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‎Bubanza : les messages semant la confusion au cœur des fractures sociales

Les messages semant la confusion sont dangereux pour la société.

Des messages ambigus circulent dans l’opinion, nourrissant la peur et la méfiance au sein de la population. Parfois, les tensions s’exacerbent autour de récits contradictoires liés aux événements politiques, aux élections ou aux conflits régionaux. Ce climat d’incertitude alimente une inquiétude collective croissante et les risques réels d’une dérive vers la violence.

‎À Nyagonga, sous-colline de Shari dans la commune Bubanza, en province Bujumbura, les mots ont un poids particulier. Ici, la rumeur n’est pas un simple bruit de fond : elle apeure, divise, et parfois fracture. Dans ce coin du Burundi, les messages souvent anonymes sèment la peur, réveillent les fantômes du passé et érodent les fondations d’une société déjà fragilisée.

‎Richard* (37 ans), habitant Nyagonga, se souvient des évènements politiques de 2015, comme si c’était hier. Selon lui, les informations à propos du coup d’Etat raté ont chamboulé leur quotidien : « Les uns disaient que le pouvoir a été renversé, d’autres refusaient de l’accepter. La peur nous a envahis et on ne savait pas quoi faire. Les messages circulaient à vive allure sur les réseaux sociaux, et on se demandait ce qui se passait réellement. »

‎Josephine* (52 ans), habitant elle aussi cette contrée, a vécu la crise de 2015. Pour elle, lorsqu’on a parlé encore de coup d’État cette année, c’est comme si le pays allait replonger dans le cauchemar d’octobre 1993. Veuve et mère de 7 enfants, Josephine* témoigne avoir vécu le calvaire après l’assassinat du Président Melchior Ndadaye. Elle a dû fuir la guerre vers la RDC, et les cicatrices de son exil restent vives : « Quand on a entendu que le pouvoir serait entre les mains des putschistes, j’ai paniqué. Certains disaient que ce ne sont que des rumeurs, d’autres soutenaient que le coup de force a bel et bien eu lieu, et que le palais présidentiel est pris en otage. On se posait beaucoup de questions à propos, mais sans réponse. On avait tellement peur, et on se demandait comment on va porter nos enfants sur le dos, afin de prendre le chemin de l’exil. »

‎Bien plus, poursuit Josephine*, les combats actuels à l’Est de la RDC résonnent jusque dans les collines de Nyagonga. Non pas par les armes, mais par les mots : « On dit que la guerre va traverser la frontière. Que si les combats s’intensifient, le Burundi sera à son tour attaqué, et nous serons les premières victimes suite à notre proximité avec la frontière congolaise. Ces rumeurs nous bouleversent toujours, d’autant plus qu’elles réveillent les vieux démons. »

La tension monte

‎Dans ce contexte, explique Martin*(46 ans), habitant Nyagonga, la peur devient contagieuse, et la méfiance passe pour un réflexe de survie. « L’opinion est divisée. Les uns croient aux messages propagés, les autres restent sceptiques. Dans ce cas, les deux groupes peuvent entrer en désaccord et se chamailler. Ils peuvent même s’entretuer », regrette-t-il.

‎Par-dessus le marché, ajoute Dieudonné* (40 ans), habitant lui aussi la sous-colline Nyagonga, suite à des messages semant la confusion, certains peuvent se soulever contre l’autorité publique, ce qui alimente la peur et l’insécurité : « Quand la population est tourmentée par des discours de haine venant de part et d’autre, elle ne peut pas garder la tranquillité et la sérénité. Il y’a la méfiance qui s’installe dans la société, et qui attise l’inimitié. »

Joachim Nduwumukama, secrétaire exécutif communal de Bubanza (Image d’ABP Infos)

Pour Joachim Nduwumukama, secrétaire exécutif communal de Bubanza, les messages qui sèment la confusion sont surtout liés aux rumeurs non fondées, à propos de l’insécurité : « Des rumeurs font état de la présence  des ennemis qui veulent entrer dans la commune de Bubanza pour arriver dans la forêt de la Kibira à Musigati. »

‎Selon toujours cet administratif, la population réagit différemment face à ces messages, parce qu’il peut y avoir une partie qui est pour ces rumeurs et une autre partie qui est contre : « Lorsque les deux parties se manifestent, il peut y avoir des conflits ouverts qui peuvent même causer des dégâts humains ou matériels. Dans ce cas, nous procédons alors à la tenue de ces réunions pour que la population puisse garder la tranquillité, la paix et la bonne entente entre elle.»

Ne pas céder aux sirènes

‎Toutefois, souligne M. Nduwumukama, les auteurs de ces messages peuvent être souvent motivés par leurs propres intérêts : « Il peut y avoir des gens qui veulent faire par exemple une fraude. Et pour chercher que leurs commerces ou leurs manœuvres réussissent, ils essaient de semer ces rumeurs non fondées afin qu’ils puissent se frayer un chemin pour passer entre les mailles du filet en toute tranquillité. »

‎Face à ces messages qui sèment la confusion, insiste Joachim Nduwumukama, la population devrait  informer l’administration pour qu’elle puisse prendre des mesures qui s’imposent par rapport à la situation qui prévaut : « Nous pouvons par exemple tenir des réunions à l’endroit de la population pour tranquilliser la population et donner des conseils. Nous procédons également à travailler en commun d’accord avec la police et surtout le commissariat communal pour appréhender ou chercher les auteurs de ces messages qui sèment la zizanie ou la haine au sein de la population. »

‎Abondant dans le même sens, Blaise Izerimana, sociologue recommande qu’à chaque fois qu’on entend un message confus, de ne pas l’interpréter soi-même : « Il faut se poser plusieurs questions, ou demander des éclaircissements aux personnes qui diffusent ce messages. »

‎En outre, conclut-t-il, la sensibilisation aux effets de ces messages qui sèment la confusion est primordiale : « Il faut que chaque personne soit interpellée à lutter contre ces messages, parce que ce sont des messages qui sèment le chaos. »

*nom d’emprunt

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