Aujourd’hui encore au Burundi, certaines familles voient d’un mauvais œil l’union entre deux personnes d’ethnie différente. Toutefois, ces couples dits « mixtes » constituent un frein à l’excès de langage et aux discours de haine. C’est du moins l’avis de Théo Tuyisabe, philosophe, spécialiste en sciences du mariage et de la famille et enseignant à l’Université des Grands Lacs.
Qu’est ce qui poussent certaines familles à s’opposer aux mariages mixtes ?
Au Burundi, parfois quand une personne veut épouser une femme ou un homme qui n’est pas de son groupe ethnique, religieux ou même régional, elle se heurte à la résistance des parents. Ceci s’explique par plusieurs facteurs. Primo, après les indépendances les gens se sont recroquevillés derrière leurs ethnies, croyant qu’ils étaient meilleurs entre eux. Secundo, dans le contexte africain voire même burundais, le mariage ne réunit pas seulement deux personnes mais deux familles. Dans les temps anciens, ce ne sont pas les mariés qui se choisissaient mais ce sont leurs parents qui choisissaient les conjoints. Actuellement, les choses ayant évolué, ce sont les époux eux-mêmes qui se choisissent par amour et décident de vivre ensemble. Leur décision n’engage qu’eux.
Quelle attitude les parents devraient adopter face à la volonté de leurs enfants de s’unir aux personnes de l’ethnie différente ?
Les parents devraient adhérer au choix de leurs enfants, ne pas les contraindre à se séparer alors qu’ils croient être mieux ensemble. Ils doivent également se rappeler qu’ils ont eu leur temps pour s’aimer, se marier et donner naissance à ces enfants. Ils doivent donc comprendre que c’est à leur tour de décider de leurs destinées, avec qui ils vont avancer dans la vie.
Quid du comportement des enfants en cas de résistance de leurs parents à leur union ?
Lorsqu’ils réalisent qu’il y a une résistance du côté des parents face à leur projet de mariage, les deux futurs époux devraient chercher à les convaincre, je veux dire remettre leurs parents à leurs places, tout en leur demandant de les laisser grandir dans leurs choix.

N’y a-t-il pas des conséquences en cas de mariage mixte dans le contexte burundais ?
Toute action a une conséquence mais pour ce qui est du mariage, tout dépend de la manière dont le couple décide de gérer son union d’amour. Les difficultés observées dans les couples mixtes ne sont pas dues essentiellement au problème ethnique car elles s’observent partout, même au sein des couples dits endogamiques. Dire qu’il y a des problèmes à cause de la divergence ethnique n’est qu’une échappatoire parce que les conjoints se choisissent par amour et doivent essayer de le sauvegarder. L’amour n’est pas quelque chose de figé, il faut continuer à le cultiver, à le préserver et à le pérenniser.
Est-ce que les mariages mixtes peuvent réduire la prolifération des messages haineux ?
Les gens croient qu’avec leurs semblables, ils peuvent se dire tout, aller même jusqu’à exagérer. Mais lorsqu’une personne épouse quelqu’un d’une autre ethnie, le langage change. En cas de visite au couple par exemple, l’on est conscient qu’il ne s’agit plus d’une seule personne à qui on rend visite mais à deux personnes qui se sont mises ensemble et qui ont combiné les deux ethnies. Et dans ce cas, on soigne son langage parce que si on commence à considérer un des conjoints comme étant membre de son clan, l’on risque de se tromper car il s’est déjà mélangé avec l’autre. En ce moment, vous devez faire très attention quand vous vous adressez à un couple pareil au risque de vous ridiculiser en tenant des propos ou en avançant des théories que ces conjoints ont déjà dépassées.
Comment cela ?
Avant de se marier toutes les femmes et tous les hommes ont des langages à la limite vulgaires mais lorsque vous vous mettez ensemble avec une personne, au fil du temps, vous vous corrigez jusqu’à émettre sur la même longueur d’ondes. Certains disent d’ailleurs qu’à la longue les mariés finissent par se ressembler. On ne se ressemble pas seulement au niveau du visage mais on se ressemble également au niveau des idées et du langage. C’est pourquoi vous qui venez parler à ce couple mixte, il faut faire attention à ne pas blesser l’un d’eux et des fois vous blessez celui que vous ne visiez pas. Et donc le mariage mixte constitue un frein aux excès de langages haineux observés au Burundi. Mais je n’irai pas jusqu’à conclure que les couples mixtes sont les plus heureux parce que le bonheur dans un couple ne dépend pas des ethnies mais dépend de la manière dont vous vous gérez entre vous deux.
