Au centre de Kirundo, le nom de Goreth est devenu tristement célèbre depuis une certaine nuit moite d’août 2016
Fille sans histoire venue de l’autre bout du pays, Nyanza-Lac, à l’extrême-sud, Gogo pour les intimes officiait depuis deux ans comme serveuse dans un bar au centre de Kirundo. Jusqu’à cette nuit d’août.
La journée qui avait précédé cette soirée s’était annoncée pourtant sous les meilleurs auspices. Un client qui lui devait de l’argent l’avait payée, un collègue avait promis de travailler à sa place, et elle prévoyait de se reposer toute la journée. Mais c’était sans compter sur cet oiseau de mauvais augure dont elle ne veut plus prononcer le nom : « À 10h, je recevais le coup de fil de cet homme que je voyais souvent à mon travail, me disant qu’il avait besoin de me parler. Je suis allé le voir au centre de Kirundo », se rappelle-t-elle.
Arrivé au point de rencontre, elle trouve l’homme tout frais, bien habillé, qui lui demande si elle a envie de partager un verre avec lui. Goreth n’est pas tenté au premier coup, mais l’homme insiste, et lui promet que ce ne sera qu’un seul pot de bière. « Bof, de toutes les façons, je n’ai rien de prévue, et une bière n’a jamais tué personne, me suis-je dit », raconte-t-elle d’une voix monocorde.
L’homme la prend alors sur sa moto et direction Karobogo, à moins de dix kilomètres du centre Kirundo. Sur place, pas de cabaret, mais une maison d’habitation quelconque avec des bancs éparpillés dans la cour. Un homme et une femme sont assis sur un autre banc à l’écart, en train de siroter une boisson dans des gobelets.
« Uno musi, ntakunywa Brarudi, tunywa kavukire », lance son hôte. (Aujourd’hui, on ne prend pas de bière industrielle, on va boire du vin traditionnel, ndlr).
Grisée par le vent de la moto, mise en confiance par la femme assise de l’autre côté, et voyant de surcroît que la tenancière de ce « bistrot » est aussi une femme, Goreth ne se fait pas prier.
On lui ramène une bouteille remplie à ras-bord d’une mixture jaunâtre et un gobelet en plastique. Piquée par la curiosité, elle demande le nom de la boisson, mais la tenancière lui répond sèchement qu’on l’appelle simplement inzoga (nom quelconque pour désigner toute sorte de spiritueux, ndlr).
Qu’à cela ne tienne. C’est sucré, c’est fort, c’est bon. Goreth se régale. Deux bouteilles plus loin, elle regarde l’heure à sa montre : il est 17h. Ce fut son dernier souvenir.
Le trou noir
Le lendemain, Goreth se réveille vers 6h du matin dans un chantier en construction au centre de Kirundo, son slip à mi-cuisse, sa jupe relevée jusqu’aux hanches. Tout est flou, elle est nauséeuse, et tient difficilement sur ses jambes. Elle se traîne lentement jusque chez elle pour dormir, sans se soucier du regard des habitants matinaux du centre.
« Si j’avais eu tous mes esprits, je serai rentrée en me cachant », regrette après coup la jeune femme. Effectivement, elle aurait dû se méfier de toutes ces personnes qui la croisaient, la ville de Kirundo étant très petite. Avant qu’elle n’émerge de son sommeil comateux en fin de journée, toutes ses connaissances avaient déjà appris qu’elle avait passé la nuit dans un chantier, y compris son patron. C’est par un coup de fil reçu dans les brumes de la gueule de bois qu’elle apprit qu’elle avait perdu son travail.
Un mois plus tard, n’ayant pas vu ses menstruations, la jeune femme fais un test de grossesse. Elle est enceinte. Le client qui était allé lui payer de la bière s’en lave les mains. Témoins à l’appui, il jure qu’elle était partie sans dire au revoir. « Comment savoir s’il a menti ou pas ? Je ne me rappelle de rien du tout », lâche-t-elle douloureusement.
Huit mois plus tard, Goreth accouche d’un petit garçon qui ne connaîtra jamais son père et qui vit grâce à une mère aide-maçon. Cette dernière apprendra plus tard avec un pincement au cœur que la boisson qu’elle avait consommé cette journée-là était surnommée Nindanyenze (Qui m’a déflorée ?), appellation que la concoction avait héritée de toutes ces femmes qu’elle avait déshabillées, dans tous les sens du terme.