William Samoei Arap Ruto passe son enfance à Sambut, un village modeste du Rift Valley, où il s’occupe des vaches et aide ses parents à cultiver des modestes champs de maïs et de choux. Le voilà aujourd’hui élu président du Kenya. Plongeon dans un parcours d’un obsédé politique.
Né le 21 décembre 1966, tu viens de remporter la présidentielle au Kenya, et pourtant rien ne te prédestinait à un si grand destin. Tu n’es juste qu’un simple fils de la campagne, fonceur dans la moelle qui y a juste cru. Vice-président du Kenya depuis près d’une décennie, si tu te réveilles dans un manoir géant équipé d’une piscine au milieu d’une cité verdoyante de la capitale kenyane, Nairobi, avant de t’envoler à bord de ton jet privé, tu n’oublies pas les origines peu chatoyantes qui sont les tiennes. Tu choisis d’ailleurs d’en faire le ferment de ta propagande, en t’auto-proclammant gracieusement «porte-voix des débrouillards».
Pubère, tu aurais supplié tes parents de t’accorder un lopin de terre pour cultiver du maïs. Tu aurais élevé des moutons et des vaches, chassé des lièvres et allé à l’école pieds nus, témoignent tes amis d’enfance. La légende dit que, par la suite, tu aurais vendu des poulets pour gagner de l’argent et hop, le voyage vers des cimes de richesses qui s’évaluent à plus de 450 millions de dollars américains actuellement, était lancé.
Au cours de ta campagne présidentielle, tu as d’ailleurs puisé dans cette histoire, en te présentant comme l’un des Kenyans « débrouillards » nés dans l’extrême pauvreté. Ta campagne électoral était un appel répété aux « débrouillards » du Kenya – les jeunes ambitieux qui se retrouvent sous-employés ou au chômage et qui ont hâte de s’améliorer.
Tes parents, des protestants stricts qui étaient des dirigeants de l’église locale de l’intérieur de l’Afrique, ont façonné ta foi, te poussant à participer régulièrement aux activités de l’église et à chanter dans la chorale.
Un parcours en politique peu lisse
C’est à la fin des années 1980, quand parti étudier la botanique et la zoologie à l’Université de Nairobi, que tu commences à afficher tes ambitions politiques. Diplômé en sciences, brièvement enseignant. Rfi écrit que tu fais tes classes en politique dans les années 1990 auprès de Daniel Arap Moi où tu t’engages, précisément, au sein des sulfureuses jeunesses de la Kanu, le parti du président autocrate, tristement réputé pour avoir pourchassé les membres de l’ethnie Kikuyu dans la vallée du Rift.
Armé d’un aplomb que tu puises au fond de tes tripes, en 1997, tu vas défier Reuben Chesire pour le siège parlementaire de la circonscription d’Eldoret North. Pourtant, Chesire avait été un législateur, un dirigeant puissant du parti au pouvoir et un pilier politique du président de l’époque, Daniel Arap Moi. Un tour de force dont tu sortiras gagnant.
C’est à 36 ans, que tu débarques au gouvernement pour occuper divers portefeuilles, dont ceux de l’Éducation, et de l’Intérieur. Ton ascension politique prendra un sérieux coup après les élections sanglantes et contestées de 2007. La Cour Pénale Internationale t’inculpera pour crimes contre l’humanité, t’accusant d’attiser la violence qui a fait plus de 1 200 morts et 600 000 autres déplacés. Les accusations comprenaient le meurtre, la persécution et d’autres crimes extra-judiciaires.
Sur l’autre versant de la barre des accusés se trouve, celui qui deviendra président actuel du Kenya, Uhuru Kenyatta, longtemps ton rival. Ruto, un kalenjin et Uhuru un kikuyu auraient tous trempés dans les conflits sanglants qui ont opposé leurs ethnies. Le « duo des accusés » que vous constituez va pourtant surprendre l’opinion quand Uhuru te choisis comme son colistier lors des élections de 2012.
Tu ne voudrais pas l’avouer, mais, il parait que c’est ainsi que l’affaire engagée par la CPI contre toi va s’effondre en 2016. Selon le New York Times, le gouvernement que tu as servi en tant que vice-président aurait entravé la collecte des preuves.
Le ticket « UhuRuto » face à l’usure
La paix fragile entre les deux anciens ennemis ne durera contre l’épreuve du temps. En effet, «la maison Uhuru» va commencer à prendre feu en 2017, lors des élections de second mandat de Kenyatta. Ton boss, donné vainqueur à l’annonce des premiers résultats, son opposant d’alors, Raila Odinga va challenger les résultats auprès de la Cour Supreme qui invalidera par la suite, la victoire de Kenyatta. Il sera néanmoins réélu à l’issue d’un remake controversé et boycotté par Odinga. Pour Jeune Afrique, la séquence etait préssentie comme celle qui allait paver ton succès. En effet, il s’est avéré que tu t’es démené comme quatre en coulisses pour tenir l’équilibre de la maison présidentielle. Selon les termes du « deal », Kenyatta devait ensuite te soutenir en 2022.
L’estocade d’Uhuru contre Ruto
Après des mois de guerre feutrée dans le camp présidentiel, le 9 mars 2018, Kenyatta fait, au détour d’une poignée de main devenue symbolique, la paix avec l’opposant Raila Odinga. Ce geste était vu comme le dernier clou dans le cercueil de ta carrière politique qui flageolait à l’époque. Par la suite, tes proches ont été écartés du pouvoir ou mis en cause dans des affaires de corruption.
Surtout, Kenyatta a fait d’Odinga son nouveau champion pour 2022. Longtemps adversaires dans les urnes, les « fils de » – Jomo Kenyatta qui fut le premier président du Kenya et Oginga Odinga son premier vice-président – se retrouvent désormais dans le même camp, unis contre toi. Isolé et sans cahier de charges clair, tu ne seras pas pourtant démis de tes fonctions de vice-président par Uhuru qui craint des violences interethniques.
C’est sur ce fond de tensions que tu vas lancer ta candidature à la présidentielle de 2022. Un pari osé, sinon fou contre les deux mastodontes de la politique kenyane Uhuru et Odinga. Te voilà aujourd’hui atterri à la présidence du Kenya, géant économique de l’Afrique de l’Est. Bravo.
