Si la création d’emplois en faveur des jeunes est au cœur des débats publics au Burundi, il existe un secteur quoique embryonnaire, qui foisonne pourtant d’opportunités : l’industrie culturelle. Le think-tank Isôko, initié par le REJA, en dresse l’état des lieux dans la première d’une série de conférences publiques en milieu universitaire.
Définie comme « la création et la gestion d’une activité dont l’objet est la commercialisation d’un produit ou d’un service culturel », l’entrepreneuriat culturel présente l’avantage de se nourrir des formes de spécialisation déjà disponibles sur le terroir, se développe autour d’unités de production souvent réduites, avec un ancrage territorial évident. Ainsi, la multiplicité de ces entreprises culturelles à travers le Burundi permettrait d’exploiter et de pérenniser le patrimoine culturel dans sa diversité, tout en nourrissant les économies rurales autant en flux financiers qu’en capitaux humains.
Contexte : un patrimoine culturel riche, méconnu et peu exploité
Des sites historiques (nécropoles et cours royales, sites présentant des artefacts, etc.) aux espaces écologiques à fort potentiel touristique (eaux thermales, chutes, lacs, etc.) en passant par les produits artisanaux (vannerie, sculpture, habits en écorces d’arbre, etc.) ou patrimoine immatériel (chansons, cinéma, danses, littérature), le constat posé par le Dr Ferdinand Mberamihigo, linguiste, Chef du département de langues et études africaines à l’Université du Burundi est que le Burundi offre un immense potentiel à même de donner lieu à une véritable industrie culturelle. En vue de permettre l’éclosion de cette dernière, quelques initiatives ont déjà vu le jour et sont opérationnelles : des compétitions comme Miss Burundi, une floraison de clubs des danses traditionnelles, la récente apparition d’agences de mannequinat, l’émergence d’opérateurs musicaux ou des producteurs de cinémas, etc.
En matière de protection de la propriété intellectuelle, l’arsenal juridique est moins lacunaire au Burundi. Ornella Kiyuku, membre du Barreau de Bujumbura, spécialiste en Droit des affaires rappelle notamment la mise en place de l’Office Burundais des Droits des Auteurs (OBDA).
Pourtant, il importe de recenser certaines contraintes qui expliqueraient l’atrophie de l’économie culturelle :
- Le manque d’une culture entrepreneuriale au sein de la population burundaise, surtout chez les jeunes pour lesquels la réussite professionnelle se résume à l’accès au statut social de « fonctionnaire »;
- L’impossible financement du risque inhérent à toute ambition entrepreneuriale par les banques. Le taux d’emprunt bancaire élevé et les inévitables garanties de prêt immobilier évidemment inaccessibles aux jeunes traduisent un manque de confiance dans la stabilité sur le moyen et le long terme des projets;
- La divergence de vues entre les jeunes (qui prônent la flexibilité quant à l’usage de certains patrimoines burundais, en l’occurrence le tambour) et les défenseurs de la tradition (qui restent intransigeants en matière d’interdits et pratiques autour de ce patrimoine);
- La méconnaissance des opportunités entrepreneuriales qu’offre la culture burundaise, ce qui n’est pas de nature à favoriser l’émergence des jeunes créateurs et laisse porte ouverte à l’hégémonie des produits étrangers;
- Le manque de règles sectorielles spécifiques applicables dans différents secteurs de l’entrepreneuriat culturel et l’absence de formation adéquate dans ledit domaine bloquent toute prise de risque de la part des jeunes et plus particulièrement les filles;
- Le faible pouvoir d’achat de beaucoup de Burundais ne permet pas à la plupart d’entre eux de donner priorité aux produits culturels.
Nourrir le Plan National de Développement
Les politiques de développement durable mises en marche au Burundi doivent désormais répondre à plusieurs impératifs résumés dans le Plan National de Développement du Burundi 2018-20272. Parmi les piliers de cette dernière, on dénombre la promotion du capital humain et de l’urbanisation, la réduction de la croissance démographique et de la pauvreté au sein d’une population à 83 % rurale et vivant largement de l’agriculture de subsistance.
L’économie culturelle pourrait donc constituer une piste privilégiée pour transformer en valeur marchande l’exploitation des patrimoines matériels et immatériels qui survivent au Burundi sous forme folklorique, dans un processus qui profiterait tant aux communautés rurales souvent détentrices de ce patrimoine qu’aux milieux urbains qui servent de portails d’accès à ces créations (tourisme, événements culturels, etc.).
Pour y arriver, le think tank Isôko propose :
- Au Gouvernement du Burundi, de promouvoir le kirundi, langue de création et de transmission de la culturelle burundaise, avec l’opérationnalisation de l’Académie Rundi qui viendrait standardiser cette langue et l’enrichir de terminologies adaptées au monde actuel des TIC;
- Au Gouvernement du Burundi, de réserver une attention particulière à la création culturelle dans les politiques de financement de l’entrepreneuriat, notamment dans le fonds d’un milliard de francs burundais prévu dans la loi budgétaire 2018 et destiné aux jeunes créateurs d’emplois;
- Au Ministère ayant en charge la Jeunesse et la Culture, à la Chambre Fédérale du Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB) et à l’Office Burundais de l’Emploi et de la Main d’Œuvre (OBEM), de mettre en place un Village des Métiers et de l’Art qui servirait de centre d’incubation de l’entrepreneuriat culturel autant que de vitrine du potentiel créateur de la jeunesse;
- Aux médias locaux et au Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, de vulgariser le patrimoine culturel burundais, notamment auprès des jeunes ;
- Aux associations œuvrant dans l’entrepreneuriat des jeunes, d’encadrer leurs membres pour la production de projets innovants, bancables et tenant compte des réalités socio-économiques ;
- Aux mouvements associatifs culturels burundais, de se doter d’une représentation nationale auprès des pouvoirs publics ;
- Aux différents acteurs concernés par le domaine culturel, de promouvoir le travail en réseaux.