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Ngozi-Kayanza: la saison culturale A 2025 menacée par le retard dans la distribution des semences et engrais

La culture en bloc

Au moment où certaines régions observent les premières précipitations, les agriculteurs se retrouvent démunis face à l’indisponibilité de semences et d’engrais pour la saison culturale A. Ces intrants seront bientôt disponibles, rassurent le ministère en charge de l’agriculture et l’administration.

Début octobre 2024, en commune de Ngozi, vers 10 heures du matin, les habitants s’étaient rassemblés devant les bureaux du BPEAE (Bureau provincial de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage) pour tenter d’obtenir les semences de maïs car il avait plu la veille au soir du 2 octobre.

Ils seront informés d’aller attendre dans leurs communes respectives. Certains se plaignaient, tandis que d’autres étaient perplexes, ne sachant pas comment rentrer chez eux sans ces semences après avoir parcouru de longues distances depuis presque toutes les communes de la province. Environ 30 minutes plus tard, le gouverneur et les autres autorités sont arrivés sur place.

Les habitants se sont alors rassemblés, applaudissant, espérant une issue favorable à leurs doléances. Cependant, la réponse n’a pas changé : le gouverneur a rassuré de la présence des semences, leur a expliqué que les véhicules allaient les transporter vers les communes respectives, et que les chefs de collines viendraient les récupérer pour les distribuer aux agriculteurs.

Après ce discours, les habitants ont exprimé leur mécontentement, exigeant de les récupérer sur place, car une fois les semences envoyées sur les collines, expliquaient-ils, les petits agriculteurs n’y auront plus accès : « C’est ce qui se passe lors de la distribution du sucre, seuls ceux qui ont des moyens en ont accès. » D’autres ont supplié : « Donnez-nous au moins deux kilos chacun, car nous sommes venus ici parce que nous en avons besoin, et nous ne faisons pas confiance à la distribution sur les collines. »

Les agriculteurs confrontés à moult défis

Malgré l’insistance, le gouverneur n’a pas bronché en assurant qu’un comité a été mis en place pour superviser la distribution : « Nous irons dans toutes les communes pour vérifier comment elles sont distribuées. Soyez rassurés, nous avons entendu toutes vos préoccupations. »

Au-delà de cette scène surréaliste,  les agriculteurs des provinces de Ngozi et Kayanza interrogés, indiquent faire face à plusieurs problèmes communs. Parmi ceux-ci, on trouve le retard dans la livraison des semences sélectionnées et des engrais, l’augmentation du prix du fumier local, le manque de moyens pour payer les engrais, et bien d’autres.

Matronne Niyibitanga rencontré au milieu de son champ de maïs en commune de Mwumba à Ngozi, a déclaré : « Je plante du maïs Pann 53 gardé lors de la saison C et j’utilise le reste de l’engrais acheté lors des  dernières saisons pour profiter de ces premières pluies. Sinon attendre les semences distribuées ne ferait que me retarder et hypothéquer ma prochaine récolte. »

D’après elle, la plupart d’agriculteurs utilisent des semences qu’ils ont conservées faute de moyens pour acheter du maïs hybride, qui coûtait autrefois 53 000 FBU avant que le gouvernement ne fixe le nouveau prix à 4 200 FBU par kilo. D’autres agriculteurs sont en train de planter des semences locales qu’ils ont achetées aux multiplicateurs de semences. Ils ont demandé que ces semences, qui sont originaires du Burundi, soient testées, et qu’ils puissent également être formés sur la manière de les multiplier pour qu’ils puissent aussi en bénéficier. Et de supplier que ces semences hybrides arrivent à temps.

Le ministère de tutelle et l’administration optimistes

Contactées, les autorités en charge de l’agriculture à Ngozi et Kayanza confirment que certains habitants ont appris à conserver du maïs, tandis que d’autres gardent ce qu’ils ont acheté pendant la saison précédente. Le retard dans la livraison des semences est un problème récurrent surtout à cause de la pénurie du carburant, expliquent-elles.  

