Tel un partenaire infidèle, le sucre a joué des sales tours bien aux consommateurs qu’aux commerçants ces dernières années par son cirque de pénurie récurrente parfois sévère. Cette fois-ci, il place brusquement la barre trop haut par son coût d’achat revu à la hausse, laissant une incertitude quant à l’avenir de ce flirt vacillant. Dans la foulée, certains commerçants du sucre fustigent des incohérences dans la gestion actuelle de la commercialisation de cette denrée stratégique.
C’est une histoire idyllique que les plus pessimistes envisagent comme étant au bord de la rupture. Depuis 1982, année de la mise en service de la Société sucrière de Moso (Sosumo), les Burundais jouissaient en grande partie du sucre produit localement. Celui-ci étant vendu à un prix plutôt raisonnable selon certains, au regard du pouvoir d’achat des citoyens.
Dans cette relation qui dure presque quatre décennies où les consommateurs semblent tenir la chandelle, le sucre n’a pas cessé de se faire mousser, comme une courtisane déroulant des caprices à son amour éperdu. Plus les années passent, plus son prix monte en flèche.
Le dernier clou dans le cercueil paraît être les nouvelles fixations successives du prix du sucre – par la Sosumo et le Ministère en charge du commerce – revu à la hausse à plus de 100%, passant en premier lieu de 3.300 BIF à 8.000 BIF/kg, puis de 8.000 BIF à 6.000 BIF/kg. De quoi faire réagir l’opinion publique.
Jeter l’éponge ou tenir la dragée haute ?
Dans le contexte où l’inflation reste élevée, la hausse du prix du sucre vient sans doute peser lourd sur le panier de la ménagère, regrettent des observateurs locaux de la vie socio-économique au Burundi. Et ils n’ont pas du tout tort, d’après certains citadins croisés au centre-ville de Bujumbura. Malgré une révision de la structure du prix du sucre produit par la Sosumo à 6.000 BIF/kg, ces derniers déplorent leur incapacité à s’offrir les cristaux de saccharose utiles pour la préparation des rafraichissants : « Le sucre est désormais un produit de luxe. C’est déplorable que nos enfants aillent à l’école sans prendre du thé pour se requinquer. Acheter du sucre revient à se saigner pour un citoyen lambda. Je suis tellement inquiet des conditions auxquelles nombreuses familles sont soumises rendant la vie plus chère », confie une mère de 4 enfants, habitant à Gihosha.
A Gitega, capitale politique du pays, le ton au sein des consommateurs du sucre est consternant. Le respect du tarif récemment fixé n’a pas sa place dans les boutiques comme au marché. Le sucre est toujours vendu à 8.000 BIF ou plus, au grand dam de la population. Les commerçants considèrent ce maintien du prix du sucre à 8.000 BIF/kg, comme un prix raisonnable pour éviter d’écouler leurs stocks à perte : « Il est évident que le sucre ne trouve plus preneurs car son prix n’est pas à la portée de la plupart les bourses. Malheureusement, nous aussi on n’a pas d’autres choix que de le vendre à ce prix, malgré que nos familles n’en consomment plus suite à sa cherté », lâche d’un air désolé Éric*, un tenancier d’une alimentation à Gitega.
Même son d’indignation à Ngozi et à Kayanza, au nord du pays, où certains craignent que d’autres denrées produites à base du sucre connaissent pareil sort avec le risque d’aggraver le coût des charges au quotidien des ménages : « Les boissons et le pain suivront la même tendance, et ça va affecter sensiblement leur consommation. Malheur à ceux qui en éprouvent un besoin vital », indique un fonctionnaire rencontré à Ngozi.
Cette inquiétude est partagée par l’association Burundaise des consommateurs (Abuco). Pierre Nduwayo, son président, regrette que les précédentes révisions des prix du sucre ne tiennent pas compte du pouvoir d’achat des citoyens. Pour lui, « l’Etat devrait bien analyser la comptabilité analytique qui renseigne sur le coût de production d’un kg du sucre, tout en se souciant de la conjoncture économique et du coût de la vie, afin d’assurer une meilleure commercialisation du sucre. »
La Sosumo, fauteur de troubles ?
Les dernières restructurations du prix du sucre semblent créer un malaise dans sa distribution. Et pour cause les approvisionnements de ce produit au niveau de la Sosumo n’ont pas suivi le cours normal ces derniers mois. D’après nos sources dignes de foi, les grossistes ont été enjoints de ravitailler leurs stocks pour le mois de septembre, à 382.500 Fbu/sac de 50kg, alors que le prix initial était auparavant à 159.500 Fbu, soit un différentiel de plus de 200% : « Par crainte d’être rayés sur la liste, certains ont été contraints de contracter des emprunts afin de s’approvisionner au niveau de la Sosumo, alors que celle-ci n’a pas fourni d’explications suffisantes suite à cette hausse signée par elle-même. », confie un des grossistes.
Cette flambée du coût du sucre n’a pas trouvé un écho favorable chez l’opinion. Vendus au détaillant à 8.000 Fbu/kg alors qu’il était à 3.300 Fbu/kg, les stocks de sucre n’ont pas trouvé de preneurs comme d’habitude, ce qui a affecté la commercialisation de ce produit. La situation s’est aggravée, selon toujours nos sources, avec la réaction du numéro Un Burundais qui s’est insurgé contre cette décision de la Sosumo quelques jours après. Une panique générale s’est installée par la suite au sein du cercle restreint des grossistes quant au sort de leurs stocks déjà pleins à craquer en attente vaine des clients, sans que les responsables de la Sosumo n’en pipent mot.
