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« Les violences ne peuvent pas naître sans discours d’embrigadement »

Appel à la violence dès le bas âge via une éducation axée sur le rejet et la vengeance, l’embrigadement conduit inexorablement au cycle de violence, constate Aloys Batungwanayo, l’un des 13 commissaires de la CVR depuis 4 ans. Ce chercheur en Justice Transitionnelle et au traitement du passé, suggère aux différents acteurs de proposer des projets de société alléchants pour en sortir.

Que peut-on comprendre par discours d’embrigadement de la jeunesse et le cycle de violence ?

Le discours d’embrigadement et le cycle de violence sont des paliers. Le premier pas c’est d’abord l’enseignement à la jeunesse dès l’enfance. Et là, ça s’apprend soit en famille, soit à travers des groupes sociaux politiques. Et donc le discours d’embrigadement commence par montrer les différences. Montrer les différences, ici voulant supposer, l’autre et moi. L’autre est méchant et moi bon. Et l’on commence à enseigner à son entourage qu’on est les bons et par conséquent victimes et que les autres sont mauvais et donc les bourreaux. Nous sommes dans cette mauvaise situation à cause de l’autre, c’est-à-dire attention à cette autre personne dangereuse. Là c’est le discours d’embrigadement. Lorsque je pointe déjà du doigt l’autre qui est mauvais, l’autre qui me veut du mal, qui veut du mal à ma communauté, à mon groupe ethnique, à ma famille, il faut que je commence à chercher les moyens de défense. Ça c’est l’embrigadement.

Dans une seconde étape, on demande aux jeunes éduqués, formatés, à qui l’on a inculqué cette formation de violence, à qui on a donné des moyens de défense, de passer à l’assaut.

Cela s’est-il passé de la même manière au Burundi ?

Pour le cas du Burundi, par exemple, surtout dans les provinces Bururi, Makamba et Rumonge, les familles des Batutsi qui ont grandi après 1972, m’ont témoigné que des familles entières passaient la nuit du 29 avril, dans la brousse. Pourquoi ? Parce qu’on leur avait dit le 29 avril, il y aura chaque fois l’attaque des Bahutu contre les Batutsi. Vous comprenez cet enfant qui a grandi dans cette éducation, il va grandir en sachant que les Bahutu sont mauvais parce qu’ils les ont obligés de se cacher dans la brousse chaque 29 avril alors qu’il pleut beaucoup généralement à cette date. Cet enfant grandira aussi avec cette éducation de vengeance, avec cette éducation de défense. Et les Bahutu, le 29 avril, qu’est-ce qu’ils faisaient ? C’était le deuil. Ils disaient être en deuil parce que nos parents, nos frères, nos oncles ont été tués par les Batutsi. Et là, ce n’était pas un deuil pour pleurer un cher être. Non. C’était plutôt une journée pour se souvenir du bourreau de nos parents. Je ne me souvenais pas de mon être cher, mais je me souvenais plutôt de celui qui m’a fait du mal. Vous voyez cette éducation. Et à un certain moment alors, si nous sommes éduqués de cette manière, ça sera facile pour les partis et acteurs politiques de dire voilà maintenant c’est le coup d’envoi, commencez à vous défendre. Si vous ne vous défendez pas vous allez mourir.

Quand est-ce qu’un discours d’embrigadement peut conduire à la violence ?

Les violences de masse n’est qu’une étape. Lorsqu’il n’y a pas eu de discours d’embrigadement, de formation de groupes, de discours qui rendent antagonistes les groupes, les violences ne peuvent pas naître.  Je donne un exemple : nous avons grandi ensemble à l’école toi et moi, nous avons tout partagé, nous prenions des notes l’un pour l’autre, nous partagions le chemin en rentrant. Aujourd’hui nous avons quitté l’école. Personne ne peut venir me dire de te tuer parce que tu as une humanité devant moi. Tu es un être humain. Or lorsque quelqu’un tue l’autre, c’est que la personne a été déshumanisée. Et donc lorsque personne ne t’a déshumanisé face à mes yeux, je ne peux pas oser tuer un humain mais lorsqu’on m’a embrigadé dans ces discours, lorsqu’on m’a dit que tu es mauvais, que ta famille est mauvaise depuis longtemps, là c’est facile que je puisse me débarrasser de cet animal, de cet être qui me dérange, qui me veut du mal. C’est-à-dire j’ai été préparé à la violence et il suffit seulement d’un coup d’envoi pour que je commence cette violence, à poursuivre l’autre pour le tuer, ou pour commencer à bruler une maison d’un supposé traitre, ce qui est normal.

