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Parcours infidèle d’une jeune fille nommée Fidela

Au centre de Ruyigi, Fidela est le nom utilisé par les parents pour dissuader leurs enfants d’entretenir des relations avec leurs profs. Pour les éducateurs, il évoque la ligne qu’il ne faut pas franchir. Pourtant, rien ne semblait prédestiner la jeune fille à hériter de cette triste réputation…

Ce matin-là, Fidela ne s’attendait pas à recevoir des journalistes. Parce que les médias et leurs hommes aux questions invasives, elle en avait ras-le-bol. Elle qui rêvait pourtant d’exercer ce métier plus tard… Un plus tard qui est devenu désormais évanescent, insaisissable, et cela à cause d’un homme qui était censé lui donner des outils pour mieux appréhender l’avenir.

La frêle jeune femme de 20 ans, qui ne paraît pas du tout son âge (on pourrait lui donner tout au plus 15 ans) nous accueille dans l’arrière-cour de la maison familiale. Nerveuse, elle n’arrête pas de triturer son chapelet, et d’une voix tremblante, nous informe qu’elle est la deuxième dans une famille de  six enfants. Orpheline de père, elle vit avec sa mère, ses frères et sœurs dans cette petite maison de la colline Ruhwago, en commune Ruyigi. La vénération que Fidela a envers sa mère, qui se tue quotidiennement à la houe pour nourrir et faire étudier ses enfants, n’a d’égal que l’immense déception que la jeune femme ressent envers elle-même.

Il y a deux ans, elle n’aurait  jamais imaginé qu’elle en serait là.

Piégée

Il y a deux ans, Fidela était en 9ème et ne se posait pas de questions sur son avenir. Ses seules préoccupations étaient de réussir à ses examens et de passer en 10ème. C’est pourquoi le jour où elle a reçu l’appel de son prof d’anglais, Sylvère, elle n’a alerté personne. « Par ailleurs, pour me mettre en confiance, il m’appris qu’il avait eu mon numéro de sa nièce, une amie avec qui j’étudiais », confie-t-elle.

Le rendez-vous est fixé, la jeune femme va voir le jeune professeur chez lui à l’autre bout du centre Ruyigi. Le premier jour, c’est la revue de leçons vues en classe. Le deuxième jour, le professeur lui certifie qu’elle ne pourrait jamais échouer dans son cours, ni dans ceux des autres, du moins si c’est lui qui fait le surveillant. Le stratagème est simple : « Je devais passer l’examen comme les autres. Mais par après, je devais sortir, refaire une copie avec les bonnes réponses et lui se chargeait de faire l’échange.»

Mais tout cela n’est pas gratuit. Les mots d’amour commencent à prendre la place des leçons d’anglais. Les attouchements à devenir quotidiens, puis ce qui devait arriver arriva, et pas qu’une seule fois. Malheureusement, la jeune fille ne verra pas son plan de réussite bien rodé se réaliser. Deux mois après, elle tombe enceinte.

Tristement célèbre

La nouvelle parvient au jeune homme par SMS. Ce dernier s’arrange pour obtenir une permission à la jeune fille et l’amène à l’hôpital. Leur crainte est confirmée, au grand dam du professeur. Pourtant, il accepte de venir expliquer la situation à la mère de Fidela : « Un conseil de famille s’est réuni, mais j’en connaissais l’issue. Ma famille n’y pouvait grand-chose et attendait seulement que Sylvère accepte d’endosser toutes les charges, c’est ce qu’il a fait », se rappelle Fidela.

Le lendemain, le jeune homme doit revenir pour signer une sorte d’engagement. Il demande que le rendez-vous se passe en terrain neutre, ce que la famille accepte. L’heure arrivée, le jeune homme se présente, suivi quelques instants plus tard par le directeur de l’école dans lequel le garçon prestait. La nouvelle s’était ébruitée, et le supérieur avait pris soin de venir accompagné de journalistes, qui les assaillent alors  de questions.

Le directeur en profite aussi pour annoncer qu’il va chercher un mandat d’arrêt. Le jeune professeur prend peur et s’éclipse. Il prend soin de disparaître pendant quelques temps mais de passage un jour, victime de sa popularité, il est reconnu et est cueilli par la police. Sylvère va être mis à l’ombre pendant cinq mois.

Marquée à vie

Quand Sylvère va être remis en liberté, cinq mois plus tard, il ne daignera pas remettre les pieds chez Fidela. La jeune femme vit alors sa grossesse recluse chez elle, fuyant les regards réprobateurs de son entourage.  Trois mois après la libération du géniteur, elle met au monde un garçon qui devient automatiquement sa raison de vivre. Elle passera avec lui sept mois de bonheur relatif, car élever un bébé dans un total dénuement n’est pas une sinécure. « À huit mois, il est tombé malade et s’est éteint », conclut-elle, d’une voix blanche.

Au centre Ruyigi, la jeune fille est devenue l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, un cas d’école que les parents servent  à leurs enfants. « J’aimerais tirer un trait sur mon passé, recommencer mes études si les moyens le permettent », espère-t-elle.

Malheureusement sa triste histoire semble lui coller à la peau : avant qu’on se quitte, Fidela reçoit un appel et son visage se ferme. Une association œuvrant dans la protection des droits de la femme a besoin d’un témoignage d’une fille-mère et veut l’interroger. Ce que Fidela refuse. Tout ce qu’elle veut, c’est oublier ce mauvais rêve, retrouver sa vie d’antan. « Impossible », est-on tenté de lui dire dans ce pays où le paraître est si important…

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