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Santé mentale

« La maladie mentale est une responsabilité partagée »

La maladie mentale n’affecte pas seulement la vie de la personne qui en souffre. Elle entraîne des bouleversements dans le quotidien de sa famille et son entourage. Entretien avec le Dr Levi Rukundo, psychologue clinicien, auteur du livre “Mental Health Therapist”, qui insiste sur la qualité de la relation parents-enfants pour dépasser les traumatismes et les stéréotypes…

À quelles blessures émotionnelles les mariages interethniques sont-ils exposés lorsqu’ils ne sont pas compris/soutenus par leurs familles?

Pour mieux comprendre à quelles blessures émotionnelles les mariages interethniques sont exposés s’ils ne sont pas compris ou soutenus par leurs familles, il convient de connaître d’abord ce que sont les blessures de l’âme. Après cela, il faut connaître la qualité du soutien apporté à chaque mariage, le contexte de l’union et aussi les valeurs socio culturelles de la communauté dans laquelle vit le couple. En effet, on ne peut pas parler de blessures émotionnelles liées à un couple incompris ou mal soutenu comme tel mais plutôt de facteurs qui ravivent les blessures latentes de l’âme chez les sujets. Dans ce cas, chaque personne revit individuellement ce qui n’était jusque-là pas manifeste.

Qu’est-ce qu’une blessure d’âme?

Généralement, c’est une blessure très profonde et très intense qui influe sur la vie et qui va être à l’origine d’un masque, une carapace face aux autres. Les blessures de l’âme sont profondément ancrées et gravées dans le subconscient d’une personne et ont souvent été transmises par les parents, eux-mêmes ayant été blessés dans leur propre enfance. Une même personne peut avoir plusieurs blessures qui s’expriment à des degrés différents. Ces blessures jouent un rôle important dans la vie puisqu’elles conditionneraient les comportements, les pensées, le relationnel et les émotions d’une personne.
On dit qu’une personne souffre au moins de trois blessures, une blessure étant généralement plus dominante que les autres. La prise de conscience de sa blessure personnelle vient entamer le processus de guérison. L’objectif étant se de libérer de sa blessure et de tout ce qu’elle engendre chez soi, afin de devenir pleinement soi-même et ne pas être sous l’emprise de certains comportements, émotions ou réactions.
C’est, en fait, tout ce que nous vivons de désagréable dans notre vie sur le plan mental, émotionnel et physique. Ainsi, l’anxiété, la peur, la culpabilité, les émotions telles que la colère, l’agressivité, certaines maladies, seraient liées à nos blessures d’âme.

Comment ces blessures d’âme sont-elles gérées?

Formé à l’Université de Minnesota aux États-Unis, Dr Levy Rukundo est psychologue clinicien

Nous pouvons voir que pour chaque «blessure d’âme», correspond un «masque», c’est- à- dire le «mode de défense» que la personne va adopter face à une situation en réponse à l’éveil de sa blessure intérieure. Face à une situation vécue comme désagréable, une personne ne réagirait pas à la situation en elle-même mais réagirait à la blessure d’âme que la situation éveille en elle. Ce serait pour cette raison que certaines personnes se sentent comme étant sous l’emprise de leurs émotions, comme prisonnières de leurs propres réactions, qu’ils ne maîtrisent pas.
De manière chronologique, on parle de cinq blessures d’âme: le rejet, l’abandon, l’humiliation, la trahison et l’injustice. Toutes ces blessures peuvent être remarquées chez un couple et leur progéniture. Je l’ai dit, cela dépend de plusieurs facteurs dont la qualité du soutien des familles, la personnalité des mariés et le contexte du mariage, les normes culturelles ainsi que la tolérance-intolérance de la communauté dans laquelle vivent les couples.

Le fait de ne pas bénéficier du soutien de leurs familles résulterait-il des traumatismes liés au passé douloureux du pays?

Chaque individu, chaque couple et chaque famille a besoin de bénéficier d’un support social pour se sentir confortable dans la société. Quand la société est disloquée, cela a des conséquences terribles et des impacts nocifs sur les individus et les familles entières. Par exemple, les violences et la hausse du nombre des divorces, que l’on observe dans nos sociétés, sont dues aux traumatismes liés au passé douloureux du pays qui altère les valeurs morales et fendille la cohésion sociale.
Le passé douloureux d’un pays laisse les familles dans une impasse financière qui permet la constitution des classes sociales creusant des failles sans pont entre les riches et les pauvres. Cette distanciation entre les citoyens d’un même pays injecte dans leurs habitudes des attitudes de méfiance et permet la formation des clichés et des préjugés parmi les gens de la même communauté.

Existe-t-il des comportements spécifiques à un certain groupe ethnique qui pourraient nuire aux mariages comme le sous-entendent certains Burundais ? Comment expliquez-vous ces clichés ?