Aloys Batungwanayo, chercheur en Justice Transitionnelle: « Le cycle des violences nait dans le mauvais traitement du passé »

Un exemple concret pour comprendre cette préparation au passage à l’acte ?

Je vous donne un autre exemple. Aux Etats-Unis, qu’est ce qu’ils font des arabes. Ils ont commencé par nous dire qu’ils ont crée l’état islamique, ils commencent à nous dire que ce sont terroristes. Et quelle est la place d’un terroriste ? C’est la mort. Tuer un terroriste, ce n’est pas mauvais. Vous avez déjà vu que les Présidents américains, lorsqu’ils parviennent à tuer Ben Laden ou Kadafi, disent avoir éliminé un terroriste. Ils ne disent jamais qu’ils ont tué Ben Laden ou Kadafi. Et chez nous, pour les chrétiens, entendre un terroriste islamiste, c’est un ennemi à abattre, c’est-à-dire qu’ils nous ont préparé. Voilà comment d’un discours d’embrigadement, on passe à la violence et tout le monde trouve cela normal. C’est ce qui s’est passé au Burundi en 1993 où tuer quelqu’un revenait à tuer « iboro » (un animal). On ne disait pas qu’on a tué un être humain.  On disait avoir tué « Ikinywamaraso » (un sanguinaire) et là c’est facile et on ne regrette pas.

Y’a-t-il un lien entre discours d’embrigadement et cycle de violence ?

Le cycle des violences nait dans le mauvais traitement du passé. Il naît dans l’injustice. Si j’ai été victime, qu’on a tué mon père, mon grand frère ou mon oncle et que justice n’a pas été rendue, je vais grandir avec cet esprit de vengeance, parce qu’on m’a déjà dit, je dis bien, on m’a déjà dit, l’autre est celui qui m’a rendu orphelin, l’autre est celui qui m’a empêché d’étudier. Et comme cela s’est passé dans ma jeunesse et que le bourreau a vieilli, donc il n’est plus fort, je l’attaque. C’est déjà le deuxième cycle de violence. Ses enfants ou petits-enfants attendent à leur et lorsque je serai plus fort, ils vont m’attaquer. C’est le troisième cycle de violence et ainsi de suite. Et chemin faisant, le cycle de violence d’installe surtout que les pouvoirs publics n’interviennent pas pour arrêter ce cycle de violence.

Est-il possible que les partis politiques puissent mobiliser la jeunesse dans une démarche de la non-violence active ?

C’est la chose la plus facile à faire. J’aime donner l’exemple d’un match de football sur un terrain. Il y a un arbitre qui est très vigilent pour que les joueurs ne se donnent pas des crocs-en-jambe. L’important sur ce terrain est de jouer à la balle et non pas aux hommes. Lorsqu’un joueur donne un coup à un autre, l’arbitre siffle la faute, peut donner un carton jaune ou rouge. Au niveau des partis politiques, au lieu de montrer que l’autre parti est mauvais, donner aux jeunes, un projet de société alléchant. Tu peux leur dire par exemple, si vous m’élisez, lorsque je serai au pouvoir, je vais améliorer la qualité au niveau de l’enseignement, quitte à ce que chaque lauréat aura du boulot parce que vous serez intelligents. Ce discours passe très bien auprès des jeunes qui ont besoin des meilleures écoles. Au lieu de leur dire que l’autre parti politique est mauvais, dites-leur par exemple que vous avez un projet de créer de l’emploi.

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