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Société

Communication sur le passé non partagé : que dire et comment s’y prendre ?

« Sans passé partagé, pas de présent commun », écrit François Naudin dans Inflexions (2014). La divergence d’opinions sur des faits historiques douloureux, liberté d’expression oblige, ne doit pas faire fi du risque d’éclatement des violences de masse, si elle est accompagnée d’un discours polarisant ou haineux. Quelques éléments de réflexion avec Jean Bosco Harerimana, expert en justice transitionnelle et professeur d’université.

Qu’est-ce qu’une personne doit communiquer sur des faits où des opinions divergent ?

Il est difficile de déterminer ce qu’une personne doit communiquer sur un passé qui divise, qui provoque des divergences d’opinions. Mais d’emblée, il est très important de prendre conscience de la valeur de ce qu’on dit et des conséquences plausibles. Il est très important d’éviter de diaboliser les groupes, de généraliser ce qui s’est passé c’est-à-dire faire porter la responsabilité à un groupe de gens (groupe ethnique, régional, religieux, racial…). Il faut donc adopter une stratégie qui privilégie le juste milieu : ne pas éviter de dire la vérité mais ne pas non plus diaboliser les autres ; éviter de créer des ennemis de masse.

Comment se rassurer que cette communication ne renforce pas la polarisation sociale ?

Pour éviter que ce genre de communication ne polarise la société, il est important de comprendre que généralement nous sommes limités dans notre compréhension de ce qui s’est passé en termes non seulement d’ampleur mais aussi de portée. Souvent nous connaissons ce qui s’est passé chez nous sur notre colline, dans notre village. C’est ce que nous appelons généralement une vérité bornée, une information bornée. Nous sommes bornés ans notre façon de comprendre ce qui s’est passé. Et ce qui s’est passé dans sur notre colline ou dans notre village n’est pas le seul fait. Il y a d’autres événements malheureux, douloureux, qui se sont passés ailleurs. Il est donc nécessaire de comprendre que lorsque nous nous exprimons sur des faits qui divergent, qui polarisent la société, que c’est juste notre vérité à nous et non pas une vérité que nous devrions imposer aux autres.

Jean Bosco Harerimana, expert en justice transitionnelle et professeur d’université

Concrètement comment devrait se faire cette communication ?

Les grands acteurs notamment les Etats, les ONG, les OSC, les églises, les médias doivent faire un grand travail d’injecter dans l’opinion les versions divergentes pour que tel groupe X d’une telle colline et telle groupe Y d’un village quelconque comprennent que ce qui s’est passé chez eux, n’est pas seulement ce qui s’est passé dans tout le pays. Et donc qu’ils ne sont pas les seuls à avoir souffert, qu’à d’autres périodes, d’autres individus ont également souffert. Cela pousse les uns et les autres à avoir l’amabilité d’écouter, à se mettre à la place de l’autre et la flexibilité de comprendre.

Peut-on se maîtriser dans sa communication lorsqu’on se considère comme victime des violences passées ? Si oui comment ?

C’est très difficile et cela dépend des circonstances. Nous avons vu des victimes, au contact de certaines vérités comme les exhumations des ossements, tomber par terre. Et donc, il est très difficile de dire comment une personne peut se maitriser. Ici il n’y a pas une science qui puisse édicter les principes sur comment se maitriser. Toutefois, il faut prendre comme principe que ce que nous disons peut contribuer à la réconciliation de la nation ou contribuer à sa division. Il faut donc toujours avoir en tête qu’il est important d’utiliser un langage doux, éviter de généraliser ou sur généraliser c’est-à-dire faire porter la responsabilité à des groupes et non pas à des individus. Ensuite, il faut faire confiance dans les organes qui gèrent le processus en cours dans la mesure du possible. Adopter un comportement qui permet non seulement aux uns et aux autres de parler mais aussi de s’écouter mutuellement. Nous avons vu dans le passé récent des cas où des victimes, des survivants parlent et pardonnent aux auteurs de leurs malheurs, aux auteurs de graves violations des droits de l’Homme qui ont endeuillé les familles et les villages. Nous avons vu moyennant l’action de l’Etat, des acteurs principaux, le recours des médias, c’est quelque chose de possible. On peut y arriver.

Et dans le cas contraire, quels défis qui se posent à la communication sur le passé conflictuel entre deux ou plusieurs groupes ?

Dans le cas contraire, s’il n’est pas possible de se parler, et bien c’est la création des ennemis. On stéréotype l’autre groupe, on le considère comme ennemi et cela perpétue le conflit au lieu de le résoudre. Quand vous écoutez des personnes dans le passé, il y en a qui vous disent qu’ils ne savaient pas que tel groupe d’individus pouvait être aussi humain. Et donc, dans le cas contraire, il y a risque de radicalisation propice à un éclatement d’un autre conflit.

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