Ce 16 décembre 2019, le Centre for development and enterprises great lakes organisait un atelier de restitution sur les « contraintes juridiques qui bloquent la libre entreprise au Burundi ». Dr Emery Nukuri, consultant en matière de régulation, invité à l’occasion, dans une interview accordée au Magazine donne quelques pistes de solution.
Par certification, qu’entendez-vous, et quels en sont les avantages ?
La certification est un système de normalisation afin de contrôler et assurer la qualité des produits, surtout agroalimentaires pour le bien-être de la population. Elle permet aux entrepreneurs d’accéder aux marchés dans des zones (à l’étranger par exemple) où leur réputation est inconnue ou a besoin d’être renforcée. En outre, elle leur permet de se mesurer à leurs concurrents au moyen d’une vérification indépendante par un organe de contrôle agrée et fiable.
D’autre part, la certification donne aux consommateurs l’information sur le rapport qualité-prix. Aussi, elle contribue au développement du pays en permettant l’accroissement des exportations et la réputation des produits locaux et des entreprises nationales, l’économie et la rentrée des devises nécessaires à l’investissement et au développement.
Quel est l’état actuel de la certification au Burundi ?
En 1992, le Gouvernement a mis en place le BBN (Bureau Burundais de Normalisation), qui est un établissement public à caractère administratif doté d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière et organique, dont les missions principales sont de préparer, en collaboration avec les commissions techniques, des projets de normes internationales, de promouvoir la gestion et l’assurance de la qualité, de servir de centre métrologique, et de créer et gérer la marque de certification. Le BBN se charge ainsi de la délivrance du certificat de conformité aux normes sur tout le territoire national
Cependant, il se remarque la lenteur de la procédure de certification et l’insuffisance de contrôles des produits non certifiés, ce qui contraint les entrepreneurs à continuer à travailler dans l’informel. Pourtant, la loi régissant le BBN stipule que la certification ne devrait pas dépasser 10 jours, avec au préalable 3 jours pour visiter l’entreprise en quête de certification.
Dans notre première descente au BBN dans la division certification, les demandeurs de certificats se lamentaient d’avoir attendu les uns 4 mois, les autres 6 mois, ou plus. Et la réponse (sur à quand les résultats) était approximative : « Peut-être dans une semaine, dans deux semaines ou dans un mois ». Cela retarde les investissements et occasionne des pertes énormes.
Quelles en sont les causes ? Et les retombées ?
D’après l’enquête menée, le BBN manque certains équipements de pointe pour faire toutes les analyses, tester tous les paramètres, ce qui leur oblige à faire recours aux laboratoires externes.Aussi, les ressources humaines ne sont pas assez suffisantes pour répondre favorablement et en temps réel aux doléances des clients, en l’occurrence le charroi pour le transport des échantillons. On ne manquerait pas de signaler certains manquements dans la collaboration entre le BBN et le CNTA.
Comme conséquences, par exemple, un producteur agricole peut demander l’expertise et les analyses du CNTA pour vérifier si son produit répond aux normes de qualité alimentaire, moyennant bien sûr paiement. Si le CNTA trouve que son produit répond aux normes, il lui donne les résultats et l’encourage à faire certifier son produit.
En demande de certificat de qualité au BBN, ce dernier refait les analyses moyennant un deuxième paiement, et parfois renvoie les échantillons au CNTA qui doit refaire cette fois la même analyse au profit du BBN, ce qui constitue une perte de temps (double analyse) et une perte de moyens financiers de la part de l’entrepreneur.
La certification et l’implantation d’entreprises, quel rapport ?
Selon les statistiques officielles, en 2018, 2 289 entreprises ont été créées à l’API, soit une évolution de 5,4% en par rapport à l’année 2017.En 2019, l’API est passé à 3 430 entreprises. Au niveau du secteur agroalimentaire, qui occupe plus de 90% de la population active et qui fournit plus 95% des apports alimentaires, il est déplorable de mentionner qu’en moyenne seules 4% des entreprises sont créées dans ce domaine, ce qui montre qu’un long chemin est encore à faire pour la question des produits agro-alimentaires transformés et certifiés.
Avec l’afflux de ces entreprises, la certification devrait suivre le rythme. Or, le BBN a délivré cette année 107 certificats valables pour une année. Dans les 107 certificats, il n’est pas possible de voir les certificats renouvelés et les nouveaux certificats délivrés. Ce chiffre est bas par rapport aux entreprises existantes.
Quelles sont les pistes de solutions que vous proposez ?
Le Gouvernement doit conjuguer plus d’efforts dans le cadre réglementaire des intervenants dans la certification (laboratoires de contrôle de qualité) pour éviter les doublons, et mutualiser les moyens disponibles. Également, une augmentation du budget est nécessaire pour assurer leur bon fonctionnement. En plus, les services habiletés doivent prévoir des tarifs raisonnables de certification, par catégorie de produits pour éviter que le BBN et le CNTA ne soient un frein à la certification (vide juridique).
La certification des produits agricoles et les œuvres artisanaux innovants devraient être facilités, et avoir les moyens humains et techniques pour lutter contre les produits non certifiés, sinon les entrepreneurs découragés vont travailler dans l’informel et mettre en danger la vie de la population. La recherche pour le développement et l’innovation (concours des projets innovants au niveau communal, provincial, national et appui des projets sélectionnés au niveau de la certification, du démarrage, facilités bancaires, fiscales…) devraient être encouragées.
