Les langages de conflit à l’intérieur des groupes ou organisations observés ici et là ces derniers temps, quoi que virulents, peuvent être salutaires à bien des égards. C’est du moins l’analyse du politologue et maître en résolution pacifique des conflits Dr Léonidas Ndayisaba…
Qu’est ce qui peut être à l’origine des conflits à l’intérieur d’un même groupe ?
D’abord s’il y a conflit au sein ou à l’intérieur d’un même groupe, cela peut être signe de vitalité. Dans l’aspect positif de la chose, autrement dit, il y a eu discussion, il y a eu divergence des points de vue. C’est aussi une base sur laquelle se fonder pour modifier les statuts, le processus de décision, ou bien améliorer la démocratie interne. Donc le conflit peut être effectivement une occasion de pouvoir régler des difficultés qui étaient encore pendantes, peut-être qui existaient pendant longtemps et que personne n’a vu venir.
Et son origine ?
Quant à l’origine des conflits, elle peut venir de la divergence d’idées : des points de vue peuvent s’opposer ou tout simplement des intérêts. Par exemple si dans un groupe, certains veulent plus de démocratie, de discussion interne alors que d’autres ne veulent pas. L‘origine du conflit peut également venir de personnes, de leadership qui peuvent se poser à l’intérieur d’une même organisation. Et puis des positionnements d’intérêts des individus par rapport aux autres, par rapport aux idées peuvent également intervenir. Mais ce qui est important à souligner ici, c’est que dans beaucoup d’organisations, cette discussion se passe entre les membres de l’élite. Vous vous imaginez ce qu’il en est des dirigeants au niveau moyen, de la base.
Y’a-t-il des conséquences si ces antagonismes ou querelles se passent au niveau de l’élite ?
Cela peut conduire à un certain découragement car en principe une organisation, surtout pour ses dirigeants, devraient se sentir soutenus par la base et la base devrait de sentir représentée. Qu’il y ait conflit, c’est tout à fait normal mais que ce conflit déborde une organisation au point d’entendre les discussions à l’extérieur, c’est que quelque chose n’a pas bien fonctionné à l’intérieur. Normalement, il doit y avoir un cadre légal pour traiter les différents conflits qui pourraient surgir. Tout cela doit se passer dans le cadre d’une certaine mentalité ou mindset comme disent les anglo-saxons, c’est qu’on doit sentir qu’appartenir à une organisation est plus important que la quitter ou la scinder en deux ou trois autres sous-groupes. Il faut que dès le départ, les membres sentent que quels que soient les conflits, c’est une opportunité pour les résoudre, une opportunité pour renouveler l’organisation, mais qu’ils doivent toujours rester unis. Et ça c’est un aspect qui pose problème dans beaucoup d’organisations.
Est-ce que ce langage attisant le feu à l’intérieur d’un groupe peut-il affecter d’autres groupes ?
Je n’aimerai pas exagérer. Chaque conflit a ses acteurs, sa nature, ses causes anciennes, récentes qu’il faut analyser. Pourquoi maintenant alors que l’organisation a peut-être plusieurs années d’existence ? Qu’est ce qui s’est passé pendant toute cette période. Est-ce que c’est l’organisation qui n’a su s’adapter avec les changements dans son environnement ? Est-ce que cela peut affecter d’autres organisations ? Je dirais oui et non. Oui dans le sens que les conflits que nous avons connus, fondés parfois sur des émotions négatives, il peut y avoir des gens à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation qui peuvent se sentir soutenus. Est-ce que cela va conduire à un conflit ouvert à l’échelle local, régional ou national ? Je ne pourrais pas exagérer mais chaque fois il faut analyser les choses dans leur contexte.
Et après cette analyse, que faut-il faire ?
Au-delà de l’analyse, il faut pouvoir prévenir. Un Etat est là pour organiser une société. On peut ne pas indiquer le sens dans lequel les conflits seront résolus mais tout de même demander à ce groupe de résoudre ses conflits internes en respectant le cadre politique et légal, les statuts, le règlement d’ordre intérieur mais aussi les choses qu’on n’accouche pas toujours sur le papier, cette idée qu’il faut toujours rester uni et ne pas avoir peur des conflits, les aborder en faisant chaque fois une analyse.
Quid de la prévention et par qui pour que toute la communauté ne soit pas affectée ?
Pour qu’il n’y ait pas escalade. Qui doit le faire ? L’idéal serait les concernés eux-mêmes, autrement dit les acteurs principaux. Ceux qui sont en conflit d’idées, d’intérêts, de positionnement, de leadership et qui aiment leur organisation, peuvent se dire : ici il y a un problème, il faudrait le résoudre. A l’intérieur de l’organisation soit les concernés eux-mêmes, soit d’autres comme des sages de cette organisation. Et éviter qu’il y ait des gens qui perdent la face.
Si ce conflit à l’intérieur d’une organisation se passe au sommet, est-ce cela ne peut pas affecter les membres à la base ?
Oui ça peut les affecter. N’oubliez pas que dans n’importe quelle organisation, quand vous avez des adhérents à la base, ils peuvent eux aussi s’intéresser davantage à ceux qui s’opposent au sommet et puis se positionner par rapport aux acteurs principaux, par rapport à ce conflit de façon que les acteurs au conflit au sommet aient des partisans à la base. Mais ce cas de figure n’est pas souhaitable car il peut remettre en question l’existence même de cette organisation.