Le revers de la médaille n’a pas tardé à poindre à l’horizon. Dans moins d’un mois, le sucre a été revu à la baisse, passant de 8.000 à 6.000 BIF/kg, bien que les derniers stocks n’avaient pas été totalement écoulés chez les grossistes : « On est tombé des nues lorsque la Sosumo nous a informé soudainement qu’il va distribuer le sucre compte tenu des nouveaux tarifs fixés par le Ministère en charge du commerce, à un cout de 282.500 BIF/sac, tout en faisant la sourde oreille aux commerçants qui ne cessent de demander le sort de leur stock initial invendu jusqu’ici, car il est très cher.», déplore un autre grossiste interrogé.
Le mal est d’autant plus profond que, d’après sources, la Direction générale de la Sosumo plaide contre les doléances des commerçants à l’endroit des partenaires, en l’occurrence les deux Ministères en charge de l’agriculture et du commerce. Certaines indiscrétions au sein des grossistes accusent le DG de la Sosumo en personne, de prendre cette question à la légère, en « se dédouanant que tous les commerçants aient totalement déjà écoulés leurs stocks de sucre initialement vendus à 382.500 BIF/sac. »
Pourtant, la Sosumo tient une base de données des grossistes du sucre et applique toujours de la rigueur pour sa commercialisation en collaboration avec l’administration, étant donné que « l’approvisionnement se fait toujours avant le paiement total des marchandises », selon les commerçants. Or, ces derniers ont à maintes reprises sollicités les organes dirigeants de la Sosumo pour venir s’enquérir de la situation sur terrain, en alertant sur l’état de leurs stocks qui manquent un marché d’écoulement.
Pour ces commerçants qui ont requis l’anonymat, la mise en circulation du sucre vendu à 282.500 BIF/sac n’est qu’un piège pour les ruiner : « Aucun client n’acceptera d’acheter du sucre à 8.000 BIF/kg alors qu’il est vendu officiellement à 6.000 BIF/kg. C’est nous qui paient les pots cassés puisqu’on a plus de choix que de le livrer au rabais bien qu’on s’était approvisionné à 382.500 BIF/sac, soit un manque à gagner de 100.000 BIF enregistré par sac. Imaginez le dommage qu’essuiera un grossiste qui avait acheté plus de 80 sacs à la Sosumo. Il risque de tomber en faillite. », regrettent-ils.
Le juste milieu est de mise dans ce contexte selon ces commerçants. D’après eux, la Sosumo devrait « en guise de remboursement céder des sacs de sucre en solde à ceux qui avaient déjà fait leur approvisionnement chez cette société, mais que leurs stocks restent invendus, dans le souci de garantir l’équilibre au niveau de la commercialisation du sucre sur le marché. »
Nous avons essayé de contacter l’Administrateur Général de la Sosumo pour une réaction, mais il nous a recommandé de poser nos questions au Ministère de tutelle. Cependant, la réponse d’Onésime Niyukuri, porte-parole du Ministère en charge du commerce joint par téléphone est sans appel : « Quand le Ministère fixe le prix d’un produit, c’est applicable immédiatement et respecte par tout le monde sans exception aucune. »
« Le gouvernement doit se remettre en question »
La problématique de la gestion commerciale du sucre produit par la Sosumo, relève d’un désordre manifesté par le gouvernement, analyse Faustin Ndikumana, président de l’organisation de la société civile Parcem. Pour lui, l’intervention du Ministère en charge du commerce dans la régulation du prix du sucre produit par cette firme nationale, alors qu’une ordonnance ministérielle consacrant l’importation et la libéralisation du commerce de sucre est en vigueur illustre un tâtonnement au niveau des choix qu’opèrent certaines autorités publiques.
Selon cet expert en économie, cette dernière mesure prise conjointement par deux Ministères en charge de l’agriculture et celui du commerce donne un feu vert à la Sosumo de se comporter comme une entreprise libre au niveau de la fixation des prix de ses produits, afin de pouvoir entrer en compétition avec les importateurs du sucre. Néanmoins, regrette Mr Faustin, le Ministère en charge du commerce a fait fi de la loi en vigueur qu’il l’a lui-même émise. Une occasion pour lui d’inviter le gouvernement à mettre de l’ordre dans sa façon de faire, surtout dans la planification et dans le suivi et évaluation de ses mesures.
En outre, le président du Parcem appelle le gouvernement à organiser un audit à la Sosumo pour évaluer le coût réel de production du sucre, à partir d’une expertise et d’une comptabilité analytique fiable, mais aussi appuyer cette entreprise pour la rendre plus performante afin de couvrir au moins le marché intérieur. Il souligne également une nécessité de la part de la Sosumo, de revoir sa politique commerciale dans l’optique de limiter des spéculations : « La révision des tarifs doit se faire avec une certaine rigueur, dans l’intérêt de l’entreprise, des commerçants et des consommateurs. », glisse-t-il.
Faustin Ndikumana s’inquiète du pouvoir d’achat de la population qui, pour lui, continue à s’effondrer : « L’inflation bat son record atteignant des proportions inhabituelles. Nous sommes dans une situation atypique de stagflation, où les prix montent alors que les revenus restent relativement bas. »
A l’heure actuelle, doit-on toujours s’approvisionner en sucre qui est pourtant positionné relativement au produit de luxe ou chercher une autre alternative ? Cette question taraude l’esprit de plus d’un Burundais.
*nom d’emprunt
