Au lendemain d’un café littéraire tenu à l’honneur du livre « Trésors du Burundi ancestral » de Perpétue Miganda, un lecteur saisonnier, Louis-Marie Nindorera, nous en livre une recension admiratrice
En 2017, cet ouvrage parut avec la discrétion et le détachement d’une jeune fille en mvutano qui se rendrait à une répétition de danse traditionnelle, en se frayant son chemin au milieu d’un rassemblement politique. Cette année-là, écrire sur la culture et les traditions rundi allait à rebours du climat d’alors, tendu et toxique.
Tout présageait plutôt la publication de brûlots politiques aussi fâchés, clivés et irraisonnés que les esprits du moment. Pour moi, acheter ce livre relevait donc plus d’un acte de résistance politico-culturelle, en revendiquant le droit de la culture rundi à exister et prospérer au-delà des contingences du moment. Le lire pour apprendre était secondaire.
Et de fait, je ne l’ai lu qu’il y a un mois, soit cinq ans après l’avoir acheté, prêté et perdu ! Ce fut pourtant un petit régal que de remonter les souvenirs de l’auteure.
De premier abord, par son titre racoleur, sa superbe jaquette et ses diverses illustrations, le livre a l’allure suspecte d’un produit de marketing touristique camouflé en essai d’anthropologie culturelle. À mon agréable surprise, ses premières pages découvrent un genre hybride, à la croisée de l’autobiographie et de l’essai d’anthropologie culturelle. Et l’un nourrit l’autre.
Le récit de vie de Perpétue n’aurait eu ni intérêt ni saveur particulière, sans éclairages sur le savoir et les croyances traditionnels qui la maintinrent en vie et façonnèrent sa personne. Quant aux faits d’anthropologie culturelle dont ce livre est émaillé, ils auraient eux-mêmes été ennuyeux à lire s’ils n’avaient habilement été moulus et dissous dans le récit de vie d’une famille, d’une communauté pour comprendre leur manière de se souder et ressouder à travers bonheurs et tragédies, par ces savoirs anciens et ces pratiques sociales qui avaient des fonctions et faisaient leur preuve.
Née en 1958 à Karambi (Mwaro), un petit coteau logé dans une « contrée de monts et vallées verdoyants », Perpétue est la dixième d’une fratrie qui, avant elle, avait déjà perdu cinq de ses membres, précocement. Elle vint au monde après trois naissances qui tournèrent court. Les deux premiers enfants d’Aloys Miganda et Elisa Baricako, ses parents, ne vécurent pas non plus.
Ainsi, les Burundais savaient assez des hauts et bas communs de leur vie pour convenir de règles essentielles de cohésion familiale et cohabitation communautaire pacifique et harmonieuse.
Plutôt que d’énoncer ces règles telle une charte, l’auteure les fait transparaître à travers une litanie de récits anecdotiques et prosaïques relatant le quotidien de sa famille et de sa communauté, sous la bienveillance légendaire prêtée au Prince Karabona et la toute-puissance protectrice de Dieu.
Les veillées familiales, les fêtes et leur protocole soigné, la méticuleuse préparation des mets et des boissons, l’union des familles du déchirement des départs à la visite des jeunes foyers, etc. tout y passe. C’est dans ces récits réels de vie que des mots, des adages, des chants, des contes sont expliqués, replacés dans leur contexte, redécouverts dans leurs sens originels. Mais tous ces récits auraient quand même formé un amas indigeste de savoirs si Perpétue n’avait pas « humanisé » son œuvre avec son art de décrire les divers sentiments des acteurs de son livre, entre tristesses, colères, détresse, incrédulités, orgueil, etc.
Au final, son travail partage une somme de connaissances qui s’appréciera et s’assimilera selon les besoins du moment de chacun. La quatrième et dernière partie du livre prend la tournure abrupte d’un plaidoyer mille fois légitime pour le retour à certaines valeurs d’antan.
Toutefois, cet épilogue fait contraste avec les trois premières parties du livre, par le changement radical du registre d’écriture et la construction quelque peu sommaire de son argumentaire.
Qu’à cela ne tienne, dans son propre style, Perpétue Miganda, avec ses « Trésors du Burundi ancien », s’ajoute à la lignée d’autres auteurs burundais, comme Joseph Cimpaye et Michel Kayoya qui écrivirent à la mémoire et au respect des valeurs rundi. A l’image de Kayoya qui fonda en 1963 un « centre culturel du Buyogoma », Perpétue Miganda a créé à Karambi, sur sa colline natale, un espace éco-culturel « Kwa Miganda » pour promouvoir ce retour aux sources qu’elle prône.
En soi, c’est rassurant de savoir qu’un demi-siècle plus tard, Kayoya, Ntahokaja et d’autres font toujours des émules. A n’en pas douter, Perpétue elle-même fera les siens, qui existent déjà dans sa propre progéniture !