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Consolidation de la paix dans les Grands-Lacs: les services de soutien psychosocial et de santé mentale incontournables

Les crises socio-politiques, qu’a connu la sous-région en générale et le Burundi en particulier, ont engendré beaucoup de traumatismes. Depuis 2014, La Plateforme des intervenants en psychosocial et en santé mentale au Burundi (PPSM), en collaboration avec d’autres organisations de la sous-région, viennent en aide aux personnes souffrant des troubles traumatiques. Le point…

« La confusion entre les termes ‘santé mentale’ et ‘maladie mentale’ renforcent les préjugés », Christine Ndayikeje.

Dans les pays de la sous-région des Grands Lacs, parler de la « santé mentale » a été très longtemps tabou dans les communautés. L’ambiguïté du sens de ce thème a eu pour effet immédiat la méfiance ou négligence de ce secteur de santé, qui, pour les non-initiés, renvoie directement vers des troubles mentaux avec des préjugés et des stéréotypes qui tournent autour.

Christine Ndayikeje, chargée de suivi et évaluation dans le projet « Bien être psychosocial pour une paix durable »

Selon l’OMS, la « santé mentale » est pourtant définie comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté. »

Avec cette définition, on est en mesure de comprendre que la santé mentale est unétat d’équilibre entre toutes les dimensions de la viede la personne humaine : les dimensions émotionnelles physique, sociale, spirituelle, économique.

D’après Christine Ndayikeje, chargée de suivi et évaluation dans le projet « Bien être psychosocial pour une paix durable » au sein de la Plateforme des intervenants en Psychosocial et en Santé mentale, PPSM en sigle, « la confusion entre les termes ‘santé mentale’ et ‘maladie mentale’ renforcent les préjugés. Alors que la maladie mentale renvoie à des troubles mentaux avec des symptômes d’altération de la pensée, de l’humeur ou du comportement associées à un état de détresse et de dysfonctionnement qu’il faut faire soigner, prendre soin de sa santé mentale intervient dans sa vie quotidienne, au travail, dans sa famille, dans son entourage etc., en adoptant une hygiène de vie saine. »

Conflits, effets psychologiques et problèmes de santé mentale 

« Il est d’une importance vitale que les survivants des conflits soient aidés pour pouvoir continuer leur vie », Alexis Nibigira.  

Alexis Nibigira: « Il est d’une importance vitale que les survivants des conflits soient aidés pour pouvoir continuer leur vie »

Les périodes de conflits violents qu’ont connues nos pays de la sous-région des Grands Lacs en général et le Burundi en particulier ont engendré beaucoup de traumatismes. Outre la perte tragique des êtres chers, l’exposition aux atrocités, la destruction des infrastructures, les situations d’insécurité affectent négativement les individus et leurs communautés. Des actes de violence extrêmes peuvent souvent provoquer le trouble de stress post-traumatique (SSPT) et autres problèmes de santé mentale connexes.

D’après Alexis Nibigira, chargé des programmes à Trauma Healing Reconciliation Services, et conseiller local en santé mentale, « quand on s’entretient avec les membres de la communauté burundaise, on trouve que les personnes souffrent du poids du passé qui n’est pas encore traité. Certaines études et les évaluations de référence montrent que l’état de stress post-traumatique chez certaines personnes est une évidence à cause des périodes difficiles vécues. Les gens sont affectés longtemps après et peuvent même développer des troubles mentales graves. Les effets d’une exposition à long terme à la violence peuvent conduire à d’autres formes de violence, ainsi qu’aux traumatismes intergénérationnels des jeunes générations qui restent sous l’emprise d’anciennes haines. Il est d’une importance vitale que les survivants des conflits soient aidés pour pouvoir continuer leur vie. »

Soutien psychosocial, santé mentale et consolidation de la paix

« On ne peut pas parler de la réconciliation sans que les personnes aient une bonne santé mentale et le bien-être psychosocial », Gabriel Londo.

Gabriel Londo, psychologue clinicien

Pour que n’importe quel processus de consolidation de la paix soit durable, il est clair que les besoins psychologiques et sociaux doivent être abordés. Pour Gabriel Londo, psychologue clinicien du Réseau Associatif pour la Psychologie Intégral (RAPI) en RDC à Bukavu, « On ne peut pas parler de la réconciliation sans que les personnes aient une bonne santé mentale et le bien-être psychosocial. Le bien-être psychosocial n’est pas seulement une condition d’une société saine et paisible, il est également essentiel pour sa capacité à résister à de futurs conflits, ce qui rend cette composante de soutien psychosocial et de santé mentale essentielle à des initiatives de consolidation de la paix à long terme. »

« Il est difficile d’être en paix avec soi-même et avec les autres et d’entamer le processus de réconciliation lorsqu’on a connu des situations de guerre. », Emmanuel Mihigo

Emmanuel Mihigo, conseiller social chargé de suivi évaluation au sein de l’Association des Conseillers en Traumatismes ARCT Ruhuka du Rwanda, abonde dans le même sens. Pour lui, « il est difficile d’être en paix avec soi-même et avec les autres et d’entamer le processus de réconciliation lorsqu’on a connu des situations de guerre.  Le soutien social basé dans la communauté est un préalable qui permet justement la gestion et la guérison des blessures. Et avec le soutien psychosocial, les gens retrouvent le goût de la vie dans la société et deviennent capables d’interagir au niveau communautaire », affirme-t-il.

