Le processus de recherche de la vérité par la commission vérité et réconciliation est différemment apprécié par les habitants de la commune Vumbi en province Kirundo. Certains parlent des pratiques qui réveillent les vieux démons du passé, d’autres évoquent la seule voie de parvenir à une vraie réconciliation…
Commune Vumbi, l’une de la province de Kirundo où des corps des victimes des tueries de 1972 ont été exhumés. Sur place, ce travail effectué par la CVR est différemment apprécié. N.B, rencontré sur la colline Gasura n’y va pas par quatre chemins : « La CVR fait un travail extraordinaire car des atrocités ont été perpétrées. Il est donc nécessaire que la vérité soit connue pour que ces restes soient exhumés puis enterrés dignement. »
Mais pour N.M., un jeune étudiant, ce travail de la CVR s’accompagne souvent d’un climat de terreur auprès de ceux qui sont supposés être les bourreaux : « J’étais ici quand la CVR est venu exhumer les restes des corps. Les gens de la communauté Tusti étaient tous envahis par la peur car il circulait des messages pointant du doigt les Tutsi comment étant responsables de ces charniers. Je me suis senti visé alors que je n’étais pas encore née au moment des faits. »
Cyprien, habitant de Gasura va plus loin et remet en cause la neutralité de la CVR : « Comment ils ont su que seuls des Hutus avaient été enterrés dans une fosse commune alors que les atrocités ont été commises de deux côtés. » Pour lui, il ne fait aucun doute que le travail de la CVR ne vise qu’une partie de l’histoire sombre du pays et donc une seule ethnie au détriment de la vérité.
Pour Emilienne, habitante de la localité de Gasura, même la communication de la CVR interroge : « Comment des gens qui veulent réconcilier le pays, débarquent avec des a priori en utilisant un langage accusateur et sans empathie » Et de conclure : « S’ils veulent réellement réconcilier les Burundais, il faut qu’ils arrêtent ce type de discours qui blessent certains et risque de susciter un esprit triomphaliste et de vengeance chez les autres. ».
La CVR œuvre pour tous les Burundais
Léa Pascasie Nzigamasabo, secrétaire et porte-parole de la commission, balaie d’un revers de la main toutes ces accusations. Interview.
Des discours de haine sont tenus contre la CVR chaque fois qu’elle présente un rapport d’étapes. Quelle est votre réaction ?
L’essentiel du travail de la CVR, c’est d’enquêter sur les crises cycliques qui ont secoué le Burundi et donner des propositions pour que le pays puisse s’en sortir. Chaque fois qu’un rapport est présenté, il y a des vérités, des choses longtemps cachées qui sont mises à nue qui viennent contredire quelque part certaines vérités détenues par les uns et les autres. Comme nous détenons des vérités diversifiées, lorsque l’on vient pour contredire ce que vous détenez, ce n’est pas facile de sortir de son confort et accepter ce qui est donné par l’autre. Mais comme la commission est inclusive dans toutes les composantes, les gens devraient d’abord apprendre à ne pas s’accrocher sur leurs propres vérités mais rester ouverts même si des fois cela fait mal.
Ces détracteurs ont-ils un profil, qui sont-ils et que cherchent-ils d’après vous ?
Les gens qui n’acceptent pas les rapports présentés par la commission sont de plusieurs ordres. Le premier est celui, je dirais, des auteurs qui ne voudraient pas que les actes commis soient connus. Le second groupe, c’est le groupe des personnes que j’appelle des fanatiques : parce que tu es de l’ethnie Hutu, Tutsi ou Twa, tu ne voudrais pas que ton ethnie soit pointée du doigt. Le 3ème groupe, ce sont des personnes qui exploitent à bon escient les rapports de la CVR mais pour leurs propres intérêts : des gens qui n’aiment pas la paix, qui se sentent à l’aise lorsque tout va mal, qui profitent des situations de chaos. Et ce sont ces gens qui voudraient que les choses se répètent à l’infini, qu’il n’y ait pas de paix. L’autre groupe, peut être le dernier, est celui des journalistes. Quelques fois, ils déforment l’information donnée en sortant des propos de leur contexte général, ce qui fausse le sens de l’information donnée par la CVR.
Il y en a qui accuse la CVR d’œuvrer pour le compte d’une seule ethnie, du parti au pouvoir. Que leur répondez-vous ?
La composition de la CVR est inclusive. Elle comprend des Hutus, des Tutsi et des Batwa et même la diversité religieuse. Nos rapports sont concertés, une réalité de terrain exploitée ensemble, nous en discutons et nous produisons un rapport sur lequel il y a consensus et qui est, certes présenté par le Président de la commission ou son délégué, mais qui est le fruit de toute la commission. Nous ne travaillons pas pour une ethnie mais pour les Burundais. Nous sommes conscients que ce qui a frappé le pays, a été orienté sur base ethnique, il ne faudra pas avoir peur d’évoquer les ethnies.
Un exemple pour étayer vos propos ?
Le rapport produit cette année parle de ce qui s’est passé de 1885 à 1973. Lorsque nous travaillons et découvrons que dans telle région, ce sont les Hutus qui ont été tués, nous disons que des Hutus ont été tués. Si ce sont des Tutsi qui y ont été tués, nous le disons. Même chose pour les Batwa. Souvenez-vous en 2021, le rapport que nous avons produit, nous avons qualifié le génocide commis à l’encontre des Hutu du Burundi mais nous avons également dit que des crimes contre l’humanité ont été commis contre les Tutsi habitant spécifiquement sur le littoral du lac Tanganyika et contre les Batwa, surtout dans les provinces de Mwaro et Muramvya. Vous conviendrez avec moi que nous disons la réalité du terrain, pas ce qui sort de nos têtes. C’est vrai que la vérité blesse mais il faudrait que les Burundais acceptent cette vérité car c’est elle seule qui nous guérira.
Que direz-vous pour rassurer ceux qui restent sceptiques face à votre travail ?
La vérité fait parfois peur mais progressivement vous découvrirez que le fruit de ce travail sera délicieux pour tout le monde. Ça ne s’accepte pas facilement compte tenu des blessures vécues par les uns et les autres mais ça viendra progressivement. J’invite tous les Burundais d’entrer dans ce processus de réconciliation parce que la vérité que nous cherchons, est au service de la réconciliation et celle-ci nous concerne tous. Que personne ne traine les pieds afin de ne plus attiser la haine. Il faut que tout le monde soit conscient que nous devons cohabiter et cette cohabitation pacifique proviendra de la connaissance de la vérité.