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Gratuité des soins de santé: 17 ans après, une politique réussie?

Instaurée depuis 2006 au Burundi, la politique de la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes et celles qui accouchent, est partout saluée: le taux d’accouchement dans les formations sanitaires en 2022 était de 76,2%, le taux d’accouchement par césarienne passant de 4,1% en 2015 à 8,6% en 2022. Mais de nombreux défis restent à relever: insuffisance du personnel soignant, surnombre des patients, ruptures de stock des médicaments

Mardi, le 16 mai 2023, à l’hôpital Buye de Ngozi, une dizaine de femmes sont assises devant la salle du service de pédiatrie. Certaines mamans portent leurs bébés dans les bras, d’autres sur le dos. Chacune attend son tour pour des consultations de leurs nourrissons. Sur la question de savoir leur point de vue sur la politique de la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes et pour celles qui accouchent, tout le monde qui veut intervenir: « Nous saluons cette initiative et nous souhaitons sa pérennité. »

Fixant son enfant de 3 mois Claudine Mugisha, confie : « Mon enfant est malade depuis hier soir. Sa température est au-dessus de la normale. Ici, je l’ai amené pour le faire soigner. Je n’ai pas d’argent, mais je sais que le médecin va l’examiner et lui prescrire des médicaments. On ne va rien me demander comme frais de soins de santé. » Sourire !

Une autre femme explique qu’elle a été alitée dans cet hôpital pour l’accouchement. Elle a mis au monde un enfant après une semaine par césarienne. 

Sourire aux lèvres, tout en allaitant son enfant de 7 mois, elle ne tarit pas d’éloges pour l’initiative de feu président Pierre Nkurunziza : « Il a sauvé pas mal d’enfants et de mères. Je n’ai rien payé comme frais d’hospitalisation, encore moins, les soins de santé ».

Et ce ne sont pas les patients du Centre de Santé de Gatabo de la commune Gashikanwa et ceux du Centre de Santé Amis des Jeunes de Ruhororo qui diront le contraire. 

Minani, la trentaine, confie que, grâce à cette politique de gratuité, personne n’a peur d’aller au dispensaire ou à l’hôpital. Et les enfants de moins de 5 ans, et les femmes qui accouchent sont tous bien traités. Néanmoins, elle reconnaît que, quelquefois, les infirmiers peuvent prescrire des médicaments à acheter dans les pharmacies.

A ne pas oublier : l’extrait d’acte de naissance

Très critiques par rapport à cette politique, un groupe de femmes rencontrées à une dizaine de kilomètres du chef-lieu de la province Kayanza, vendant des régimes de banane et de la patate douce, mettent un bémol : « En soi, la politique en soi est bonne, mais la façon dont les médecins ou les infirmiers exigent en priorité des extraits d’acte de naissance, au lieu de soigner le malade d’abord, reste un défi à corriger ».

M.E. raconte : « Je suis allée faire soigner mon enfant de quatre ans dans l’un des centres de santé de la province de Kayanza. Il n’allait pas bien du tout. Au lieu de l’examiner, le médecin m’a demandé d’abord l’extrait d’acte de naissance de l’enfant. Je ne l’avais pas sur moi. Je l’ai supplié de soigner mon enfant. En vain. Alors que j’étais sur le point de partir pour me diriger vers un centre de santé privé, il a accepté de le soigner. Mais il m’a obligé de dire à mon mari d’amener ce papier pour l’enregistrement. »

Abondant dans le même sens, une autre femme raconte que dans les centres de santé ou dans des hôpitaux, on ne donne pas gratuitement des médicaments qui sont chers: « Quand le prix dépasse 1.500 Fbu, il faut aller les chercher dans des pharmacies. Nous ne recevons gratuitement que des génériques ».

Mais la politique en soi est bonne, car, avant sa mise en œuvre, dit-elle, les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans faisaient face à des difficultés financières: « Nombreux étaient les décès à domicile. Il y en a qui vendaient leurs bêtes ou une partie de leur propriété pour ne pas rester prisonnier des hôpitaux, faute de pouvoir acquitter les factures. »

Critères d’éligibilité

Pour ce qui est des génériques, Dr Jean-Claude Ngendakumana, médecin directeur de l’hôpital de Buye fait savoir que c’est une stratégie qui a été adoptée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) pour les pays les plus pauvres dans le but de maximiser le degré d’accessibilité aux médicaments en fonction de la capacité à payer. « Elle est d’une efficacité au moindre coût », insiste-t-il.

Désiré Niyonsaba, titulaire adjoint du centre de santé de Ruhororo de la province de Ngozi indique que depuis sa mise en place en 2006, sous l’initiative de feu président Pierre Nkurunziza, la politique de gratuité des soins de santé est dotée de quelques critères d’éligibilité. 

Dr Jean Claude Ngendakumana, Médecin directeur de l’hôpital Buye

Pour les femmes enceintes, de préférence, être de nationalité burundaise et avoir une carte d’identité. Les parents de l’enfant doivent impérativement présenter les extraits d’acte de naissance délivrés par l’état-civil, et avoir une fiche de suivi pendant la grossesse.

