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Littérature

Lu pour … nous, enfants du « Petit pays »

Véritable phénomène littéraire de la rentrée 2016, « Petit pays » est premier roman du slameur Gaël Faye qui est né et a grandi au Burundi. Il y retrace justement son enfance insouciante, bientôt déchirée par l’éclatement de la guerre civile burundais et le génocide au Rwanda. Une note de lecture de Louis-Marie Nindorera

Couronné par le Prix Goncourt des lycéens et Prix FNAC, « Petit pays » de Gaël Faye est notamment disponible en lecture à l’Institut Français du Burundi

On dit que l’avenir d’un pays est déterminé par la grandeur ou la petitesse de celui qu’il prépare pour ses enfants. Alors préparez-vous à vous faire (re)tourmenter par l’avenir du Burundi en lisant « Petit pays », première œuvre littéraire de Gaël Faye. Suivez les vicissitudes d’un bout de vie d’un bout d’homme, Gabriel (« Gaby »), dix ans, personnage central du roman.

Spectateur impuissant de la désunion de ses parents puis de la descente de son pays dans l’enfer de la guerre civile, Gaby fait ricocher son regard hagard sur un monde qui se désagrège autour de lui. Désemparé, il l’est davantage quand, dans les démences de sa désintégration, ce monde le presse à des choix et des dilemmes traumatiques et précoces pour un préadolescent : Papa ou maman ? Hutu ou Tutsi ? Tuer ou être tué ? Reprendre ou donner ? Se taire ou dénoncer ? Se battre ou se cacher ? Être ou paraître ? Aimer ou être aimé ?

Récompensé par le « Prix du Roman FNAC 2016 », « Petit pays » est une ode à l’innocence de l’enfance. Dans le fouillis de la rentrée littéraire de septembre dernier, « Petit pays » a conquis sa place sous les feux de la rampe par l’art consommé de l’écriture de Gaël Faye et ses choix ingénieux de scènes et d’ « angles de prise ». Du prologue à son épilogue, le roman fait infuser dans nos consciences les tournures d’esprit pures d’un enfant qui ne demande qu’à l’être, dans ses gentillesses sans double-fond, dans ses vagabondages puérils. Avec l’humilité, la candeur et la perspicacité de son âge, Gaby raconte les plaisirs et les espiègleries de ses incartades en bande, à Kinanira. Il partage ses haut-le-cœur et sa perplexité sur les adultes et ses camarades glandeurs quand ils le soumettent à des sollicitations insidieuses et perfides.

Né d’une mère rwandaise réfugiée, en quête frénétique de stabilité, d’un père français jouissif dans l’aventure, Gaby est le témoin régulier de leurs incompatibilités, de leurs querelles et de leurs fréquents replâtrages d’union. Comme pour tenter de comprendre « l’amour », qui vole en éclats entre ses parents sous ses yeux, Gaby en fait le démontage et le réassemblage, comme l’on ferait d’un jouet, en se lançant dans une mignonne relation épistolaire avec une écolière inconnue de France. Quant au « petit pays », il observe le prolongement de ses clivages et de sa fracture dans le microcosme du personnel de la maison et de l’entreprise de son père.

Pour certaines revues littéraires, le roman de Gaël Faye emprunte largement à l’autobiographie. Qu’à cela ne tienne, entre nos mains d’enfants du « petit pays », le roman, ses récits et sa galerie de personnages éveillent en nous des souvenirs tendres et aigres-doux de ces années 1992-1994. Tout parle de nous. Vous vous y retrouverez. Vous vous y reconnaîtrez. Vous reconnaîtrez vos bourreaux si vous étiez victimes, vos victimes si vous jouiez aux bourreaux. A défaut, vous reconnaîtrez vos choix devant les mêmes dilemmes graves que ceux infligés au petit Gaby, auxquels personne ne pouvait échapper ni n’échappe encore aujourd’hui, hélas. Au premier contact, à la première description d’un personnage, vous anticiperez sa trajectoire, la guerre venue, comme aucun lecteur étranger ne saura le faire.

Que « Petit pays » soit autobiographique ou pas, le fait est qu’il est biographique pour des millions d’enfants du Burundi, piégés entre les ravages du désamour et de la pauvreté dans les ménages d’un côté, de la violence et l’immoralité des affaires politiques de l’autre. « Petit pays » a fait grand bruit en France et dans la francophonie riche. Les échos de son succès se fracassent encore aux portes des bistrots et gargotes de Bujumbura qui brassent et diffusent la rumeur sur les mille collines du pays. Serait-ce en attendant que le mouflet se décide enfin à choisir son camp ?

 

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