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Exode clandestin de la main-d’œuvre vers la Tanzanie et ses déboires : la dure réalité qui perdure

« 70 jeunes ont été interceptés en juin et juillet alors qu’ils se rendaient en Tanzanie »

De plus en plus récurrent, le phénomène de l’émigration massive sous le manteau des jeunes burundais – vers les pays surtout frontaliers à la quête du travail – inquiète plus qu’il ne rassure ces derniers temps. Au péril de leur vie, les jeunes et les moins jeunes sont tentés par le chemin de tous les dangers. Reportage à Ngozi et à Kayanza (Nord du Burundi).

Une bonne trotte sépare les localités de Mubira (à Ngozi) et Mwali (en Tanzanie). Pourtant, sur les sentiers, des jeunes crèvent d’envie de trouver le filon contre vents et marées. D’abord, leur périple les amène à Gitega (centre du pays), puis à Rutana (sud-est) avant de débarquer à Makamba (sud) pour enfin traverser la rivière Malagarazi. Loin de l’éreintement, ces jeunes bravent la faim et le froid durant leurs pérégrinations, dormant à la belle étoile, le couteau sous la gorge.

D’après l’administration locale, ils seraient plus de 200 jeunes qui ont migré parfois en catimini vers la Tanzanie ces 3 derniers mois. Des effectifs qui ne sont pas loin de ceux enregistrés en commune Muhanga de la province Kayanza, où des enfants font le mur.

L’herbe est plus verte en Tanzanie

Travaux champêtres, maçonnerie, taxi-vélo… embauchent la majorité de cette main d’œuvre burundaise. Des tâcherons pour la plupart, ils turbinent quitte à remettre à flot. « Nous gagnons près de 5.000 shillings tanzaniens pour labourer un champ toute une journée, en plus d’être nourris. Alors que pour le même labeur, ici au Burundi, on te paie seulement 2.500 Fbu/demie journée, un montant qui ne te permettra pas d’assurer une ration journalière », explique Dieudonné Tuyishime (30 ans) qui comptabilise 5 ans de l’autre côté de la Malagarazi, contraint de revenir à Kimenyi, sa colline natale, pour quelques jours, en raison de la maladie de sa dulcinée, tout en indiquant qu’il repartira très prochainement.

Emile Karenzo, assistant du chef de colline Mubira à Ngozi: « Plus de 200 jeunes ont migré en catimini vers la Tanzanie ces 3 derniers mois, en quête du travail. »

C’est la même rengaine sur la colline Mubira, de la même commune et province Ngozi. Emile Karenzo, assistant du chef de cette colline, affirme que de nombreux jeunes s’exilent en masse vers la Tanzanie, à la quête du travail. Selon lui, il n’y a pas d’opportunités d’embauche, ni de sources de revenus surtout pour les non-scolarisés : « Impossible de retenir ces jeunes dans notre localité puisqu’il n’y a aucune offre d’emplois pour gagner leur bifteck. Difficile de vivre aux crochets de leur famille avec la pauvreté qui y règne, leur seul choix reste de migrer ailleurs pour qu’ils puissent renflouer leur tirelire afin de préparer eux aussi leur avenir. »

Le décrochage scolaire s’invite

Néanmoins, ce chef de colline regrette que des jeunes abandonnent l’école pour lever le pied en direction des pays limitrophes : « Même mon propre fils de 14 ans a séché les cours pour se rabattre en Tanzanie. C’est déplorable que nos enfants soient désespérés jusqu’à ce point. Le chômage accentué par la démographie galopante en décourage plus d’un. »

Un appât de gain donc qui n’épargne pas les jeunes de Ndava de la commune Muhanga, en province Kayanza. Leurs parents se plaignent du comportement de leurs rejetons qui font arme de tout pour quitter le banc de l’école et aller en Tanzanie à leur insu et à leur grand dam : « C’est un phénomène presque incontrôlable. La communauté et l’administration font chou blanc face à cette situation. On ne cesse de sensibiliser sur l’importance de l’éducation pour les jeunes, mais en vain. Les familles sont aux abois. Les jeunes sont devenus trop cupides jusqu’à perdre les pédales pour de l’argent. Par exemple, je ne sais pas où mes 2 enfants se sont volatilisés alors qu’ils ne manquaient presque de rien à la maison », s’indigne Léonard Bitungimana, la quarantaine révolue.

A titre illustratif, environ 70 jeunes ont été interceptés en juin et juillet alors qu’ils se rendaient en Tanzanie, signale l’administration locale. La majorité d’entre eux étaient des jeunes qui ont délaissé l’école, intervient Rénovat Sinibagiye, conseiller de l’administrateur de Muhanga : « Notre commune risque de ne plus compter d’intellectuels dans le futur parce que les abandons scolaires se multiplient au profit de l’émigration massive vers la Tanzanie. Evidemment qu’il y a un problème de pauvreté et de chômage dans les ménages qui poussent ces jeunes sur le chemin de l’exil. Mais bien plus il y a un certain esprit de cupidité qui embarque les jeunes, laissant derrière eux l’école et leur famille qui ont combattu bec et ongle pour la réussite de leurs études », fait-il savoir avant d’ajouter : « Nous avons même constaté qu’il y a un réseau de gens (certains d’entre eux sont écroues en prison) qui se font du fric derrière le dos de ces jeunes en les recrutant pour le compte d’untel afin d’aller cultiver en Tanzanie, espérant des lendemains meilleurs. »

