Conditions de vie difficile riment, dans la plupart des cas, avec résurgence des discours ethnicisant dans des pays post-conflit. Une rhétorique nauséabonde à la limite de l’appel au meurtre se met en place pour accuser de tous les maux un groupe social. Seul un leadership rassembleur constitue une arme efficace contre ce genre de messages, explique Acher Niyonizigiye, chercheur et enseignant en leadership.
Dans un contexte post-conflit, y’a-t-il un lien entre les conditions de précarité et la résurgence de discours ethnisant ?
Je dirais que les conditions précaires peuvent conduire à des discours ethnisant. Ça ne doit toujours être le cas mais c’est possible. Dans tous les cas, lorsque les gens sont confrontés à des défis pour lesquels ils n’ont pas de réponse, ils ont tendance à chercher des boucs émissaires pour pouvoir justifier leur souffrance. C’est très facile dans un pays qui a été meurtri par les divisions ethniques de chercher la réponse dans ce qui s’est passé dans l’histoire, pour trouver un groupe qu’il faut blâmer, accuser. A partir de là alors les discours ethnisant peuvent entrer dedans.
Peut-on dire que les meilleures conditions de vie protègent-elles contre les discours ethnisant ?
La vie est faite en étapes. Lorsque vous vivez dans des bonnes conditions, cela vous donne l’opportunité de faire des plus grands rêves encore. Et le fait d’être poussé vers l’avenir, le fait d’être dans les conditions qui vous permettent de rêver mieux et qui vous présentent même des opportunités de devenir meilleur, fait que mentalement vous n’êtes pas très disposés à vous regarder en chiens de faïence comme on dit, parce que votre attention est portée vers l’avenir. Vous avez des projets et il faut les réaliser et vous voyez ce que vous pouvez faire pour les réaliser. Vous êtes une jeune famille, vous avez des enfants et il faut les éduquer. Vous êtes concentrés sur ça et cela vous donne la force mentale qui vous permet de résister plus facilement aux discours ethnisant.
Deuxièmement, si les opportunités, les conditions de vie sont partagées entre les différents groupes ethniques, la tendance est de voir l’autre comme un ami, un partenaire, un collègue et non pas comme quelqu’un contre qui vous êtes dressés. Et cela crée une sorte de coopération car un sentiment de solidarité naît, persuadant chacun qu sa réussite passe par celle des autres, ce qui renforce l’unité entre les membres.
Pourquoi l’utilisation de ces discours renaissent dans des conditions de précarité ?
L’une des raisons pour laquelle ce genre de messages reviennent à la surface lorsque les gens sont dans la précarité est d’abord que cette situation pose des questions existentielles. Les gens ont besoin de trouver des réponses vraies ou fausses pour expliquer pourquoi ils vivent dans de mauvaises ces conditions. Et pour un pays qui a connu des divisions ethniques, l’une des réponses très facile est de recourir à ce qui s’est passé dans l’histoire. De se dire que c’est à cause des injustices subies par notre groupe par le passé que nous nous retrouvons dans cette situation. Et comme nous avons toujours tendance à fuir nos responsabilités dans ce qui nous arrive pour trouver un bouc émissaire afin de justifier notre situation.
D’autres raisons ?
L’autre raison qui explique la résurgence de ces messages est en rapport avec la volonté des leaders de détourner l’attention sur les vrais problèmes du moment afin de conduire les gens à chercher ailleurs. La précarité dans laquelle nous vivons ne peut pas s’expliquer à 100 % par des événements vécus dans le passé même s’ils y contribuent. Il y a également des conjonctures du moment qui peuvent aussi justifier cette situation. Or, pour un leader, lorsque les gens se focalisent sur les causes actuelles, il y a risque d’être discrédité. D’où la tentation à vouloir, chaque fois, renvoyer les gens dans le passé pour échapper à cette analyse critique des raisons de cette situation dans le présent.
Est-il possible de lutter contre les discours ethnisant aussi longtemps que la situation de précarité persiste ?
C’est possible mais ça peut être difficile surtout lorsque les discours ethnisant sont devenus une sorte de reflexe, lorsque c’est une réponse automatique aux défis du moment. Lorsque les gens ont perdu le sens de l’autocritique, de l’analyse objective de la situation, il est très difficile de lutter contre un discours ethnisant car les gens l’ont adopté et il leur est difficile de s’en défaire. Mais cela reste possible.
Comment ?
Premièrement, il faut que les gens qui sont dans la précarité concentrent beaucoup plus d’efforts sur l’imagination d’une meilleure vie et sur la recherche des voix et moyens qui peuvent les conduire à cette meilleure vie. Plus ils se concentreront sur ça, moins ils auront le temps de penser aux divisions ethniques. Et il faut qu’ils le fassent ensemble, c’est-à-dire tous les groupes ethniques confondus, surtout les jeunes générations. Plus ils imaginent un meilleur avenir ensemble, plus ils ont la chance d’être unis et de résister même aux manipulations externes. Deuxièmement pour les leaders, lorsque les gens sont confrontés à des difficultés, c’est une opportunité pour les leaders de les inciter à rêver, à penser à un avenir différent des conditions présentes. Si les leaders parviennent à susciter cette réflexion au sein de leurs groupes et les encouragent à penser aux solutions à ces problèmes et créent des conditions qui favorisent des activités qui vont conduire à l’éradications des problèmes du moment, les discours ethnisant n’auront plus de place. Il faut vraiment un grand leadership basé sur une vision du futur et qui est rassembleur.