La littérature spécialisée sur le Burundi ancestral donne une place très importante à l’élevage – de la vache – au point de rester aveugle non seulement sur l’importance économique de l’agriculture mais aussi sur sa place dans la vie sociale, dans la symbolique pouvoir monarchique et dans l’imaginaire de nos ancêtres.
Avant d’aborder le récit sur l’introduction des plantes d’origine américaine comme le maïs, les patates et les haricots au Burundi, probablement entre la fin du 18ème et le début du 19ème, parlons des vielles céréales d’origine africaine : le sorgho, l’éleusine et les courges.
Le sorgho (amasaka), présent sous des variétés rouges ou blanches, est une céréale capable de résister aux accidents climatiques, notamment aux sécheresses. Pour la petite histoire, lors de la grande famine de 1928[1], 60% du sorgho avait survécu à la sècheresse catastrophique de l’époque. Semée en décembre, cette céréale est moissonnée en juillet. Dans le Burundi ancien, à la fin chaque année – vers le mois de décembre actuel – les cérémonies qui annonçaient les semailles du sorgho représentaient le sommet de la manifestation de l’autorité du Mwami.
L’éleusine (uburo), également une céréale, est semée vers septembre et récoltée en avril. Les courges, très appréciées sur le plan culinaire (avec les variétés appelées umwungu) ou pour la fabrication de récipients comme les calebasses ou les barattes (avec les variétés appelées umuhiti), sont plantées à proximité des enclos.
La nourriture burundaise et les rituels
Ces anciennes plantes, l’éleusine, le sorgho, les courges, mais encore l’épinard (isogi) et le bananier jouaient un rôle fondamental, soit dans des pratiques de divination, soit dans le culte initiatique du kubandwa (au cours duquel il était strictement interdit de manger des haricots), ou soit dans les croyances relatives à la royauté (semences avec lesquelles le prince héritier était censé naître). L’éleusine et le sorgho, étaient également très employés lors des rituels agraires. La bergeronnette, l’oiseau divin par excellence, était invoquée pour ces cultures au même titre que pour la construction d’une nouvelle maison.
Sagesse populaire burundaise et les cultures
Dans les contes (imigani), un bon repas est symbolisé par la boule de pâte. En cas de disette, les récits de ces contes indiquent que les gens se mettaient de façon farfelue en quête de l’éleusine ou du sorgho. Par exemple, on raconte l’histoire d’un homme qui rencontra un lièvre (animal très populaire au Burundi comme ailleurs en Afrique) surnommé « Rwamaheke » dont la queue magique pouvait remplir à volonté un panier d’éleusine (Inzara yateye uwo mugabo aca ahura n’urukwavu ruca ruumubwira ruti : « Zana ico giseke ». Hanyuma rushiramwo umurizo ruramukungutira urubere mu kanya isase igiseke kiba kiruzuye). Par ailleurs, dans l’esprit du Murundi d’autrefois, une région productrice de sorgho était synonyme de région riche et heureuse.
Mais dans les proverbes (utugani) et les devinettes (ibisokozo), la culture populaire brise les traditions les plus vénérables et fait écho du succès des nouvelles plantes vivrières. On y découvre un véritable portrait, concret et imagé de chaque plante qui enrobe son role socio-économique. Récit : l’éleusine est la céréale miraculeuse, aux petits grains en nombre infini, qui n’atteindra jamais la taille du cultivateur mais que celui-ci ne pourra également dénombrer. Le sorgho, plutôt social, incarne le travail, oppose l’élégance oisive mais aussi le rapport social : « La pluie sur le sorgho égale un lien d’amitié réciproque ».
La courge serait familiale, telle une femme suivie de ses enfants. Le haricot est la plante nutritive dont l’utilité ne peut être reniée. Le maïs illustre encore plus l’abondance, une sorte de prospérité joyeuse. Il est comparé à des mères portant leurs enfants ou à des mariées aux nombreuses étoffes. Le bananier est symbole de stabilité, de la sédentarité du maître de l’« itongo ».
Relations entre nourritures et boissons dans le Burundi ancien
Les différenciations plus ou moins accusées entre plantes anciennes et nouvelles ne relèvent pas en fait d’un simple décalage de mentalités par rapport à l’économie. Elles dépendent aussi des pratiques de consommation et de leur insertion sociale. Les plantes américaines (haricots, maïs, patates douce) ont été affectées à l’alimentation, tandis que les vieilles céréales ont de plus en plus glissé de vers la fabrication de boissons, c’est à dire vers une consommation plus « sociale » que « familiale », vers un secteur contrôlé davantage par les hommes que par les femmes, vers les relations de voisinage, de réciprocité ou de clientèle et vers la politique.
Au 19ème siècle, les enclos vivaient largement des haricots cultivés et cuisinés par les femmes, mais les cours des chefs ou du roi restaient environnées de champs de sorgho, la plante des réunions viriles et du pouvoir. Le recul du sorgho est très sensible depuis l’époque coloniale, autant qu’une reconversion agronomique (au profit des haricots et surtout des bananiers), il s’agit d’une mutation politique, sociale et idéologique.
[1] JP Chrétien, Les années de L’éleusine, du sorgho et du haricot dans I’ancien Burundi, 1982.