Le soutien psychosocial est l’accompagnement des individus et des communautés pour la stabilisation des émotions sur le plan cognitif, psychologique, comportemental et relationnel. Les services de soutien psychosocial agissent comme une force d’unification. Ils rassemblent les individus, familles et communautés dans le but de renforcer la résilience individuelle et communautaire, la cohésion sociale et la consolidation de la paix. 

Emmanuel Mihigo, conseiller social chargé de suivi évaluation au sein de l’Association des Conseillers en Traumatismes ARCT Ruhuka du Rwanda

L’initiation des groupes d’entraide, les séances de guérison des mémoires, la formation, la rééducation et le recyclage sur des thèmes de cohésion sociale font parties des activités qui entrent dans le cadre du processus de soutien psychosocial. Ces derniers sont centrés surtout sur la réintégration des personnes en rupture avec les communautés et les familles avec le but de relier les gens aux ressources. Parfois, les activités se concentrent tout simplement sur la création d’un environnement sûr où ceux qui sont touchés par les conflits peuvent se rencontrer et partager des expériences traumatiques, leurs forces d’adaptation afin de se concentrer sur la création de nouvelles bases sociétales et renforcer les capacités à résister à des futurs conflits.

Les traumatismes du passé peuvent guérir: Histoire de changement de Jules Remezo

Du Burundi au Rwanda, à quatre ans, la famille de Jules avait fui le Burundi vers le Rwanda à cause de la crise de Ntega–Marangara. C’était en 1989 et Jules était encore tout petit. Le changement de pays, la situation de crise sécuritaire, l’aggravation et la précarité des conditions de vie n’ont jamais cessé dès lors d’affecter son existence. « En exil, la détresse liée aux mauvaises conditions de vie affectait ma santé mentale. J’avais beaucoup de questions sans réponses : quand est-ce qu’on retournera chez nous ? Quand verrai-je mes oncles et mes tantes ? Je ne ressentais que de la nostalgie. », confie-t-il.

En 1992, quatre ans plus tard, la famille de Jules est retournée au pays. L’on aurait pu croire que la fin de ce périple difficile et traumatisant prenait fin, hélas non.  Pourquoi ? Parce que, malheureusement, leur retour fut de courte durée : l’année suivante, une histoire tragique s’est répétée au Burundi avec une annonce d’un coup d’Etat militaire. C’était en 1993 et la famille de Jules a été obligée de reprendre le chemin de l’exil vers le Rwanda.

Un adage local dit souvent que « le malheur ne vient jamais seul », eh bien, la famille de Jules n’avait pas trop eu de chances en ces année-là. Dans leur pays d’accueil, c’était la veille d’une grande tragédie, l’une de plus horribles tragédies du 20e siècle : le génocide du Rwanda de 1994.  Jules et toute sa famille furent obligés de revenir au Burundi, un pays aussi depuis 1993 en proie à de grandes violences d’une guerre civile qui durera une décennie : « Ma famille et moi-même étions plus traumatisés que jamais. »

Jules Remezo: « Mais dans mon for intérieur je souffrais des cauchemars »

Tout ce parcours de vie, avec énormément d’évènements, violences et abus, traumatismes, attitudes et pratiques intériorisés, a beaucoup affecté la santé mentale de Jules sur le long terme. Ce genre de traumatismes du passé ne peuvent pas se guérir d’elles-mêmes, sans une assistance psychosociale. Jules y repense et nous confie : « Dans mon quotidien, les gens ne le remarquaient pas. Mais dans mon for intérieur, je souffrais des souvenirs, des cauchemars qui revenaient chaque fois qu’il y a une situation qui se présente et qui me rappelle ce que j’ai vécu dans le passé. » 

Jules représente plusieurs personnes, des milliers même, qui ont subi l’affect des différentes crises politico-ethnico-sécuritaires des dernières décennies dans la sous-région. Il représente aussi en particulier des milliers de personnes qui, grâce aux différentes activités de guérison des mémoires organisés par les organisations comme la Plateforme des Intervenants en Psychosocial et en Santé Mentale (PPSM en sigle) et Trauma Healing and Reconciliation Services (THARS en sigle) au Burundi,  Réseau associatif pour la psychologie intégral (RAPI en sigle) en République Démocratique du Congo et Rwanda Organisation of Trauma Counselors (ARCT Ruhuka) au Rwanda, ont été réellement  transformés et ne sont plus comme avant.

– PPSM : Facebook & Instagram (PPSM Burundi), Twitter (@BurundiPpsm) et son site-web: ppsm-burundi.org

-Pour l’organisation ARCT Ruhuka du RWANDA, son site-web: arctruhuka.org

-Pour l’organisation THARS, site web : thars.org et facebook : Thars
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