Mais malheureusement…

« En Tanzanie, la réussite d’un travailleur clandestin relève de la chance », avisent d’emblée ceux à qui nous avons tendu le micro. Si la paie est alléchante, la probabilité de s’en réjouir est moindre. Du haut de ses 30 ans, Jean Marie Nduwimana de la commune Muhanga, en province Kayanza garde des souvenirs moroses sur son aventure de l’autre côté de la Malagarazi : « De chemin retour, des bandits m’ont tout racketté (argent, victuailles…) et je suis rentré bredouille après 6 mois de dur labeur. »

Dieudonné Tuyishime (30 ans) : « Nous gagnons près de 5.000 shillings tanzaniens/jour en labourant un champ, alors que pour la même tâche, ici au Burundi, on te paie seulement 2.500 Fbu/demie journée. »

Un sort auquel Dieudonné Tuyishime n’a pas échappé : « Parfois l’employeur ne paie pas tout ou une partie du salaire dû a ses travailleurs. Ces derniers risquent même d’être emprisonnés puisqu’ils sont sans-papiers donc ils n’ont aucun droit de porter plainte. », regrette-t-il.

De cet état de fait, les parents sont désemparés. « Mon fils est parti travailler en Tanzanie puisqu’on est pauvres, mais il n’est pas revenu depuis maintenant 3 ans. Je n’ai pas de ses nouvelles », s’inquiète Désiré Ndihokubwayo, la cinquantaine.

Therencie Gakobwa: « On est au courant des risques et du mauvais traitement réservé à nos enfants en Tanzanie. Mais nous n’avons rien à leur proposer de mieux pour qu’ils restent au Burundi. »

« On est au courant des risques et du mauvais traitement réservé à nos enfants là où ils vont. Mais, nous n’avons rien à leur proposer de mieux pour qu’ils puissent rester ici, car la pauvreté et le chômage font rage dans nos contrées », s’indigne Therencie Gakobwa (65 ans), habitant la colline Mugomera, de la province Kayanza.

Sur la colline Ndava, de la commune Muhanga, province Kayanza, c’est la désolation chez les parents et l’administration. Pour Jérémie Ngendakumana, un des parents, le mal est profond : « Certains jeunes reviennent avec de beaux habits et de petits objets comme des plaques solaires, de petites radios… ce qui suscite les autres à partir. Mais une fois arrivés ici, ils ne pensent qu’à vivre dans le luxe, dilapider leur tirelire jusqu’à tout vendre, pour essayer de repartir en Tanzanie. »

Revocat Sibomana, le chef de cette colline est catégorique : « Aucun jeune de cette bourgade n’est parvenu à se développer grâce à l’argent gagné en Tanzanie. Tout le monde raconte qu’ils ont été saignés à blanc ou escroqués. Néanmoins, ils ne cessent de partir espérant tenter encore une fois leur chance de réussir à passer entre les mailles du filet. »

Aux grands maux, les grands remèdes

Cela étant, des initiatives gouvernementales ont été mis en place pour soutenir les projets des jeunes. L’on notera par exemple les coopératives collinaires Sangwe et le programme PAEEJ. Pourtant, elles sont loin de satisfaire les ambitions de certains jeunes de Ngozi et Kayanza.

Léonard Bucumi (31 ans), l’un d’eux, affirme qu’il n’est pas attiré par ces initiatives puisqu’elles ne sont pas fructueuses : « A ma connaissance, aucun jeune ne s’est développé grâce à ces projets du gouvernement. Or, si tu réussis à aller travailler en Tanzanie et revenir indemne, tu peux t’acheter une terre, te construire une maison, te marier… », explicite-t-il.

Du même avis, Emile Karenzo, assistant du chef de colline Mubira en province Ngozi, souligne un manque d’informations chez les jeunes à propos de ces initiatives : « On n’a jamais entendu un projet comme PAEEJ qui vise à soutenir les jeunes sur cette colline. Il nous semble que l’Etat nous a oublié puisque notre colline ne dispose ni d’école ni de dispensaire. En ce qui est de la coopérative Sangwe, sa portée est faible par rapport aux jeunes qui en ont besoin. »

Vianney Ndikumana, chef de cabinet de la province Kayanza: « Le Burundi devrait songer à conclure des accords de coopération avec la Tanzanie en matière de protection des travailleurs migrants. »

Et cet homme de l’administration locale de solliciter le gouvernement d’initier des projets d’envergure comme l’agriculture à grande échelle pour qu’ils puissent embaucher une main d’œuvre importante.

Quant à Patrice Mpabwanayo, vice-président du CFCIB en province Ngozi, les investisseurs tant Burundais qu’étrangers devraient contribuer à créer de l’emploi pour les jeunes en allouant leurs capitaux dans des projets qui embauchent une grande part des jeunes. Par-dessus le marché, cet entrepreneur appelle l’Etat à vulgariser ses programmes d’appui aux initiatives des jeunes pour que ces derniers soient suffisamment informés. « Le gouvernement devrait également relancer ses entreprises comme la rizerie de Gashikanwa, l’usine de transformation de bouillie… jusqu’ici restées dans les cartons, si nécessaire impliquer le secteur privé, afin de booster l’employabilité des jeunes », glisse-t-il.

Abondant dans le même sens, Vianney Ndikumana, le chef de cabinet de la province Kayanza invite l’Etat à conclure des accords de coopération, surtout avec la Tanzanie, en matière de mobilité de la main d’œuvre comme pour le cas de son partenariat avec l’Arabie Saoudite, afin que les jeunes burundais soient protégés dans leurs droits en tant que travailleurs migrants.

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