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Un peu d'Histoire...

Les « boys » avec l’arrivée des Arabes et des Européens au Burundi

Dès 1850, des Arabes, des Zanzibarites et des Européens venus par le lac Tanganyika arrivent au Burundi pour différentes missions comme le commerce, l’exploration, la religion (islam et christianisme) et la colonisation. Pour bien accomplir leur travail, ils ont besoin d’auxiliaires, en plus des porteurs (Wapagazi, en Kiswahili) composés d’hommes et de femmes originaires du littoral de l’océan Indien…

Quant aux recrutements effectués au Burundi même, notamment au nord du lac Tanganyika, ils étaient en général plus modestes : quelques dizaines en général, témoignent les archives sur cette période. Les Barundi étaient très réticents à se laisser enrôler par des étrangers dont ils ne connaissaient rien et pour des itinéraires lointains qui les inquiétaient. En outre, comme l’observe le Père Van der Burgt en 1896, les Burundais n’avaient pas l’habitude de porter des fardeaux sur les épaules comme les Banyamwezi, mais seulement sur la tête, ce qui leur faisait craindre des colis trop gros.

Contrairement à ce qui se passait dans la période précoloniale devant une telle réticence, les recrutements durent se faire sous la contrainte, avec, parfois, la complicité des chefs, amenés bon gré mal gré à répondre aux exigences des Européens.

L’exploitation des domestiques prennent ouvertement origine pendant la colonisation. Il n’y a plus de sacralité ni de fierté dans les services domestiques rendus aux blancs ou aux évolués, Abasirimu ou Abasisita (des Burundais « assistants », auxiliaires des Blancs).

L’histoire coloniale retiendra qu’au mois de mai 1900, le Père Van der Burgt a exploité la bonne volonté de deux petits batware (chefs) voisins de sa mission de Mugera. En juin suivant, à Muyaga, Lionel Decle va plus loin, en forçant dix chefs des environs à lui fournir 162 domestiques corvéables destinés à renforcer la cinquantaine de porteurs qu’il a amené avec lui.

Le docteur Richard Kandt, bloqué à Usumbura de septembre à décembre 1898 par ce problème de portage, nous en donne, selon son habitude, une description particulièrement colorée: la caravane qui l’avait accompagné jusqu’au lac Tanganyika depuis Tabora s’étant disloquée et presque tous ses porteurs ayant regagné Ujiji par bateau, il s’emploie à les remplacer par des recrues locales. Ses efforts restant vains malgré l’appui de la station militaire allemande, il doit finalement faire venir 17 hommes de Tabora et se contenter de 6 porteurs et de quelques domestiques recrutés sur place. Les récits historiques donnent des cas « incidents » où des domestiques et des porteurs ont quitté farouchement leurs patrons ou et d’autres plus rebelles cherchaient à régler leurs affaires avant de repartir : revendications, criailleries, disputes et négociations sur le salaire la qualité des rations quotidiennes (i posho), des heures de travail, etc.

Avec l’arrivée des Arabes et Européens, l’économie burundaise se monétarise, face au troc en disparition. Du coup le statut socio-économique des porteurs et des domestiques les différencie du reste des paysans restés à l’écart des circuits monétaires qui se jouent avec le colon ou le Père Blanc. Progressivement, et qu’importe les conditions de travail qu’offraient les patrons (blancs ou noirs), les gens viennent demander du travail domestique. Les affluences vers les missions catholiques (Abanyakazi bo kwa padiri), les exodes ruraux vers les centres extra-coutumiers se multiplient. La plupart de ces domestiques étaient de sexe masculin, d’où l’appellation de boy : les premiers porteurs venant du littoral de l’Océan Indien qui accompagnaient les explorateurs étaient communément appelés ainsi.

Selon Burton, au milieu du XIXe siècle, les Banyamwezi se faisaient payer l’équivalent d’une dizaine de dollars (c’est-à-dire de Thaler de Marie-Thérèse, la monnaie de compte de l’Afrique orientale) pour se rendre de la côte à la région de Tabora, soit environ 50 francs français de l’époque. En 1871, Stanley dut payer à Sewa Haji l’équivalent de 12,50 dollars pour le trajet de chaque porteur jusqu’à Tabora, soit 66 francs, un montant dont il faut déduire de 15 à 20 francs de profit pour l’Indien, ce qui laisse 45 à 50 francs par porteur et par domestique.

En 1892, Oscar Baumann affirme que le tarif est de 10 roupies par mois (compte tenu des bénéfices des négociants). Comme le trajet de Tabora demandait trois mois, il devait coûter au voyageur 30 roupies, soit 48 francs. Il fallait ajouter à ce prix les frais de nourriture, estimé par Stanley en 1871 à environ 20 % de supplément. Pour nous faire une idée, comparons ces rémunérations avec celles des ouvriers européens de l’époque : dans les années 1870-1880, ces salaires s’élevaient à environ 3 francs par jour en France, c’est-à-dire à peu près 90 francs par mois. Avec 15 à 16 francs par mois, les porteurs et domestiques est-africains gagnaient donc six fois moins que ces travailleurs.

Dans cette situation de grande rareté de la monnaie et des denrées de commerce lointain, les domestiques pouvaient faire figure de richards (Abaterambere ou Abasirimu) aux yeux des pairs restés sur les collines. Ils pouvaient désormais se procurer des habits modernes, acheter des produits de luxe comme le sel, l’huile, le savon, se construire des maisons « modernes », plus tard procéder à l’achat de postes de radios ou un vélo. Même après l’indépendance, les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas fait de leur priorité la législation ou l’amélioration des conditions de travail de cette catégorie de travailleurs.

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