Concernant les semences locales, Émile Kubwimana, directeur du BPEAE de Ngozi informe qu’il existe des semences testées par l’institut ISABU et demande aux agriculteurs de les adopter malgré la crainte d’un faible rendement : « Nous ne devons pas considérer cela comme un défaut car ces maïs locaux, malgré leur faible rendement, mûrissent rapidement, permettant ainsi à l’agriculteur de se préparer pour la prochaine saison culturale. Cependant, les semences hybrides, bien qu’elles donnent un rendement élevé, prennent plus de temps à mûrir. »

Même son de cloche chez le Colonel Rémy Cishayo, gouverneur de la province Kayanza pour qui, les semences locales doivent absolument être testées et gardées. « Que se passera-t-il si les semences importées ne sont plus disponibles ou bien si le soutien de nos partenaires venait à s’estomper ? Nos semences locales sont bonnes et produisent bien lorsqu’elles sont plantées. Elles doivent être multipliées et conservées car les abandonner reviendrait à perdre notre identité », a-t-il martelé.

De plus, affirme-t-il, les habitants ont appris à s’adapter, et beaucoup ont déjà planté : « Nous n’avons pas de pénurie de semences de maïs dans notre province car certains projets nous ont fournis des semences à temps, et d’autres agriculteurs ont gardé des semences restantes de la saison C. »

Multiplicateurs de semences et commerçants pas en reste

Et de conclure : « Les semences (PAN 53) en train d’être distribuées aident à soutenir ceux qui n’ont pas encore semé, car tout le monde n’a pas les mêmes moyens financiers ni les mêmes terres cultivables. »

Côté producteurs de semences et commerçants, la situation n’est guère favorable. Sous anonymat, un multiplicateur de semences de la commune reproche aux agriculteurs de se désintéresser à leurs produits : « J’ai 1,5 tonnes de semences. Habituellement, à cette période, j’aurais déjà vendu une bonne partie, mais maintenant, les acheteurs viennent au compte-gouttes. Avec l’arrivée des semences importées, nous ne trouvons plus de clients pour nos produits locaux. »

Et de pointer l’absence de sensibilisation en amont pour appeler les agriculteurs à acheter  le maïs local : « Beaucoup préfèrent acheter du maïs du Rwanda. » Interrogé à ce sujet le responsable de l’agriculteur  à Ngozi dément ces informations, affirmant que les frontières sont fermées et que cette personne pourrait avoir fourni des informations incorrectes.

Côté commerçants, ceux-ci affirment que  le maïs acheté à un prix élevé est vendu à 53 000 BIF pour 2 kg. Bien qu’ils aient acheté ces produits légalement et avec les autorisations nécessaires, ils ne parviennent pas à les écouler en raison de la concurrence accrue. Et de demander au gouvernement de leur permettre d’acheter ces produits à des prix réduits afin de pouvoir les vendre à des prix plus abordables.

Quid de l’engrais chimique?

Dans ces deux provinces, les agriculteurs ont témoigné qu’ils ont déjà mis du fumier organique dans leurs champs, mais se plaignent du retard des engrais chimiques malgré le paiement anticipé. Les agriculteurs que nous avons rencontrés, ont expliqué qu’ils utilisent des engrais chimiques achetés pendant la saison  précédente. Ils demandent que les engrais et les semences soient disponibles dès le mois d’août ou début septembre afin de démarrer la saison culturale à temps et que tous les types d’engrais soient fournis.

