Jimbere

Kirundi French
Humeur

« Muzirakofe »

Il ne m’a pas été facile d’écrire tout ceci. J’avais envie de placer quelques mots bien sentis mais j’ai dû les omettre. Pour ne pas choquer, m’ont dit mes relecteurs.

Je m’appelle Grâce Françoise Nibizi. Les amis qui me connaissent depuis mon enfance m’appellent « Muzirakofe ». Ce surnom kirundi, qui veut dire « Celle-qu’il-est-strictement-interdit-de-gifler », me vient de ma grand-mère maternelle qui m’a élevée depuis mes onze mois jusqu’à l’adolescence.

C’était une femme extraordinaire, qui m’a marquée profondément et pour toujours, à cause de la beauté de son âme. Il y avait, en elle, un mélange harmonieux de sagesse, d’humilité, de simplicité. Elle avait un cœur spacieux (« umutima wagutse », en kirundi) couronné d’humour, enveloppé dans un visage paisible et transparent, où je pouvais lire ses pensées.

« Muzirakofe. » Ce surnom m’a appris tant de choses sur l’omniprésence de la violence dans la société burundaise. Dès l’âge de cinq ans, j’ai commencé à comprendre pourquoi mon surnom était si anormal par rapport aux pratiques de la culture burundaise. Toute personne qui apprenait que je m’appelle Muzirakofe s’exclamait et me posait beaucoup de questions auxquelles je n’avais pratiquement pas de réponse. Celle qui revenait le plus souvent était désarçonnant : « Pourquoi est-il défendu de te gifler ?», me demandait-on avec grande curiosité, parfois ironiquement. Je répondais chaque fois par un petit sourire. Dans ma tête, ces mots revenaient : Pourquoi sinon devrais-je être giflée ? Pourquoi d’ailleurs on doit gifler qui que ce soit ? Et si gifle il y avait, pour quel motif. Ou alors toute personne devait être giflée, juste comme ça, gratuitement…
C’est plus tard, adulte, que j’ai compris pourquoi mon surnom sonnait si bizarre. Parce que notre culture est façonnée par la violence.
Violence : tout usage arbitraire de la force, physique ou morale pour soumettre un autre, ou lui nuire (Max Veber). Relève-t-elle de la nature ou de la culture ?
L’opposition de la nature et de la culture est traditionnelle en philosophie et en sociologie. Elle fait référence à deux états supposés possibles de l’homme : l’état de nature serait l’état dans lequel l’homme se trouverait à l’état brut, non encore modifié par la civilisation ou la vie organisée en communauté, il serait l’état de l’homme compris comme espèce animale. L’état de culture au contraire désigne l’état dans lequel l’homme se trouve après son regroupement en sociétés, regroupement qui lui-même suppose une certaine rationalité ou une certaine inhibition des pulsions naturelles.

Si la violence est naturelle, alors elle relève de l’animalité et il est tout à fait normal que la violence existe entre les hommes. Elle serait l’effet de leur existence même et l’homme serait naturellement méchant. Pourtant, la violence humaine n’a rien de comparable avec les combats que connaissent les animaux, car l’homme se réjouit parfois du mal qu’il peut faire subir, ce qui montre que la violence est avant tout une affaire de volonté. L’homme peut prendre l’initiative de la violence, afin de réduire autrui dans un état de servitude. La violence est donc culturelle au sens où elle est le propre de l’homme dès lors où il entre en société, dès lors qu’il se socialise. Il faut alors se demander comment la société parvient à régler les rapports entre individus. Car si la violence n’est pas une fatalité de la nature, il est possible de l’éviter.

Pour le cas de ma chère patrie le Burundi, la violence est devenue cyclique et permanente de telle façon que je me demande quand et comment on pourra « régler les rapports entre les individus » pour éradiquer cette culture de violence, afin que tous les burundais et leurs biens soient des «Muzirakofe».

Ce magazine Jimbere, comme toutes les autres initiatives de SaCoDé, vise le Respect de la Dignité Humaine. C’est une lueur d’espoir qu’il serait bon de soutenir et entretenir pour que le Burundi puisse effectivement avancer, kuja-imbere, dans la Paix où l’autonomisation économique des femmes et des jeunes est possible et réelle. Un proverbe le dit si bien : « Tant qu’il y a la Vie, il y a l’Espoir ».

Que ces mots soient aussi un profond remerciement pour ces jeunes journalistes burundais, rédacteurs du magazine Jimbere : ils sont le miroir et la fierté d’un Burundi qui veut toujours y croire.
Malgré tout.

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