Les parents doivent bien choisir les mots utilisés avec leurs enfants lors de la transmission de la mémoire, le moindre écart pouvant être fatal à toute la société selon les habitants de Rumonge. Un exercice simple en apparence…
Colline Kanenge en zone Gatete de la commune et province Rumonge, les habitants vaquent à leurs activités champêtres comme à l’accoutumé malgré le soleil au zénith et la chaleur qui va avec au chef-lieu de cette localité, bars et autres commerces sont ouverts. Plus loin, des femmes font leurs courses dans ce qui ressemble à un marché de fortune.
Tout autour, des jeunes causent tranquillement entre eux. A la question de savoir s’il leur arriver d’échanger avec leurs parents sur les différentes crises qui ont secoué le Burundi, ils répondent par l’affirmative. K. M, élève de 9ème fondamental se lance : « Oui il m’arrive de discuter avec ma mère sur les différentes crises qui ont endeuillé plusieurs familles dans notre pays. Elle me parle des proches assassinés. Ainsi je n’ai ni oncles ni tantes comme mes amies car tués pendant les différentes crises. »
Son père, poursuit-elle, a quant à lui, été assassiné en 1995 et son grand père en 1972.Toutefois, confie-t-elle, malgré ces pertes, sa mère n’a jamais pointé personne du doigt comme étant responsable de ces crimes : « Chaque fois que je pose la question à ma mère, elle me répond seulement qu’ils sont morts pendant la crise. Pour elle, toutes les ethnies ont perdu les leurs. »
Eviter de verser dans la haine
Aux parents qui racontent des récits de haine à leurs enfants, cette jeune fille conseille de se raissaisir : « Il ne sert à rien de transmettre aux jeunes un passé douloureux dans lequel un groupe ou l’ethnie différente est accusée d’être responsable des tueries. S’ils persistent, qu’ils sachent qu’ils sont en grain de planter des graines de haine, ce qui va finir par créer d’autres conflits dans le futur. »
Même son de cloche chez Emelyne Niyubuntu de la colline Nyakuguma de la zone Gatete. Pour elle, des messages divisionnistes transmis par les parents, exposent les nouvelles générations à de nouvelles crises : « Il faut qu’ils contrôlent le langage utilisé lors de cette transmission et éviter toute stigmatisation de tel ou tel groupe. »
Côté parents, ils affirment également causer avec leurs enfants sur ce qui s’est passé au Burundi. C’est le cas de Benoit Kantungeko, habitant la colline Kanenge de la zone Gatete confie qu’il dit à ses enfants ce qui s’est réellement passé : « Je leur dit la vérité sur les événements du passé. Si nos proches ont été tués pendant la crise, je le leur dit. Même chose s’ils ont été tués dans d’autres circonstances. »
Toutefois, ce père de cinq enfants ajoute qu’il insiste auprès de ses enfants de ne pas verser dans la haine ethnique car les choses ont changé : « D’ailleurs ils voient que des familles d’ethnies différentes vivent Côte à côte sans animosité. »
Dire la vérité oui mais de quelle manière ?
A la question de savoir si dire des vérités crues aux enfants ou bien évoquer des problèmes de division basée sur les ethnies dans cette causerie n’est pas dangereux, M. Kantungeko rétorque que tout dépend de la finalité de la causerie : « Je ne veux pas que mes enfants apprennent des vérités autres que ce qu’ils auraient appris de leurs parents. Je leur raconte ces vérités mais j’insiste qu’il s’agit d’une autre époque, que les choses ont évolué. »
Béatrice Ndayisenga, conseillère du Gouverneur de Rumonge, chargée des affaires sociales, dit être au courant des causeries qui se tiennent entre parents et enfants sur le passé douloureux : « Ces causeries sont de deux catégories, il y en a qui sont constructives et d’autres qui posent problème de par les messages de haine qu’ils véhiculent. »
Lorsqu’un parent raconte à ses enfants son vécu douloureux ou des évènements tragiques survenus dans le passé, insiste-t-elle, il faut faire attention au langage ou termes utilisés pour ne pas heurter la sensibilité des jeunes. Par exemple, cite-t-elle, il faut éviter de généraliser et de stigmatiser un groupe d’individu ou une ethnie.
Toutefois, tient-elle, à préciser, il n’est pas interdit de dire la vérité sur ce passé douloureux : « Ce n’est jamais bon d’occulter ce qui s’est passé, tout est dans la manière de le dire en évitant de verser dans les vengeances. » Bien plus, propose-t-elle, ce dialogue doit déboucher sur le pardon mutuel d’autant qu’actuellement la paix est revenue dans le pays.
Et de conclure en appelant tout un chacun à éviter toute transmission violente de la mémoire : « Toutes les couches de la société à commencer par les parents sont concernés. Il faut que les gens apprennent à raconter le passé sans réveiller les démons du passé en utilisant un langage rassembleur pour éviter des crises cycliques. »
