Manque de précipitations, insuffisance de semences et d’engrais chimiques,…les agriculteurs de Mwaro ne savent plus sur quel pied danser et disent craindre une baisse de récolte pour la nouvelle saison culturale amorcée. Les autorités agricoles et l’administration tranquillisent. Reportage.
A une soixantaine de kilomètres de Bujumbura, la saison culturale B bat son plein en commune Gisozi de la province Mwaro. Tout le monde ou presque a sorti sa houe, certains défrichent le sol, tandis que d’autres sont entrain de semer le haricot.
A.K., rencontré sur place n’y va pas par quatre chemins : « A l’heure où l’on se parle je n’ai eu que quelques kilos d’intrants et cela ne présage rien de bon car je risque d’avoir une mauvaise récolte. »

Depuis le début de la saison culturale B, confie ce père de trois enfants, seuls ceux qui ont obtenu l’engrais chimique peuvent espérer une bonne récolte. Les autres subiront, à coup sûr, prévient-il de lourdes pertes : « Celle ou celui qui n’a pas semé durant les deux premières semaines de février, n’aura pas une bonne récolte non seulement à cause du manque d’intrants mais également des précipitations qui risquent de s’estomper précipitamment. »
La situation est similaire sur la colline Gihinga de la commune Kayokwe où Selemani Nyandwi qui dit utiliser du fumier et de la cendre pour ne pas retarder les semis faute d’avoir de l’engrais chimique : « Je ne fais pas trop d’illusions quant à la récolte car chaque fois qu’il y a retard dans la distribution de l’engrais chimique, cela se répercute sur notre production. Et à l’heure du changement climatique où la pluie semble se faire désirer, nos cultures risquent de sécher tout simplement. »
Cette inquiétude est partagée par d’autres agriculteurs de Mwaro qui comme M. Nyandwi utilisent du fumier organique : « Nous avons l’habitude de mélanger ce fumier avec de l’engrais chimique et sans cette astuce, il est difficile d’espérer de bons rendements. »
Prix de semences en hausse
Alors que le DPEAE affirme qu’il n’y a pas de problème de semences, les agriculteurs et les multiplicateurs de semences témoignent qu’il y a carence de ces dernières et celles qui existent sont coûteuses.
Les agriculteurs de Mwaro cultivent principalement des haricots et des pommes de terre pendant cette saison, ils plantent des semences de haricots sélectionnées qu’ils ont conservées eux même et d’autres achetées au marché.
A ce propos, AK témoigne : « Nous obtenons des semences sélectionnées. Comme moi qui cultive des haricots et les ai stockées, elles sont de bonne qualité. Mais ceux qui vont les acheter au marché trouvent cela coûteux car le kilo d’haricot atteint 3500 Fbu. » Même son de cloche chez Selemani Nyandwi qui affirme que les semences de pommes de terre sont chères, le kilo atteignant 4000 Fbu selon lui et n’étant pas facilement disponibles.

Marc Bacanamwo, multiplicateur des semences en province Mwaro et secrétaire général du Collectif des producteurs de semences du Burundi est du même avis : « Les semences de pommes de terre ne sont pas disponibles car la pluie a tardé, retardant ainsi la plantation pendant la saison précédente. » Pour que les semences de pommes de terre soient disponibles, explique-t-il, cela prend deux mois. Donc, comme les agriculteurs récoltent maintenant, il n’y a pas de semences car ils ont planté en retard lors de la dernière saison agricole : « Cela nous oblige à utiliser des méthodes rapides de maturation des semences, ce qui n’est pas bon. »
Et d’insister : « L’indisponibilité de ces semences entraînera de nombreuses conséquences négatives, car les semences actuellement plantées seront utilisées pour la prochaine saison de culture en septembre 2025. »
M. Bacanamwo demande à l’Isabu, l’institut où ces multiplicateurs se procurent leurs semences de pré-base, de fournir les semences à temps car si cet institut ne peut pas fournir les semences en quantité suffisante et en temps opportun, cela affectera la production.
Les autorités tranquillisent
Concernant l’indisponibilité de l’engrais chimique, les autorités administratives et agricoles de Mwaro indiquent être conscientes du problème et rassurent les agriculteurs quant à la résolution de ce problème le plus rapidement possible qu’ils font tout leur possible pour trouver une solution. D’après elles, ces engrais seront disponibles d’ici mi-mars. En attendant, elles encouragent les agriculteurs à continuer de labourer, car le climat peut changer.

