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Le respect modéré en famille, une arme contre les préjugés

Exposé aux discours de haine et préjugés, comment un jeune peut s’en extirper si ces messages proviennent de son propre milieu social, famille ou parents ? Patrice Sabuguheba, sociologue, nous livre quelques pistes.

Nous avons plus ou moins tous été confrontés à des préjugés envers les personnes différentes de nous un jour. Dans certains cas, ce sont nos propres parents qui nous ont interdits par exemple de fréquenter certaines familles ou milieux par peur, soi-disant, d’être empoisonnés. Des discours du genre : « Il ne faut jamais manger chez les voisins. »

Dans d’autres cas, ce sont les échecs de nos familles qui ont été imputés à l’autre communauté ou « ethnie », nos parents martelant à longueur de journée que n’eut été tel ou tel autre événement survenu dans le passé, notre présent serait autre ou tout au moins meilleur.

La réalité est que souvent ces discours sont le fruit des conflits survenus entre les familles dans le passé et qui n’ont jamais été réglés ou bien des mythes perpétués dans le temps par des groupes ou d’individus avides de pouvoir.

Jean Nasoro, vendeur au marché de Kamenge confie avoir été exposé à ce type de message. Ce natif de la commune Nyabikere en province Karusi a épousé une femme de l’ethnie différente de la sienne. Il affirme avoir grandi en entendant que l’ethnie de sa femme était responsable de tous les malheurs des Burundais. Mais en grandissant, confie le jeune homme de 25 ans, il est tombé amoureux d’une fille de cette ethnie et l’a épousée. Ils ont ensemble deux enfants aujourd’hui.

Côté famille, Nasoro explique que la pilule a du mal à passer mais qu’il laisse couler : « Je sais que ma famille est en colère contre moi mais à partir du moment où je me sens heureux, je laisse du temps au temps et espère que ce sera réglé un jour. »

Il est possible de refuser sans froisser

A la lumière de ce témoignage, la question qui se pose est de savoir comment lutter contre un discours de haine lorsqu’il est diffusé par des proches à qui on doit presque tout. Est-ce possible de refuser sans froisser ? Patrice Sabuguheba, sociologue, répond par l’affirmative.

Le respect modéré en famille peut-il limiter la prolifération des messages haineux ?

Lors des échanges entre parents et enfants dans une famille, le respect est fondamental mais il ne faut pas arriver à respecter tout, à accepter tout. A un certain niveau, il faut une nuance. C’est-à-dire pouvoir refuser ou accepter mais cela dépend du contenu du message, de la qualité du message. Le respect modéré donne l’autorisation à l’interlocuteur d’avoir une part de responsabilité dans ce qui est en train d’être dit dans le message.

Quel est le rapport de la transmission de la mémoire blessée dans la prolifération des messages haineux ?

Au niveau de la prolifération des messages haineux, la qualité du messager ou ce qu’il représente, surtout lorsqu’il s’agit d’un parent, représente une certaine autorité morale à qui on doit le respect. Et cela dépend aussi de l’âge de l’enfant qui écoute. Dès lors, celui qui écoute, s’il a l’âge requis pour juger, pour apprécier, il peut ne pas tout accepter, il peut ne pas tout prendre par cœur, il peut juger bon de laisser ceci et de garder cela. Et dans ce cas, la prolifération du message haineux peut être limitée parce que ce que dit le parent ou l’autre éducateur peut avoir l’intention de donner ou d’enseigner de mauvaises leçons. Et là, celui qui reçoit le message peut prendre une décision de limiter ces messages. Ayant la capacité de juger, le récepteur du message peut prendre le message tel qu’il est ou à moitié ou même à un tiers parce qu’il constate, il a l’âge de juger que le message haineux ne peut pas l’avancer dans l’avenir, ne peut pas avancer la communauté et ne peut pas avancer la nation.

A partir de quel âge un enfant peut exercer le respect modéré ?

Concrètement comment un jeune peut exercer le respect modéré de l’autorité ?

Cela dépend de l’évolution de l’enfant. Déjà, dès le bas âge, tout enfant montre des signes de refus lorsqu’il s’agit de quelque chose qu’il ne veut pas. Il peut montrer des signes d’appréciation en face des messages qui lui vont bien. Mais vers 11, 12, 13 ans, l’enfant commence à bien juger les situations. Et au niveau de la 6ème, 7ème, 8ème des classes de l’école fondamentale, l’enfant apprend à l’école, en famille, en communauté et là il fait une certaine confrontation des messages reçus et du parent et des membres de sa communauté, des voisins et des éducateurs-enseignants à l’école, même de ses condisciples. Il peut constater que ce qui a été dit par le parent n’est pas bon à garder parce que la contradiction se trouve dans ce qu’il va recevoir à l’école ou en communauté et là, il a l’âge de juger soit de répliquer et de rejeter le message. Le respect modéré fait que l’enfant soit capable de refuser sans blesser l’autorité du parent.

L’enfant aujourd’hui comme hier peut accueillir le message, le juger s’il a l’âge de juger, l’apprécier et prendre une partie qui l’intéresse pour le présent et le futur et laisser l’autre partie qui ne l’intéresse pas, qui ne l’avance pas dans la vie de tous les jours, dans l’harmonie sociale, dans la connaissance qui peut l’aider dans le futur. Et là l’enfant, sans blesser l’autorité du parent, de l’enseignant ou du voisinage, peut prendre une partie des messages et exercer le droit d’accepter ou de refuser ou même de nuancer comme tout le monde. Et ce droit est fondamental et appartient à tous.

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