On ne les épingle pas, on ne dit pas leurs noms. Ça c’est une supercherie, une politique de démagogie à arrêter », martèle-t-il.

A en croire certaines sources, les réserves en devises au niveau de la Banque centrale sont loin d’être satisfaisantes. Avec une balance commerciale qui demeure déficitaire, la régression progressive de la production du café passant de 45.000 tonnes en 1994 à 17.000 tonnes en 2022, mais aussi la filière coton qui se meurt et le secteur minier aux arrêts, sans oublier le tourisme qui peine à décoller malgré ses atouts, il est vraisemblablement évident que l’économie Burundaise n’est pas au beau fixe.

Dans son analyse, le Parcem recommande entre autres à l’Etat la mise en place d’une stratégie de lutte contre la corruption & les malversations, ainsi que la délocalisation de la BRB sous la tutelle du ministère en charge des Finances, pour sa gestion afin que les supérieurs hiérarchiques en l’occurrence la Primature et la Présidence puissent assurer le contrôle seulement. En outre, cette organisation invite la BRB à élaborer des règles de gestion transparente, tout en commanditant des études régulières et en produisant des rapports hebdomadaires et mensuels sur l’utilisation des devises. 

Pis encore, le Parcem appelle le Chef de l’Etat à limoger le Gouvernement actuel car ce dernier est dans l’incapacité de tirer les Burundais des affres de cette situation : « Il devrait nommer un nouvelle équipe gouvernementale compétente avec des missions claires et lui donner un soutien politique, des moyens humains & matériels qui vont lui permettre d’orienter le pays vers une voie salvatrice. » L’autre proposition du Parcem est la mise ne place d’un cadre qui permettrait aux intellectuels et les experts de contribuer à la conception d’une feuille de route.

Toutefois, le Ministère en charge de l’énergie tranquillise. Interrogé par nos confrères de la Radiotélévision Isanganiro, Felix Ngendabanyikwa, porte-parole dudit ministère, rassure. Cette institution, confie-t-il, est à l’œuvre pour satisfaire la consommation en carburant estimée à 31 millions de litres/mois. « La Société pétrolière du Burundi (Sopebu) en collaboration avec 5 autres opérateurs ont déjà fait des commandes, et dans les semaines à venir des quantités avoisinant la consommation mensuelle seront prêtes à être distribuées. » Mais en attendant, conclu-t-il, la Regideso qui assurait auparavant le rôle de la Sopebu continue à finaliser certaines opérations déjà engagées avant sa mise sur pied. 

Peut-on espérer voir bientôt le bout du tunnel ? L’avenir nous le dira !

Adiel Bashirahishize

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