Contraints au départ par des conditions précaires de travail, des médecins burundais, pour survivre, sont obligés d’émigrer ou de prester dans des hôpitaux privés. Pourquoi et comment arrêter cette saignée. Le point.
Le 19 septembre dernier, Dr Sylvie Nzeyimana, ministre de la Santé Publique et la Lutte contre le Sida répondait aux questions orales des députés à l’Assemblée Nationale. A la question de savoir pourquoi les hôpitaux manquent de médecins spécialistes, la ministre a répondu que malgré les avis de recrutement lancés chaque année par le ministère de tutelle, il peine à trouver de candidats : « Le peu de médecins spécialistes, dont dispose le Burundi, préfèrent prester chez les privés. » Quant à la cause de leurs départs à l’étranger, Dr Nzeyimana a répondu qu’au ministère, on est en train de réfléchir là-dessus.
Cinq jours plutôt, le Syndicat national du personnel de la santé (SYNAPS) et le Syndicat des médecins généralistes du Burundi (SYMEGEB), lors d’un point de presse tenu le 14 septembre dernier à Bujumbura, parlaient, sans avancer de chiffre, de départ massif des médecins burundais vers l’étranger et le secteur privé « Jusqu’à juin 2023, 2.940 médecins étaient inscrits à l’ordre des médecins. Mais force est de constater que les hôpitaux burundais tant publics que privés en manquent cruellement. »
Cinq jours après, la ministre en charge de la Santé Publique parlait du chiffre de 130 médecins Burundais en provenance de 80 structures sanitaires ayant quitté le pays pour aller prester à l’étranger entre 2020 et 2023. « Avant, la question n’était pas préoccupante. Maintenant ce n’est qu’une pire réalité », reconnaissait la ministre.
Manque criant de médecins en provinces
Au-delà, certes de ces réponses et explications qui n’ont pas convaincu les représentants du peuple, le mal semble plus profond. En provinces plusieurs hôpitaux et institutions médicales manquent de médecins surtout des spécialistes.
A L’hôpital de Ngozi, preste un seul spécialiste au sein du service de chirurgie. A Cibitoke ou Ruyigi, il n’en y a pas alors que d’après la planification du ministère de Tutelle, chaque hôpital devrait avoir au moins deux médecins généralistes et un spécialiste. La plupart des services sont assurés par des généralistes plus expérimentés.
Quant au départ des médecins, depuis 2020 indiquent des sources à l’hôpital de Ngozi considéré comme un hôpital de référence, 8 médecins sont partis vers des hôpitaux privés ou à l’étranger. A côté de cet hôpital relativement mieux portant sur le plan du personnel, l’hôpital de Buye en commune Mwumba compte deux médecins traitants, hôpital de musenyi en commune de Tangara n’a qu’un seul médecin : « La population souffre énormément et n’a d’autres solutions que de se rendre à Bujumbura ou dans des pays limitrophes pour des soins qui rassurent », confient nos sources.
Côté syndicaliste, le mal est plus profond que le croit. Sans ambages, Mélance Hakizimana, président de la Fédération Nationale des Syndicats du Secteur de la santé (FNSS) explique les raisons qui poussent les médecins vers l’étranger ou dans le secteur privé : « Ils sont d’ordre salarial. Et ce ne sont pas les médecins seulement, mais aussi les autres professionnels de la santé même si ce n’est pas senti de la même façon. »
Des raisons de départ et quelques pistes de solution
Tous les prix des biens de première nécessité, constate M. Hakizimana, ont monté exponentiellement, mais les services rendus par le fonctionnaire burundais ne sont pas valorisés, alors qu’en principe, les salaires devraient être fixés en fonction du coût de la vie.
Bien plus, soutient le syndicaliste, avec le salaire actuel, les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits : « Le médecin doit courir ici et là pour avoir un semblant de vie décent. »
Pire, martèle-t-il, avec le nouveau statut général des fonctionnaires, la spécificité du secteur de la santé a été mise en cause : « Les prestataires de soins sont rémunérés comme les autres fonctionnaires malgré les heures supplémentaires prestés et le risque encouru reconnu internationalement. »
Comme conséquence, le peu de personnel qualifié existant, doit prester dans trois ou quatre formations sanitaires pour pouvoir joindre les deux bouts du mois sans toutefois satisfaire les besoins fondamentaux. Dans ces conditions, difficile, soutient notre source, de trouver de prestataires qualifiés pour rendre des services de qualité à la population.
Au-delà de l’exercice proprement dit de leur métier, l’ambiance d’empathie qui devrait régner entre le prestataire et le patient disparait, ce qui occasionne des lamentations des patients qui peuvent aller jusqu’à l’accusation du mauvais accueil ou mauvais traitement des patients par le personnel médical. Ajouté l’absence de motivation à ce climat morose, Tout cela, lâche le syndicaliste, amène à une mauvaise qualité des services rendus à la population.
Comme stratégie, suggère-t-il, le Gouvernement devrait accepter de négocier avec les syndicats du secteur de la santé en vue d’arrêter de commun accord des mesures incitatives permettant de retenir les prestataires de soins actuellement en fuite à la recherche du mieux-être.
En 2020, le Burundi comptait 685 Centres de santé fonctionnels, dont 63% du secteur public. Le Pays disposait de 48 Hôpitaux fonctionnels, dont 43 hôpitaux de district et 5 hôpitaux nationaux. Le secteur privé était essentiellement constitué de centres de santé (33% de l’ensemble) appartenant aux confessions religieuses. Ce secteur joue un rôle progressivement croissant dans le système de santé en dépit de l’absence de données chiffrées de leurs activités. Au niveau des structures de soins, le secteur privé lucratif comprend des cliniques qui se trouvent dans la ville de Bujumbura et des centres de santé et pharmacies disséminés sur tout le territoire. Ce secteur souffre également d’une insuffisance de contrôle de qualité et de supervision.