Jimbere

Kirundi French
Ils nous inspirent

L’art de manger les gens dans la tête 

La chanteuse Natacha Ngendabanka avec le super-star congolaise de la rumba, Fally Ipupa

Elle est immense. Bleue. Longue et grasse. Avatarienne. Elles sont d’ailleurs deux. Deux longues tresses bleues surréalistes, tape-à-l’œil, ce genre de choses qui sont impossibles à ne pas voir, qui s’enroulent autour de votre cerveau une fois vues et qui ne vous quittent plus de la journée.
Deux terribles tresses sur la chanteuse Natacha, dite « Lanamba Labamba », ou « #LaReineDeLaScène » pour les intimes.

Quelques scrolls plus loin, « Umugwizatunga Adoti », ou « le Businessman Adoti ». C’est une photo banale, prise en mode selfie dans un restaurant banal, la qualité de l’image est elle-même banale (peu de netteté), sur la table en arrière-plan une portion d’omelette et un verre de jus eux aussi banals, le tout avec une légende extraordinaire, je vous la traduit en français: « L’argent que je dépense pour mon petit-déjeuner équivaut à la ration alimentaire de 8 mois au Burundi ».
Traduire étant trahir, je m’excuse d’avance pour la traduction du mot « ratiaun » utilisé en kirundi par le Vénérablissime Adoti. J’ai compris « ration », peut-être vous aussi…

Lanamba et Adoti, donc. Qu’ont-ils en commun? Au cœur de ces méandres des réseaux sociaux dans lesquels les Burundais se sont engouffrés pieds et mains joints depuis 2015, cette brave mère et cet énergique jeune homme sont en train d’expérimenter sur Facebook ce que nous appelons, en kirundi, « kurya mumutwe abantu ». Littéralement, « manger les gens, l’opinion, les lecteurs, dans la tête ».
Tout un art, qu’ils déploient avec une constance et une maîtrise à faire pâlir les meilleurs community managers du pays.

Avant de bouffer les gens dans la tête, il faut les connaître. Savoir leur humeur. Deviner que les Burundais après trois ans de matraquage d’information politique, de communiqués incessants de toutes parts, de marches, de manifestations, de contestation, d’incantations et autres interrogations, ces Burundais donc sont un peu… usés.
Dans leur vaste majorité, ils ont envie de souffler, de passer à autre chose, d’oublier le temps d’un post sur Facebook ou envoi WhatsApp le rugueux de l’actualité.
Il y a dans le pays une demande d’évasion (qui n’est pas synonyme de cécité, loin de là).

Et c’est là, à cet instant précis où nos yeux glissent sur des dizaines de posts sans réelle saveur que Labamba ou Adoti frappent. Dur. Dans le tas. Ils nous trollent tellement bien que nous nous retrouvons à partager, commenter, invectiver ces spécimens rares d’une culture qui aime plutôt les choses et les êtres lisses. Chacun des posts des deux olibrius génère des centaines de réactions, des milliers de vues.
Aucune publicité digitale ne fait pareille au Burundi.

On rit, on secoue les têtes, on les traite de fous, d’illuminés, de menteurs et de faussaires, il faut les poursuivre pour manque définitif de bienséance, mais on les lit quand même, en entier en plus, psychiatres, nous voulons être sûrs que nous comprenons de façon holistique leur folie, et nous devenons un peu fou avec eux, dans leur sillage nous nous mettons à nous imaginer écrivant ou dansant comme eux, nous devenons leurs clones, tout autant lucides que nous nous prétendons, certains sans une parole adotienne ou une malice de la chanteuse from Kinama ne peuvent plus tenir deux jours sains et saufs… facebooquement parlant.

Juchés sur leurs très vastes egos, ils nous ont.
Ils nous ont eus.
Nous sommes leurs mets à la sauce buzz, et nous ne le savons même pas, plus.

C’est tout l’art de maîtriser l’air futile de nos passe-temps.

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