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Violences conjugales au Burundi : le cri des victimes étouffé dans les pans de la tradition

S’interroger sur les violences domestiques au Burundi reviendrait à ne parler -ou presque- que de la violence envers les femmes. Dans l’immense majorité des cas, la violence conjugale est commise par l’homme envers sa partenaire féminine. Un état de fait qui, malheureusement, est perpétué par la tradition

« Je suis venue ici pour porter plainte contre mon mari pour les abus dont je suis victime depuis des années », confie, larmes aux yeux, Jeanne Nkundumwami, rencontrée au chef-lieu de la commune Buraza en province Gitega.

Cette mère de trois enfants en bas âge indique avoir tout vécu de mauvais avec le père de ses enfants : « Là je n’en peux plus. Avant c’était la violence, certes dirigée contre moi et je pouvais encaisser. Mais là, il en est au stade dilapider les biens familiaux et ce sont mes enfants qui en souffrent. »

Et d’expliquer que son mari a vendu plus de 120 kg de haricots qui constituaient leur seule récolte pour l’année culturale passée : « Il a tout dépensé dans la bière et les prostituées. Quand je lui ai demandé ce qu’il avait fait avec cet argent, il m’a tabassé comme il le fait souvent au vu et au su des voisins sans que personne ne lève le petit doigt. » Cette violence gratuite a fait déborder le vase et Jeanne Nkundumwami a décidé de porter plainte contre son mari.

Toute en larmes, cette dame assure que ce traitement dégradant dont elle fait l’objet ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier d’ailleurs : « Des fois, au retour de la maison, il introduisait ses doigts dans mes parties intimes, soi-disant pour vérifier, si je n’ai pas couché avec d’autres hommes. »

En attendant que justice lui soit rendue, Jeanne Nkundumwami, est actuellement en fuite avec ses enfants car son mari est devenu comme un fou. Pire, elle reçoit des menaces de sa belle-famille à longueur de journée.

Une réalité qui fait froid dans le dos

Le malheur de Jeanne n’a rien d’anecdotique, La violence exercée contre les femmes par un époux ou un partenaire intime de sexe masculin étant l’une des formes les plus courantes de violence au niveau mondial, comme l’illustre une étude mondiale commanditée par l’OMS, selon laquelle « entre 10 % et 69 % des femmes disent avoir fait l’objet de violences de la part de leur partenaire masculin à un moment ou à un autre de leur vie ». Le cas de Jeanne illustre bien le malheur de plusieurs femmes burundaises pour lesquelles insultes, viols domestiques et autres formes d’agression constituent le lot quotidien.

En 2013, Freedom House dans une étude reprise par le HCR indiquait dans son rapport annuel qu’il y avait au Burundi « un problème grave de violences familiale et sexuelle », comme d’ailleurs l’affirmait les Country Reports on Human Rights Practices for 2012, publiés par le Département d’État des États-Unis, signalant que le viol, la violence sexuelle et les autres formes de violence familiale constituent un « problème grave » au Burundi.

Selon un autre rapport du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) repris toujours par le HCR, « la violence domestique touche pratiquement une femme sur deux au Burundi ».  Les auteurs du rapport ajoutent que des données précises sur la violence basée sur le genre, qui inclut le viol et la violence familiale, sont toutefois difficiles à obtenir car les femmes « ne font pas recours à la police ni à la justice. »

Par ailleurs, il est difficile pour la victime d’avouer publiquement qu’elle a été violée ou battue, notamment en raison du jugement social négatif souvent porté sur les Burundaises séparées ou divorcées. Avec une culture où une femme divorcée est considérée comme un paria dans la société, les femmes victimes de violences conjugales ont les mains liées et semblent condamnées à étouffer dans des mariages toxiques.

Les pesanteurs socio-culturelles, facteur favorisant l’impunité

En effet, dès sa jeunesse, la fille burundaise reçoit une éducation qui la dresse plutôt à être utile et docile, sinon elle sera appelée « Insimbarubebe » ( qui ne connaît pas de garde-fous). Le mot kirundi pour désigner une femme viendrait de là « Mukenyezi », du verbe « Gukenyera », nouer le pagne, la femme burundaise idéale serait celle qui noue le pagne au-dessus de ses plaies qui doit couvrir et cacher les secrets de son foyer.

En témoignent d’ailleurs les phrases comme « Nikwo zubakwa », « timbirako », le plus souvent prononcées par ses consœurs mêmes et d’autres rites et pratiques traditionnelles comme le « Gukanda Umuvyeyi », pratique dans lequel un époux doit avoir des rapports sexuels avec sa femme tout juste après l’accouchement pour, soi-disant, accélérer son rétablissement.

Des pratiques et comportements qui consacrent une certaine « culture de viol » et participent à la pérennisation du tabou sur les violences domestiques.

A la lecture de tout cela, l’on est tenté de se demander à quand la fin des violences conjugales dans la société burundaise ? La réponse n’est pas du tout certaine tant que tout Burundais indépendamment de son sexe, de son statut social ne s’est pas encore senti concerné, l’indifférence étant elle-même une menace autant que la commission de l’acte elle-même.  A retenir par cœur cet appel de la ministre de la communication, Léocadie Ndacayisaba, lors des cérémonies de lancement du prix des medias sensibles au genre : « Ce qui touche à la femme tue la société, les violences conjugales sont une réalité dans notre société. Elles tuent lentement mais sûrement.»

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