Le cas des groupes ethniques du Burundi est complexe depuis la nuit des temps. Les gens qui ont eu des spéculations politiciennes ont présenté l’histoire des mariages interethniques différemment, mais la réalité est que dans chaque groupe ethnique, dans chaque groupe social et aussi dans chaque couple, on trouve des comportements susceptibles de nuire à chaque mariage.
Je pense ici que vous ne faites pas allusion au mariage interethnique comme pour la première question, car il se remarque que rare sont les Batutsi qui prennent en mariage les femmes Bahutu alors que les Bahutu se marient aux femmes de Batutsi. Ce phénomène ne se remarque pas chez le Batwa à ma connaissance, même s’il n’existe pas de règle sans exception. Les analystes sociologues invoquent certainement le contexte historique socio-politique du Burundi en soulignant certains des comportements psychologiques et corporels spécifiques des femmes de chaque ethnie, mais tout semble déverser dans les clichés et préjugés.

Comment les parents et leurs enfants peuvent-ils dépasser ces stéréotypes ?

Pour mieux répondre à cette question, il convient d’abord de définir ce que nous entendons par stéréotypes. Les stéréotypes sont des caractéristiques que la société attribue à un groupe de personnes pour les classer instinctivement, par exemple selon leur âge, leur poids, leur métier, leur couleur de peau, leur sexe ou leur appartenance ethnique. Lorsque les filles et les garçons sont associés à deux univers séparés, on parle de stéréotypes sexuels.
Tout le monde entretient des stéréotypes, car c’est la méthode utilisée par le cerveau pour trier l’information. En effet, les stéréotypes sont des « raccourcis » empruntés inconsciemment pour aider les gens à prendre des décisions plus facilement et plus rapidement, d’où la tendance à y adhérer sans réfléchir.

Et la société burundais y fait particulièrement recours…

En fait, les stéréotypes sont des idées toutes faites et des images caricaturales qui influencent négativement notre façon de percevoir les gens, d’interagir avec eux et de les traiter. Autrement dit, ils imposent des limites à la personne qu’ils visent, l’enferment dans un rôle qui ne lui convient pas nécessairement et l’empêchent d’être qui elle est réellement.
Comme je viens de le dire, il y a plusieurs sortes de préjugés et stéréotypes. Prenons par exemple les stéréotypes liés au genre : il faut le concours de l’environnement de la famille aussi. Combattre les préjugés et les stéréotypes liés au genre se fait via l’éducation. Les élèves, les parents, les enseignants, les gouvernements et les partenaires de développement doivent être amenés à combattre les préjugés et les stéréotypes liés au genre dans et par l’éducation.

Comment aider les enfants à grandir sans stéréotypes et préjugés?

Le cerveau de votre enfant se développe très rapidement dès les premières années de sa vie. Des millions de connexions neuronales vont se former dans le cerveau de votre enfant à partir des expériences qu’il va vivre au quotidien.
Vers l’âge de trois ans, les enfants commencent à développer un sentiment d’identité de genre, qui continue à se consolider à mesure qu’ils grandissent. À l’âge de 5 ans, les enfants ont un sens de la stabilité du genre, et commencent à exprimer leur identité de genre à la fois par des mots et des actions. Contrairement au terme «sexe», qui désigne les différences biologiques entre les femmes et les hommes, le «genre» fait référence aux relations sociales entre les femmes, les hommes, les filles et les garçons. Il peut varier d’une société à l’autre et à différents moments de l’histoire. A cause de ces préjugés, les enfants apprennent progressivement à se comporter selon ces normes, ce qui peut nuire à leur développement social et émotionnel.

Il est donc important de cultiver la qualité des moments passés avec les enfants…

Dès le premier jour, les filles et les garçons doivent être nourris, éduqués et pris en charge de la même manière. La relation que vous entretenez avec votre enfant est le fondement de son développement. Les enfants peuvent se développer à des rythmes différents, mais les étapes du développement des garçons et des filles sont les mêmes. Jouer, lire, manger ensemble: tout cela aide votre enfant à apprendre et à se développer, quel que soit son sexe. Lorsqu’il s’agit d’aller à l’école, de jouer ou d’effectuer des tâches ménagères, les garçons et les filles doivent participer de manière égale.
Les enfants reproduisent le comportement de leurs parents et des adultes qui les entourent. Il est donc intéressant de se questionner sur nos comportements au quotidien et leur impact sur les enfants pour normaliser l’égalité des genres à la maison. Chaque membre de la famille doit pouvoir partager un rôle égal dans l’éducation, la création de liens et les soins à apporter à l’enfant.

Les parents élèvent leurs enfants avec pourtant beaucoup de projections…

Les enfants répondent aux attentes des parents car un enfant a envie de plaire à ses parents, pour se sentir sécurisé. C’est d’ailleurs une autre des responsabilités des parents: faire en sorte que l’enfant ne soit pas trop dépendant de ce sentiment de plaire. Et donc de ne pas être dans la crainte de décevoir ses parents. Du côté des parents, il est important d’accepter que notre enfant ne soit pas forcément exactement comme nous l’imaginions.
Voilà un modèle applicable par les parents et les enfants pour dépasser ces stéréotypes. Ici nous avons pris le genre pour conclure que chaque type de stéréotype peut avoir une manière spécifique de le dépasser.

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