Le Senat burundais poursuit depuis ce 31 juillet 2023, des consultations avec différentes parties prenantes à travers le pays pour repenser le système des quotas ethniques dans les institutions. Une volonté d’écarter une frange de la population de la gestion du pays pour certains, alors que d’autres appellent à hausser le niveau de développement du pays pour permettre à chaque citoyen de trouve sa place afin de conjurer le spectre des violences interethniques…
Longtemps déchiré par des conflits multiformes, le Burundi a trouvé son accalmie après les Accords de paix et de réconciliation signés à Arusha en août 2000. Le socle de ces conventions – paraphées par les principaux protagonistes de diverses crises qui ont émaillé le tissu social – a été le partage du pouvoir entre les 2 ethnies majoritaires au Burundi.
Depuis 2005, l’élection ou la nomination des membres dans différentes instances que ce soit l’exécutif, législatif et judiciaire est soumis au système des quotas ethniques dans les proportions de 60% pour les Hutus et 40% pour les Tutsis.
Au sein des forces de l’ordre, les fameux Accords d’Arusha recommandent la parité entre les 2 ethnies. Plus d’un s’accordent à affirmer que cela a contribué à apaiser les tensions politico-ethniques ayant débouché sur des guerres civiles qui ont longuement marqué la triste histoire du Burundi.
Par-dessus le marché, cette inclusion a permis de renforcer la légitimité et l’acceptation des institutions gouvernementales par le peuple et d’assurer la cohésion sociale. Pour Léonce Ngendakumana, ex-président de la chambre basse, qui avait pris part à ces assises d’Arusha, la mauvaise gestion des affaires de l’Etat est la racine des conflits qui ont embrasé toute une nation : « Au cours de ces pourparlers, les participants ont convergé à l’idée que la nature des conflits est fondamentalement politique, même si les dimensions ethniques restaient importantes. Les difficultés que nous avons eues, ont été causées par la mauvaise gouvernance et gestion du pays.»
Opinion corroborée par Olivier Nkurunziza, l’homme fort du parti Uprona, qui indique que l’instauration des quotas ethniques a résolu « le problème de représentation dans la mesure où chaque citoyen se reconnaît dans les institutions gouvernementales afin d’assurer la garantie des libertés individuelles. »
Une réforme qui ne va pas sans conséquence
Pour s’y conformer, certaines entités se sont structurées de manière à respecter les quotas ethniques. C’est le cas des listes bloquées soumises à l’interne des formations politiques parfois sans consultation au préalable de tous les membres élargis du parti. « Cela affecte la crédibilité des politiciens qui ne sont plus redevables envers surtout leurs électeurs. La plupart se contentent de préparer dans la stricte intimité les listes des candidats sénateurs et des députés – compte tenu des quotas ethniques – qui occuperont les sièges décrochés à la fin des scrutins sans toutefois se soucier de leurs compétences ou de leur charisme », s’indigne G.N, un jeune rencontré en Mairie de Bujumbura.
Autre cas de figure, souligne P.K, un fonctionnaire habitant Gitega, la capitale politique, le principe d’équité et de la méritocratie semble s’éloigner des valeurs de ce système des quotas ethniques qui rime parfois avec le militantisme: «Vous verrez que surtout la nomination d’un tel ou tel autre cadre et/ou l’élection des membres d’une commission au niveau de certaines institutions publiques ou privées est parfois motivée par les quotas ethniques plus que leurs savoirs faire ou leur crédibilité.»
De son côté Olivier Nkurunziza de l’Uprona, trouve que la question des listes bloquées peut trouver une solution si les organes dirigeants y prêtent de l’intérêt, en tenant des élections primaires à l’interne afin que les partisans puissent faire leur choix libre des candidats individuellement.
Rémy Havyarimana, président de l’ONG « Maison Lueur d’espoir » résume cette réforme des quotas ethniques en une épée à double tranchant. Ici, il indique qu’elle en profite aux uns autant qu’elle en exclut les autres : « La personne qui se retrouve délibérément exclue à cause de cela, parce que son domaine est beaucoup plus occupé majoritairement par les membres de son camp, sera victime de la situation, contrairement à celle qui aura la chance d’être placée à tel poste du fait de la minorité de son appartenance ethnique dans une certaine structure », analyse-t-il
« Abroger les quotas ethniques équivaut à faire un pas en arrière »
Pour le parti Uprona, il est imprudent de retirer les quotas ethniques dans la Constitution Burundaise. Olivier Nkurunziza, son président n’y va pas par le dos de la cuillère: «Cet acte ferait sans doute réveiller d’un moment à l’autre les vieux démons qui ont fait chavirer notre pays dans des guerres civiles sur fond de l’extrémisme ethnique.»
