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Société

Les mots blessants : quand les idées reçues deviennent armes de destruction sociale

La sensibilisation, surtout en milieu rural, est un rempart essentiel contre la propagation des stéréotypes.

Les stéréotypes et préjugés, trop souvent banalisés dans les discours du quotidien, sont loin d’être inoffensifs. Leur propagation peut nourrir la méfiance, creuser les divisions, et alimentent des conflits. Comment peut-on soigner ce mal qui ronge notre société ?

Dans de nombreuses communautés tant urbaines que rurales, comme sur la colline Ruganza, de la commune Matongo, en province Butanyerera, les préjugés sont transmis oralement, parfois inconsciemment de génération en génération. Des idées simplifiées sur “l’autre” – qu’il s’agisse d’une ethnie, d’une religion, d’un genre ou d’un mode de vie – créent des barrières mentales et affectives.

Yvonne* (33 ans), habitant la colline Ruganza, regrette les étiquettes collées à divers individus promus aux différents postes politiques suivant leur appartenance ethnique : « Selon qu’il soit hutu ou tutsi, une autorité nouvellement nommée est négativement critiquée non pas pour ses performances, mais plutôt pour le passif des individus de la même ethnie, comme si la personne en question a une part de responsabilités dans tout ce qui s’est mal passé. »

Souvent, en période de crise ou de tension politique, déplore Jean* (40 ans), habitant la même colline, ces clichés deviennent des leviers de mobilisation : « Dans ce contexte, ce sont des accusations gratuites qui prennent le dessus, et les antagonistes rivalisent en salissant l’image des uns et des autres, pour les décrédibiliser au sein de l’opinion. »

Du stéréotype à la haine : la mécanique d’une escalade

Pour le sociologue, Tharcisse Bimenyimana, les préjugés et stéréotypes peuvent conduire à une non reconnaissance d’une personne ou d’un groupe ou d’un parti politique. Selon lui, de telles situations rappellent des périodes sombres de notre histoire, et suscitent des sentiments d’inquiétude chez plus d’un : « Suite à des crises répétitives qui ont de 1965, 1972, 1993, et 2015, les gens peuvent se référer à ces périodes, et faire des projections en se disant que de toutes les façons les choses vont se passer de la même manière que dans le passé puisque c’était un seul parti qui dirigeait. Alors aujourd’hui aussi, puisque c’est un seul parti qui va prendre le pouvoir, il va aussi agir comme l’autre parti a agi. Donc, on risque de revivre les mêmes tragédies. »

Cet expert alerte sur l’usage des stéréotypes comme des outils de déshumanisation : « Dire que “ce peuple est paresseux”, que “ces femmes ne peuvent pas diriger”, ou que “ce groupe est dangereux” installe l’idée que certains individus valent moins que d’autres. »

Une fois cette logique normalisée, poursuit-t-il, la violence devient possible – parce qu’elle semble justifiée aux yeux de ceux qui l’exercent : « Des conflits interethniques en Afrique, en Asie ou même en Europe ont été précipités par cette dynamique : les mots ont préparé le terrain au massacre. Ce sont deux camps qui s’affrontent parfois violemment, en justifiant leurs actes par une nécessité de faire un meilleur choix inspiré par des idées reçues. »

Briser la chaîne : éduquer pour prévenir

Pour briser cette dynamique, Tharcisse Bimenyimana avance la sensibilisation, surtout en milieu rural, comme un rempart essentiel contre la propagation des stéréotypes. L’éducation des enfants joue aussi un rôle primordial dans la non transmission des préjuges et stéréotypes : « Il faut commencer par l’éducation de base autour du feu. Il faut leur dire que la faute est personnelle, et que c’est lui qui a commis une faute doit être puni individuellement et non tout le groupe dont il est issu ou de de son ethnie, ou du parti politique dont il est issu. En quittant la famille, à l’école, il faut que les éducateurs montrent ou enseignent aux enfants, aux élèves, aux étudiants, que la faute est toujours personnelle.Et que même aussi dans la vie active, la faute est personnelle. »

Même son de cloche chez Alice Nsabiyumva, ancienne administratrice de la commune Matongo pour qui, il y’a nécessité de sensibilisation pour changer les mentalités, et dans le cas échéant prendre des mesures punitives pour éviter de tomber dans les travers causés par les préjugés et stéréotypes : « Changer implique un travail collectif où les autorités locales, les éducateurs, les médias et les citoyens s’engagent à bannir les discours stigmatisant. Reconnaître l’autre dans sa dignité, dépasser les clichés, et construire des liens de solidarité sont les véritables fondations d’une paix durable. Et sans cette paix, on ne peut pas aspirer au développement. »

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