Désiré confie ne pas rencontrer de soucis sur la mise en œuvre de cette politique de gratuité: « Si un enfant malade arrive au centre de santé, et qu’il présente des complications, il est transféré à l’hôpital. Une fois sur place, si cela s’avère nécessaire, il est traité tout en respectant le protocole de sa maladie.  Si son état s’améliore, il rentre chez lui :  nous appliquons la gratuité des soins à 100 %. C’est le Gouvernement et ses partenaires qui paient les factures ».

A la question de savoir s’il n’y a pas de structures sanitaires qui gonflent les factures, Dr Jean-Claude Ngendakumana, médecin directeur de l’hôpital de Buye à Ngozi, révèle qu’il y a un CPVV (Comité Provincial de Vérification et de Validation) chargé du contrôle rigoureux pour éviter des tricheries. « Cette équipe compile les données et les envoie au Ministère. Ce dernier les envoie au service des Finances pour le paiement des factures en faveur des enfants de moins de 5 ans soignés et des femmes enceintes aidées lors de l’accouchement », confie-t-il.

Cette politique a un coût

Dr Polycarpe Ndayikeza, directeur de la planification et porte-parole du ministère de la Santé Publique et de Lutte contre le Sida, indique que le décaissement des finances est bien fait, car des comités provinciaux chargés de vérifier et valider les factures sont réguliers et font leur travail à temps. « Il n’y a pas d’arriérés. »

Dr Ndayikeza reconnaît par contre des lamentations concernant des retards de paiement pour les factures en rapport avec les soins administrés à ceux qui sont couverts par la CAM (Carte d’Assurance Maladie). 

Mais, il y a eu des efforts consentis dans ce secteur. « Pour cette catégorie, plus de 72 milliards de francs burundais ont été versés, et cela a permis aux structures sanitaires de recruter du personnel, d’améliorer les conditions d’infrastructures, de faire des réserves des médicaments pouvant aller jusqu’à 6 mois. Bref, assurer le fonctionnement », assure-t-il.

Le directeur le précise : le coût total annuel de cette politique de gratuité s’élève à 112.900 millions USD, depuis 2017.

Une réussite, mais encore des défis

La gratuité des soins de santé concerne le secteur informel, les catégories de la population les plus vulnérables. Reste que pouvoir mesurer le degré de vulnérabilité est un problème.

Dr Jean Claude Ngendakumana se dit inquiet quand des fonctionnaires prétendent bénéficier de la gratuité à 100%, alors qu’ils sont affiliés à la Mutuelle de la Fonction Publique ou d’autres mutualités. Pour lui, la mutualité doit payer les 80 % exigés à son affilié, et l’Etat assure le reste.

Il déplore aussi l’attitude de commerçants qui, au lieu de contribuer pour les plus pauvres, décident de faire soigner leurs enfants gratuitement ou via la CAM (Carte d’Assurance Maladie) de 3.000 Fbu. « Il y a un défi à relever. Il faut qu’il y ait catégorisation : des cartes de 100.000 Fbu pour les grands commerçants, celles de 35.000 Fbu pour les moyens et celles de 3.000 Fbu pour les vulnérables », recommande le médecin directeur de l’hôpital Buye.

Dr Polycarpe Ndayikeza, quant à lui, reconnaît un problème de ressources humaines. « Les gens vont au niveau des formations sanitaires pour demander des soins et ils trouvent qu’il y a un personnel insuffisant : le temps d’attente est long. »

Sur cette insuffisance quantitative ou qualitative des ressources humaines, Ndayikeza rappelle que les autorités des formations sanitaires peuvent adresser une demande d’autorisation au niveau du ministère, pour faire des recrutements locaux, en plus des ressources humaines données annuellement par le Gouvernement via le ministère de la Fonction Publique.

Accès aux médicaments

Sur la question de rupture de stocks de médicaments, le porte-parole du ministère de la Santé publique indique que le circuit d’acquisition des médicaments est bien connu: « C’est le district sanitaire qui s’approvisionne au niveau de la Camebu, et les formations sanitaires s’approvisionnent au niveau des districts. S’il y a non satisfaction des commandes, ils obtiennent le feu vert pour faire appel aux pharmacies de gros privées ».

Et d’ajouter : « Lorsqu’il n’y a pas manque de médicaments au niveau national, il n’y en a pas non plus dans les districts et formations sanitaires. Mais il peut arriver qu’un infirmier ou un médecin qui consulte un patient trouve qu’un médicament ne se trouve pas sur la liste, alors qu’il le juge très efficace.  Sinon les médicaments sont disponibles ».

Cette politique de gratuité des soins est saluée, car le nombre de décès côté maternel et néonatal a remarquablement diminué, comme l’affirme le directeur de la planification et porte-parole du ministère de la Santé Publique.

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