Le baromètre de la liberté de la presse au Burundi indique des avancées significatives malgré des défis, avec une rétention accentuée de l’information par des autorités publiques. Coup de projecteur.
Les radios Rema FM, Bonesha FM, Izere FM, Isanganiro, les journaux Iwacu et Burundi Eco, le Collectif des blogueurs Yaga et le Magazine Jimbere sont les 8 médias œuvrant au Burundi qui s’étaient coalisés ce jeudi 14 juillet 2022 pour une édition spéciale portant sur l’état des lieux de la liberté de la presse au Burundi, avec en toile de fond la rétention de l’information par certaines autorités publiques.
Le Président Ndayishimiye a fait de la liberté de la presse son cheval de bataille pour son premier mandat. Lors de sa rencontre avec les professionnels des médias, le 28 janvier 2021, c’est avec un slogan fort: «Jamais sans les médias» que le numéro un burundais a fait part de sa volonté « d’assainir la relation des pouvoirs publics avec les médias », en tenant les médias comme « acteurs majeurs de la relance économique » après la parenthèse tumultueuse de 2015-2020.
Mais tout n’a pas marché selon la volonté du Président de la République. Certaines autorités publiques demandent aux journalistes de leur soumettre pour validation, les articles qui les concernent, avant leur diffusion. C’est le cas du journaliste correspondant de la Radio Isanganiro dans la province de Karusi, Blaise Pascal Kararumiye. Convoqué à deux reprises par le parquet de Karusi, il est poursuivi par le Directeur provincial de l’agriculture et de l’élevage suite à une information diffusée vers la fin du mois de juin 2022.Il était question des vaches qui auraient été abattues alors que l’abattage des animaux était ’interdite sur tout le territoire burundais en raison de la fièvre de la vallée du Rift qui sévit jusqu’ici. Son employeur, la Radio Isanganiro, regrette le fait que l’information pour laquelle il est poursuivi n’a jamais été démentie, ni dans sa forme, ni dans son fond, et déplore que le parquet de Karusi lui ait demandé de faire valider à l’avenir ses articles à toute autorité provinciale qui sera concernée par le sujet couvert.
D’ailleurs, fait remarquer le Directeur A.I de la Radio Télévision Isanganiro, Alain-Désiré Bukeyeneza, les autorités administratives n’ont pas la latitude d’exiger au journaliste de leur présenter l’information traitée avant sa diffusion. « L’article 68 de la loi de la presse stipule que toute personne lésée par une information diffusée a le droit de réponse ». Alain Désire Bukeyeneza se réjouit néanmoins que le Conseil National de la Communication se soit saisi du cas de son journaliste.
Se présenter d’abord dans les provinces
Autre entorse à la liberté de la presse évoquée : le fait d’exiger aux journalistes qui effectuent des descentes dans les provinces à la recherche de l’information de se présenter d’abord aux bureaux des gouverneurs provinciaux et administrateurs communaux pour signaler leur présence.
Pour les journalistes interrogés en micro-baladeur cette exigence est une atteinte à la liberté d’exercice du métier de journalisme et complique le travail du journaliste.
Elle s’inscrirait d’ailleurs contre l’esprit de la carte de presse délivré par le CNC au journaliste et qui garantit l’accès inconditionnel sur l’ensemble du territoire burundais. « Au verso de la carte, il est écrit que les autorités civiles, policières et militaires sont priées de laisser passer le porteur du document, et lui apporter secours en cas de besoin », observe un journaliste qui a requis l’anonymat.
Des avis qui divergent
Alors que le CNC note que la liberté de la presse « s’est nettement améliorée », avec pour preuve « l’excellente relation entre les médias et le Conseil », selon le vice-président de l’organe Laurent Kaganda, les avis ne sont pas partagés au niveau des acteurs politiques et les membres de la société civile.
Pour Faustin Ndikumana, Président de l’organisation de la société civile PARCEM, les journalistes burundais travaillent dans un contexte assez compliqué lié à une mentalité des pouvoirs publics à reléguer les journalistes au second plan : « Les pouvoirs publics ne reconnaissent pas le rôle des journalistes dans le développement, alors qu’ils participent au renforcement de la redevabilité de la bonne gouvernance. »
L’autre défi, signale-t-il, est l’accès aux informations surtout les données :« Les cadres de l’État ne communiquent pas. Ce qui se répercute sur la saveur de l’information diffusée par les journalistes, qui se détériore. » Et de suggérer la mise en place au Burundi d’une loi sur l’accès à l’information. « La relance économique ne peut pas s’opérer si les médias sont laissés de côté », martèle-t-il.
Nancy Ninette Mutoni, porte-parole du CNDD FDD note des avances significatives en matière de la liberté de la presse :« Au Burundi l’état des lieux est satisfaisant, même si c’est un combat de tous les jours. » La porte-parole du parti au pouvoir fait savoir que son parti encourage un journalisme citoyen, qui accompagne le développement :« Au CNDD-FDD, nous sommes pour la liberté et non le libertinage.»
Le président du parti de l’opposition CNL Agathon Rwasa observe quant à lui que la liberté de la presse n’est pas encore satisfaisante au Burundi, sollicitant le Président de la République qui en a fait son cheval de bataille avec le slogan « Jamais sans les médias » de doubler d’efforts pour faire de la liberté de la presse une réalité : « On a beaucoup plus de slogans que de réalisations au Burundi. Personnellement, je pense que l’on ne devrait pas se fier aux slogans mais regarder la situation en face telle qu’elle se présente sur le terrain. