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Disparate répartition des ressources, un redoutable levier des heurts

Au moment où le pays vit au rythme de pénuries des produits de première nécessité, le mode de distribution de ces derniers est loin de plaire aux consommateurs. A Gitega, la population fustige le dispositif en place pour s’acquérir d’une infime quantité de sucre avec un risque de déchirer le tissu social… Reportage

Depuis l’annonce de l’arrêt temporaire de la production du sucre par la seule société sucrière du Burundi (Sosumo), l’étau se resserre autour des consommateurs de cette denrée qui se fait de plus en plus rare. Plutôt récurrente, la carence actuelle semble être sans précèdent. Du nord au sud, en passant par le centre, l’est et ouest, elle est cruellement ressentie.

Pour les commerçants, trouver une quantité suffisante destinée à la vente relève d’un souvenir lointain. Sous couvert d’anonymat, certains d’entre eux s’insurgent contre la Sosumo, accusant celle-ci de n’avoir pas intensifié sa capacité de production au fil des années proportiollement à l’augmentation de la demande. Néanmoins, les responsables de cette usine balaient d’un revers de la main ces accusations. Le DG de la Sosumo assurait en avril dernier que cette société compte plutôt « revoir à la hausse la quantité de sucre à distribuer. »

Autre grief contre la Sosumo : les procédures de distribution et l’opacité autour de celle-ci. Sur la colline Murama, zone Mubuga, en commune et province Gitega, le dépit est à son comble. Les habitants de cette localité regrettent que l’approvisionnement en sucre dure chaque fois que le temps d’une rose.

D’un air désappointé, ces derniers ne lésinent pas sur les mots. Marie* (35 ans), est mère de 4 enfants. D’après elle, le manque du sucre est une chape de plomb pour sa famille. « On a été contraint d’abandonner le thé et la bouillie à la maison faute de sucre. C’est une situation extrêmement pénible surtout pour les enfants qui vont chaque jour à l’école« , maugrée-t-elle.

À quelques encablures de chez Marie*, Claver* vaque à ses activités quotidiennes. Lui semble trouver une autre alternative à la consommation du sucre. En cas de besoin, il utilise le miel : « Quand mon fils était alité, on a manqué du sucre pour lui préparer un rafraîchissant. Dès ce jour, on s’est habitué à se servir du miel à sa place dans la mesure du possible, même s’il est cher. Malgré tout, je n’arrive pas à comprendre comment les uns parviennent à se procurer du sucre, d’autres non.« 

L’ombre du déchirement social plane…

Un fil d’attente des habitants devant un point de distribution de sucre

Si certains habitants de Murama reconnaissent que la carence du sucre s’observe au niveau national, ils ne décolèrent pas pour autant face au manque de transparence qui se remarque lors de sa distribution : « Les commerçants font la loi quand il s’agit de nous partager les quelques kilos de sucre à leur disposition. Ils vendent à qui ils veulent sans se soucier du nombre de clients qui en ont besoin. Certains rentrent avec 3 kg d’autres rentrent bredouille. C’est tellement révoltant« , déplore Jean Baptiste*, habitant à Murama.

Du pur favoritisme donc, ajoute Denise*, basé sur diverses affinités qu’entretiennent certaines gens aux dépends des autres : ‘‘Bien que la quantité de sucre à partager demeure insuffisante, il est inconcevable que chaque fois les bénéficiaires soient les mêmes, alors qu’il y’a des ménages qui en ont besoin depuis des lustres, mais qui ne sont pas servis faute de  pistons.’’

Un autre élément illustratif, souligne Pontien*, est le non accès à l’information concernant la disponibilité du sucre dans la bourgade. En effet, conjoncture oblige, la distribution du sucre devrait se faire dans la transparence et au vu et au su de tous par des administratifs à la base. Malheureusement, poursuit-t-il, ce n’est pas toujours le cas : « S’il s’agit d’un appel aux travaux communautaires, la mobilisation se fait publiquement, mais pour le sucre, la discrétion est totale, les gens préfèrent s’informer de bouche à oreille, sans la moindre communication officielle. C’est pourquoi certains en obtiennent, d’autres non. »

De par ce favoritisme épinglé, assure Vincent Hakizimana – conseiller communal de l’administrateur de Gitega chargé des affaires politiques, administratives, sociales et judiciaires – l’administration fait de son mieux pour limiter une distribution inéquitable du sucre. Mais, poursuit-t-il, des spéculations perturbant son approvisionnement en bonne et due forme ne manquent pas : « C’est fort condamnable qu’il existe certaines personnes qui acquièrent une quantité de sucre indûment pour enfin aller la revendre en catimini afin de faire des bénéfices. »

Le pire est à craindre…

Si le statu quo reste maintenu, alerte Fabien Nsengimana, consultant indépendant en leadership et démocratie, la rupture de la cohésion sociale est inévitable. Mr Fabien prévient que dans ce cas, il sera difficile de gérer les différends qui peuvent naître entre les membres d’une même communauté et de réparer les dégâts : « Attention ! Tous les citoyens éprouvent les mêmes besoins fondamentaux à des degrés quasi similaires. Si un groupe se sent menacé par une exclusion sur l’accès aux ressources, on ne peut que s’attendre à des violents conflits intergroupes », pointe-t-il.

Cet expert plaide pour une justice sociale et une solidarité collective dans cette période de pénurie des produits de première nécessité afin d’assurer l’égalité des droits et l’équité pour tous, dans le souci de préserver la cohésion sociale.

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