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Le pardon, clé de la réconciliation

La connaissance de la vérité sur le passé douloureux et la demande du pardon rendent libre et permettent de tourner la page. Une fois n’est pas coutume, cette semaine, notre chronique se penche sur une démarche pas facile à réaliser mais qui s’avère incontournable pour une paix durable au sein de nos communautés…

Chef-lieu de la province Ruyigi, Juvénal Karama (64 ans), de la sous-colline Musenga en commune Ruyigi rural fait partie de ceux qui ont assassiné leurs voisins de l’ethnie différente de la leur pendant la crise de 1993. Il a franchi le pas en avouant ses crimes du passé : « J’ai tué les parents de mon voisin Isaac Bihogora. » Après la crise de 1993, indique-t-il, il a regretté son acte et a décidé de demander pardon à la famille des victimes : « Le pardon m’a été accordé en 2017. »

Ce qui l’a poussé à demander pardon, explique-t-il, ce que tout le monte le pointait du doigt en l’accusant publiquement d’avoir assassiné le couple Bihogora. Il lui a fallu prendre son courage à deux mains pour affronter la famille des victimes et leurs proches : « Mais il le fallait car après avoir été pardonné, je n’ai ressenti que la joie et ce fardeau qui me pesait, m’a été enlevé. »

Depuis, confie-t-il, il vit paisiblement avec cette famille malgré quelques déconvenues rencontrées après son aveu puisqu’il a perdu son travail juste après ses aveux. Mais le plus difficile fut de convaincre ses propres proches à commencer par ses enfants de sa démarche : « Ils me disaient que j’étais devenu fou, que cette famille allait se venger, etc. Mais je leur ai répondu que je faisais cela pour leur bien, pour qu’ils ne soient taxés à jamais d’être des descendants d’un assassin, ce qui est plus lourd à porter je trouve. »

Et d’inviter tous ceux qui pensent que la vérité peut avoir des conséquences néfastes de réfléchir à deux fois : « Peut-être qu’elle blesse et peut être qu’elle peut causer des ennuis mais penser au soulagement que cela apporte, du fardeau de la culpabilité que cela ôte. »

La paix du cœur et la tranquillité de l’esprit

Actuellement, conclut-il, il se sent libre et à mesure d’enseigner à d’autres présumés auteurs des crimes pour qu’ils puissent demander pardon : « Je leur recommande de se tranquilliser et d’écouter la voix du Saint Esprit et de demander pardon afin de se réconcilier avec les victimes qu’ils ont créées. »

De son côté, Isaac Bihogora (54 ans) de la sous-colline Sanzu 2 en commune Ruyigi, affirme avoir entendu des gens accuser Juvénal Karama d’être l’assassin de ses parents à son retour d’exil : « Tout le monde le disait mais moi je n’y prêtais pas attention parce que je ne l’avais pas vu de mes propres yeux les tuer. »

Ce qui l’’intéresse à l’époque par contre, raconte-t-il, est connaitre la vérité, à défaut de pouvoir rendre justice, connaitre l’endroit où ses parents sont ensevelis, leur rendre un dernier hommage et demander au clergé une bénédiction sur leur tombe : « Mais chaque fois que je croisais M. Karama, se souvient-il, je lisais la peur dans son regard. »

Chemin faisant et grâce à la sensibilisation de Soprad, poursuit notre source, Juvénal Karama a approché sa famille pour avouer son crime et demander pardon : « Cela s’est fait naturellement d’abord entre nous ensuite publiquement à l’église en pleine messe en 2017. J’avais enfin la paix parce que je savais où avaient été enterrés mes parents et j’ai pu leur rendre un dernier hommage. »

Une démarche à encourager

A propos de ceux qui ne comprennent pas le processus de demander le pardon et de l’accorder, M. Bihogora comprend leur réticence mais les appelle à peser le pour et le contre, d’évaluer les bénéfices ou les pertes d’une telle démarche: « Les premières critiques, se souvient, M. Bihogora, sont venus d’ailleurs des gens censés être de l’ethnie de Juvénal Karama. » Ils lui disaient ne pas comprendre comment il pouvait pardonner à l’assassin de ses parents après ses aveux publics : « Je leur rétorquais chaque fois que j’avais tourné la page. »

Non seulement parler des circonstances de la mort de ses parents, l’endroit où ils étaient enterrés, a libéré leur bourreau mais le pardon lui accordé a permis de libérer sa propre famille : « Maintenant, je suis résolument tourné vers l’avenir et j’appelle tout le monde surtout les jeunes générations à faire de même, sinon nous allons tourner en rond dans des crises cycliques et le pays ne décollera jamais. »

Avis partagé par Isaïe Nibitanga secrétaire permanent de la Commune Butaganzwa. Le processus de dire la vérité et d’avouer ses crimes, procure la paix du cœur. Même ceux qui te craignaient, commencent à se rapprocher parce qu’ils savent quel effort cela demande d’avouer ce lourd fardeau, ils commencent à envisager  la possibilité que tu aies changé. Finalement que peut tu as a commis ces crimes parce qu’influencer par le diable, etc.

Et de lancer un appel à tout le monde d’intégrer ce processus de dire la vérité et de demander pardon car cela participe à l’édification des communautés et au final au développement.

Ne pas attendre la justice punitive

Même son de cloche chez l’Abbé Bernard Cubwa, secrétaire Exécutif de Soprad Caritas Ruyigi, l’organisation diocésaine qui s’occupe du développement humain intégral à travers les volets justice et paix, santé, accueil des migrants et la sécurité alimentaire pour qui, il est impossible pour l’homme d’atteindre l’objectif premier de son créateur à savoir son plein développement et son intégrité s’il n’est pas libre. Et cette liberté, explique-t-il, passe par la tranquillité de l’esprit et la paix du cœur : « Dieu a créé l’homme libre, pour qu’il puisse devenir un agent pour son développement, Dieu a créé l’homme pour qu’il soit intègre. Le fait de demander pardon et d’accorder le pardon nous pousse à devenir libres, intègres. » Et de demander à tous de rejoindre ce processus car demander pardon et accorder le pardon, c’est se libérer.

A ceux qui craignent d’éventuelles représailles s’ils se dénoncent aujourd’hui, l’Abbé Cubwa dit ne pas comprendre cette hésitation car ils sont de toutes les façons connus : « Quand viendra la justice, ils seront plutôt les premiers à être emprisonnés. Autant avouer maintenant puisque une faute avouée est à moitié pardonnée. » Bien plus, rappelle-il, il existe une loi de la CVR qui protège ces gens-là et il faut qu’ils en profitent et éviter la mise en place de cette justice post-conflit qui les condamnera surement à des lourdes peines.

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