Emile Kubwimana, Directeur Provincial de l’Environnement, l’Agriculture et l’Elevage

A ce sujet, le DPEAE Ngozi rassure les agriculteurs car la période de paiement anticipé est terminée et que la distribution des engrais chimiques a commencé le 7 octobre 2024. Du côté de la province de Kayanza, le gouverneur indique que tous les engrais nécessaires sont arrivés malgré les difficultés de transport, mais que les agriculteurs ont surtout besoin de la chaux dolomitique fournie par la FOMI : « Pour l’intrant dit dolomie, nous avons commandé 3.108 tonnes pour cette saison culturale mais nous  avons jusqu’à maintenant reçu  413 tonnes, soit 13% seulement. »

Contacté, Ferdinand Manirakiza, chargé de la communication à FOMI, révèle que l’usine prévoit de fournir pour la saison A 2025, 46. 968. 500 tonnes de Fomi Imbura, 28. 952. 300 tonnes d’Urée et 2. 263. 800 tonnes de Fomi Bagara. En outre, l’usine fournira également 6.319 tonnes de chaux agricole dans les provinces de Gitega, Rutana et Mwaro.

Pour rappel, au chapitre de l’importation d’engrais chimiques, les coûts ont été multipliés par 9 en 2023 par rapport à 2015, atteignant 85 millions de dollars contre 9,4 millions de dollars il y a 9 ans, soit une augmentation de 246 millions de BIF.

Des recours aux engrais organiques

En attendant l’arrivée de ces engrais chimiques, le fumier organique a toujours la côte dans bien de ménages. En effet, sans ce fumier, explique une agricultrice  rencontrée à Ngozi, les récoltes ne seraient pas aussi bonnes, car ces deux types d’engrais se complètent. De plus, la stabulation permanente aide à augmenter le fumier organique, ce qui contribue grandement à l’agriculture : « La politique gouvernementale de nourrir les animaux à domicile a été bénéfique, car le fumier s’accumule rapidement. » En plus de ce fumier animal, le compost est également utilisé, car il est fortement recommandé. Il n’y a pratiquement pas de maisons sans compost.

À Kayanza, les habitants ont appris à fabriquer le fumier organique à partir des urines. Une femme de la commune de Gatara confie : « Je ne compte plus sur l’engrais chimique qui arrive avec retard. J’ai commencé à utiliser ce fumier depuis 2020 et la récolte est satisfaisante par rapport à celle obtenue avec l’engrais chimique. » Suite à ce succès, une coopérative appelée Tuzamurane a lancé le projet de fabriquer ce type de fumier. Ils utilisent les urines avec des herbes et ont constaté que ce fumier donne des rendements élevés, remplaçant même l’engrais chimique.

Des propos corroborés par le gouverneur de Kayanza qui indique que le fumier organique est largement utilisé et que presque tous les habitants possèdent au moins deux composteurs. De plus, la politique de l’élevage à domicile est arrivée à point nommé. Non seulement le fumier s’accumule rapidement, mais les conflits ont diminué car personne ne se plaint plus de la destruction de leurs cultures. Concernant ceux qui utilisent des déchets organiques, il déclare qu’ils devraient continuer à expérimenter cette technique et attendre que les experts viennent vérifier qu’il n’y a pas de conséquences néfastes pour la santé humaine.

Boost agricole à Kayanza

Dans la province de Kayanza, pour augmenter la production, les agriculteurs cultivent toute l’année, même pendant la saison sèche, en utilisant l’irrigation. Cela a permis de récolter l’année dernière environ 10 milliards de tonnes de maïs, selon le gouverneur de Kayanza. Il a ajouté qu’ils ont adopté la culture en bloc, où tous les agriculteurs sèment et récoltent en même temps, ce qui améliore la production car personne ne cultive sans utiliser d’engrais, qu’il soit organique ou chimique.

Les habitants que nous avons rencontrés dans leurs champs de la commune de Matongo témoignent que la culture en bloc est bénéfique car, en plus d’obtenir une production abondante, elle réduit également le vol par rapport à la période où ils ne pratiquaient pas encore cette méthode.

Notons que par ailleurs, dans le budget prévu pour l’année 2024-2025, le secteur de l’agriculture se verra attribuer une somme de 334 563 309 171 FBU, représentant 7,1 % du total du budget.

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