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L’accès à la vérité, arme contre les discours haineux

Les vérités plurielles peuvent constituer un frein à la prolifération des messages haineux. Mais cela suppose un débat entre différentes catégories de victimes afin de donner une chance aux différents récits et narratifs de voir le jour et d’interagir, suggère Rickie Nelly Ndagano, chercheuse en justice transitionnelle…

Que peut-on entendre par vérité plurielle ?

La question de la recherche de la vérité est déjà complexe en soi. Cette complexité est accrue si l’on s’inspire par exemple des expériences de l’Afrique du Sud et du Rwanda, du fait aussi qu’il existe plusieurs aspects de la vérité, entres autres la vérité factuelle, la vérité subjective et narrative, la vérité judiciaire ou encore la vérité sociale. Alors pour faire simple, la vérité plurielle suppose que les victimes prises individuellement, et les différents groupes sociaux touchés par le conflit, arrivent à l’acceptation que d’autres catégories ont également souffert et qu’elles ont une autre vision par rapport à leur vécu. Pour les institutions ou les commissions dites de vérité et réconciliation, cela veut dire que dans leur processus de recherche de la vérité, elles soient suffisamment ouvert pour accepter l’intégration des voix diverses, des récits et narratifs divers de différentes catégories de victimes, je dirais majoritaires pour arriver à une vérité inclusive, sociale dans laquelle se retrouverait un plus grand nombre d’individus touchés par les multiples crises que le Burundi a eu à traverser et ainsi, à termes, arriver à la construction d’une paix durable. Cela suppose aussi qu’il existe un dialogue, un débat entre différentes catégories de victimes, y compris au niveau des communautés à la base afin de donner une chance aux différents récits et narratifs de voir le jour et d’interagir. En mon sens au Burundi, nous en sommes pas encore là du fait que nous sommes encore dans le processus de recherche de la vérité mais aussi parce qu’on a l’impression que dès qu’il s’agit de conflit au Burundi, nous n’avons que les Hutu et les Tutsi au détriment des populations marginalisées avant et pendant le conflit voire même au moment du traitement du passé douloureux

Rickie Nelly Ndagano: « La disponibilité de la vérité suppose aussi que des responsabilités ont précisément été établies »

De quelle manière cette vérité plurielle peut-elle freiner la propagation des messages haineux ?

Les messages haineux, toujours dans un contexte post-conflit, sont le résultat de l’ignorance, des peurs et traumatismes hérités de nos expériences douloureuses. Mais la disponibilité de la vérité suppose aussi que des responsabilités ont précisément été établies, que les causes profondes de ces conflits ont été définies et que désormais les victimes issues des différentes catégories socioculturelles peuvent avoir accès à la justice, justice entendue dans son sens le plus large, et espérer à termes, bénéficier des réparations équitables. Si en plus cette vérité est inclusive, elle donne les moyens pour une base solide d’un nouveau contrat social. Alors je dis ça comme ça mais ce n’est pas une mince affaire. Mais tout au moins l’accès à la vérité permet-elle d’emblée de lutter contre les manipulations identitaires et autres dont se nourrissent justement ces messages de haine.

Pourquoi certains membres des groupes n’acceptent pas cette vérité plurielle ?

Personnellement je ne crois pas que des groupes refusent délibérément l’existence d’autres récits. Pour moi, cela est le résultat encore une fois de l’ignorance, du manque d’information et du manque d’espace de dialogue et de discussion entre différentes victimes issues des catégories socioculturelles présentes dans la société burundaise et qui vont bien au-delà de la simple appartenance ethnique ou de ces ethnies hutu/tutsi. Je me rappelle à titre d’exemple, lors de nos certaines descentes sur terrain, à quel point il était surprenant de se rendre compte qu’au sein d’une même communauté, deux familles vivant côte à côte, pouvaient complétement ignorer l’une et l’autre leur vécu respectif, même si l’on a tendance à croire qu’au Burundi tout le monde connait tout de tout le monde, surtout évidemment sur nos collines. Mais il faut avoir également à l’esprit qu’aujourd’hui, ce sont en général de nouvelles générations qui parlent de nos conflits passés en l’absence de vérité et dans une autre mesure, en l’absence de dispositif de santé mentale et de prise en charge psychosociale. Ces nouvelles générations parlent de ces conflits, de ce qu’elles ont vécu entre guillemets ou ce que leurs familles ont vécu, et comme elles l’ont reçu avec la charge émotionnelle avec laquelle elles l’ont finalement reçu. Mais je n’ignore pas non plus qu’il puisse exister des intérêts partisans ou politiques qui pourraient interférer à l’acceptation des récits multiples.

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