Mal utilisé, le discours moqueur peut être fatal lorsqu’il est adressé à un public non averti. L’Abbé Lambert Riyazimana, chargé du service d’information et de communication au sein du diocèse Catholique de Ngozi nous fait part de ses avantages mais également du danger qu’il comporte …
Que peut-on comprendre par un discours moqueur ?
Par discours moqueur, nous distinguons deux sortes de discours moqueurs : d’abord l’ironie paradoxale puis la moquerie. L’ironie paradoxale c’est faire semblant de ne pas voir l’absurdité d’un énoncé et ainsi amener l’auditeur à être frappé par une situation qui interroge par le fait même qu’on présente une chose absurde et qu’on la considère comme si elle était réelle ; et les gens qui écoutent s’interrogent si ce qui est dit correspond à la réalité. Pendant que la moquerie est une relation conflictuelle entre deux personnes, entre celui qui se moque de quelqu’un et celui à qui on se moque. Mais cette moquerie se passe sur le mode du jeu. Ce n’est donc pas quelque chose de très conflictuel où il y a la jalousie ou quelque chose de malveillant. C’est quelque chose de bienveillant sur le mode du jeu. Ou bien c’est une relation de connivence entre deux moqueurs dans la reconnaissance simultanée de l’écart qui les sépare, c’est-à-dire deux moqueurs ensembles et simultanément reconnaissent l’écart entre la réalité et ce que les choses devraient être. Bien plus, dans la moquerie, on peut aussi se moquer de soi-même, quand on parle de l’humour, quand on rit de ses erreurs. Donc dans le discours moqueur, il faut alors distinguer d’une part l’ironie, le faire semblant de ne pas reconnaitre l’absurdité alors qu’on veut attirer l’attention sur cette absurdité même; et la moquerie qui est cette relation conflictuelle entre les personnes sur la distance qui sépare la réalité et ce qu’elle devrait être.
Et qu’est ce qui caractérise ce discours moqueur ?
Généralement dans ce discours moqueur on y stigmatise ou dénonce les incohérences et les inadaptations individuelles ou collectives par rapport à ce qui est considéré par l’opinion publique comme normal. Ainsi donc, cette dénonciation ou stigmatisation vise à discréditer ou cherche à susciter l’adhésion au moqueur et un désintéressement par rapport à ceux qu’on dénonce, qu’on stigmatise.
Dans quel contexte ce discours moqueur apparait-il ?
Ce discours apparait généralement dans la vie des sociétés, dans la vie des collectivités et surtout en démocratie parce que c’est là où se trouve la liberté d’expression. On ne peut pas parler de discours moqueur quand on n’est pas en démocratie, quand les gens ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent de la réalité et de la situation politique, socioéconomique etc….Donc le discours moqueur est une autre forme de communication politique et nous savons que la communication politique est seulement possible si vraiment elle est digne de ce nom. Elle est seulement possible en démocratie, disons dans un règne des libertés publiques, individuelles et collectives.
Pourquoi ce discours est-il utilisé par certains leaders des groupes ?
Ce discours est souvent utilisé par les leaders des groupes parce qu’ils veulent susciter des questionnements et des réflexions dans l’opinion. C’est-à-dire quand on se moque de quelque chose, on bien quand on ironise sur quelque chose, les gens qui t’écoutent, arrivent à se poser des questions pourquoi tu affirmes quelque chose qui est paradoxale. Le but est donc de susciter des questionnements pour que les gens arrivent à prendre des positions par rapport aux questions sociétales, aux questions des politiques publiques d’une société, etc. C’est pourquoi les leaders des groupes recourent au discours moqueur et à l’ironie paradoxale pour que les gens puissent s’interroger et pouvoir adhérer à leurs programmes par exemple.
Et quelles sont les conséquences pour une société lorsque se tient un tel discours ?
Nous pouvons mettre les conséquences sur deux plans : d’abord des conséquences positives mais aussi des conséquences négatives. Concernant les conséquences positives, ces discours provoquent le changement sans devoir irriter ceux qui sont concernés par les situations qui font objet de moquerie, le changement parce que les gens arrivent à se poser des questions, peut être là où personne ne se posait pas des questions. Et quand on commence à se poser des questions sur la vie des sociétés, on est prêt à changer ou bien à adopter des comportements ou des attitudes conséquentes. Mais des conséquences négatives s’observent aussi lorsque, par exemple, elles sont liées à l’incapacité de situer la moquerie dans son contexte. Les gens n’ont pas tous la capacité de comprendre le contexte dans lequel interviennent certaines moqueries ou certaines ironies. Il faut alors comprendre que le discours moqueur ou l’ironie peut fonctionner sur le mode de l’implicite, sur le mode du non-dit qui peut être difficilement identifiable, et dans ce cas, ça peut créer des malentendus, des malaises voire des conflits puisque ces discours sont peut-être écoutés ou adressés à des personnes qui ne dissèquent pas bien la situation et donc qui peuvent penser à autre chose alors que ce n’est pas ça qui a été dit. C’est pourquoi, pour tenir des discours moqueurs ou de l’ironie paradoxale, il faut bien choisir la cible, pour que les gens à qui l’on s’adresse, puissent bien discerner et comprendre le contexte dans lequel sont évoqués ces discours et pouvoir mettre en relation le discours et la réalité qui est visée, discutée ou discréditée. Il faut donc de la délicatesse. Sans cette délicatesse, on peut avoir des malentendus qui peuvent aboutir aux malaises sociétaux.
Comment éradiquer ce genre de discours ?
Je ne pense pas qu’il faille éradiquer ces discours moqueurs surtout s’ils sont proférés dans des contextes adaptés avec des destinateurs bien ciblés. Ce sont des discours qu’il faut plutôt encourager car ils dénoncent les incohérences et les inadaptations sociales, culturelles, économiques et politiques sur fond du jeu. Mais ce dont il faut tenir compte surtout de la cible, du destinataire. Il faut dire des choses aux gens qui peuvent les comprendre et qui ont des rôles dans les situations qui sont évoquées. On ne devrait pas les éradiquer mais il faut tenir compte de l’entourage de destinataire pour que ces discours ne créent pas des malentendus et des conflits.