Quant à l’indisponibilité d’intrants, Liber Nzokira, le directeur du BPEAE de Mwaro tempère : « Le fumier organique est en quantité suffisante car les habitants ont été formés à sa préparation à l’aide de composteurs. Le principal problème est la disponibilité de certains types d’engrais chimiques. »
L’engrais Bagara, fait-il savoir, a été distribué en quantités suffisantes pour répondre aux besoins des agriculteurs. En revanche, l’engrais Imbura indispensable pour cette saison, n’est disponible qu’à 50% : « Nous ferons tout notre possible pour que tous les agriculteurs puissent l’obtenir d’ici le 15 mars. »
Des chiffres inquiétants
Selon les statistiques provisoires de la disponibilité des engrais révélées par le DPEAE, pour l’engrais Imbura: 3106 tonnes demandées, 1174,25 tonnes sont disponibles (près de 40 %); l’engrais urée: 785 tonnes demandées, 2 tonnes sont disponibles ; l’engrais Bagara : 1780 tonnes demandées, 222 tonnes sont disponibles et pour la chaux: 1200 tonnes demandées, 800 tonnes sont disponibles. Et d’appeler les agriculteurs à ne pas se décourager car bien que l’urée ne soit pas encore arrivée, ils pourront l’utiliser pour le sarclage ou le buttage.

Pour le colonel Gaspard Gasanzwe, gouverneur de la province de Mwaro, ce problème de livraison d’engrais à temps n’est pas limité à la province de Mwaro uniquement : « Cette situation s’observe un peu partout dans le pays et le principal problème actuellement est l’engrais de type urée, et le BPEAE affirme que celui-ci n’est disponible qu’à 5% jusqu’à présent ». Pour lui, cet engrais était disponible en quantité suffisante, la récolte serait bien meilleure que l’année dernière.
En attendant une solution pérenne, ces responsables partagent ce qui est disponible entre agriculteurs afin que ces derniers puissent participer à semer. En outre, comme les agriculteurs ne reçoivent pas de remboursement pour l’argent qu’ils ont payé, leur somme est considérée comme une dette.
La préférence nationale comme solution
L’indisponibilité des semences en quantité suffisante qui s’observe o travers le pays s’explique par plusieurs facteurs selon Marc Bacanamwo. Les Burundais, soutient-il, n’apprécient pas beaucoup les semences locales en raison d’un manque de connaissances, préférant utiliser des semences importées qui ne se conservent pas bien pour une future utilisation et cela décourage de nombreux multiplicateurs locaux : « Par exemple, pendant la saison culturale A 2025, nous n’avons pas vendu nos semences en raison de l’arrivée massive de maïs hybride en provenance de Zambie, ce qui a causé des pertes. »
Pour éviter cette importation de semences, il faut que les agriculteurs et les partenaires qui aident le Burundi signalent à l’avance les semences dont ils ont besoin pour que ces multiplicateurs locaux puissent les cultiver, car les recherches faites par Isabu montrent qu’il existe des variétés locales de maïs aussi productives que les variétés importées : « Il est crucial que le gouvernement et les responsables motivent les agriculteurs à utiliser les semences locales pour réduire l’importation de semences étrangères. »
Propos corroborés par le professeur Paterne Nahimana, expert en transformation alimentaire pour qui, depuis longtemps, les agriculteurs savent comment conserver les bonnes semences pour augmenter les récoltes : « Avant de conserver les semences hybrides, les agriculteurs devraient d’abord consulter l’institut de recherche agronomique ou le ministère de l’agriculture afin de s’assurer qu’elles ne seront pas mal conservées et ne produiront pas un mauvais rendement. » Même avec l’importation annuelle de nouvelles semences sélectionnées, conclut-il, les semences locales doivent être préservées pour le bien du pays.
Jimbere a contactés le ministère de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage ainsi que le FOMI pour obtenir des éclaircissements relatifs aux semences et fertilisants, sans succès.
Pour rappel, en 2021, le Burundi a importé 56. 000 tonnes d’engrais, puis 89 936 tonnes en 2022. En 2023, ce sont 139. 535 tonnes d’engrais qui ont été importées pour une somme de 246,5 milliards de Fbu et enfin 16. 680 tonnes d’engrais importées seulement en 2024.