Mr Olivier déplore par ailleurs que l’esprit de partage du pouvoir ne soit pas encore enraciné dans la dynamique politique Burundaise. Cela se traduit actuellement, selon toujours lui, par l’exclusion totale des membres de certains groupes ethniques ou politiques des institutions où les quotas ethniques ne sont pas exigés. «Une fois ces quotas élagués, il y a risque de recul dans la gestion inclusive des affaires de l’Etat, ce qui peut engendrer à nouveau des luttes à caractère ethnique, à l’origine des crises sécuritaires.»
Même son d’indignation de la part de L.M, jeune étudiant à l’une des universités de Bujumbura. Il s’observe, selon lui, encore des discriminations surtout liées aux ethnies et aux partis politiques lorsqu’il s’agit de l’accès à l’emploi: «La discrimination ethnique sur le marché du travail est une réalité dans notre pays. C’est regrettable que même dans certains services privés, tous les employés appartiennent à la même ethnie et partant d’une même formation politique. Plusieurs jeunes ont raté des occasions professionnelles à cause de leur origine ethnique, affirme-t-il. Abroger les quotas ethniques équivaut à faire un pas en arrière. Un groupe ethnique risque de se retrouver totalement exclu du domaine professionnel au Burundi, si les quotas ne sont plus considérés. »
Avis partagé avec le politologue Guillaume Ndayikengurutse, qui soutient que le pays navigue encore dans un contexte fragile du fait de son passé marqué par des conflits interethniques donc qu’il est encore important que toutes les ethnies soient représentées: «Je pense que cela n’entache en rien la démocratie vu que s’il faut choisir, on peut retrouver des citoyens compétents dans tous les groupes ethniques. Enlever les quotas ethniques dans les lois burundaises n’est pas une priorité parce que indépendamment de l’usage que les acteurs en ont fait quand même ils garantissent une certaine sécurité pour l’une ou l’autre frange de la population », et de suggérer: «Au-delà de ces débats amorcés par la chambre haute du parlement, il faut aussi faire recours à des études scientifiques et indépendantes pour évaluer l’apport de ces quotas ethniques durant ces 20 dernières années avant de prendre la décision de les maintenir ou pas.»
La nécessité de stimuler les possibilités d’emploi
Si plus d’un trouvent que les quotas ethniques soient une problématique, Rémy Havyarimana y voit comme une conséquence du déficit des débouchés surtout pour les jeunes. Pour lui, tant que l’effectif d’emplois reste limite, il y aura toujours des discriminations de diverses natures. « Il faudrait plutôt penser à promouvoir le secteur privé pour remédier aux défis du manque d’emplois. Cela contribuerait à ce qu’il y ait une certaine compétitivité dans tous les secteurs et garantirait par ricochet de l’équité qui consiste à donner les chances à tout le monde. Parce que jusqu’aujourd’hui il y’a un grand gap entre le nombre de candidats et celui des offres d’emploi sur le marché du travail. Donc la solution proviendrait de la recherche du travail pour ceux qui en ont besoin. Si les Hutus et les Tutsis trouvent facilement du travail, ça laisserait un champ libre aux critères de compétitivité.»
Pour l’ex Chef de l’Etat Domitien Ndayizeye, il faut miser dans l’éducation et la formation professionnelle, entrepreneuriale & des métiers pour que les jeunes exploitent leurs potentiels en vue de s’auto-développer et développer leurs pays.
Lors du lancement des activités d’évaluation des quotas ethniques par le Senat, il a appelé le gouvernement à assurer les meilleures conditions de vie et assainir le climat des affaires afin de renforcer les bases de l’économie burundaise car «la pauvreté est la mère de tous les vices. Il sera toujours difficile d’espérer la cohésion sociale là où la misère règne en maître.»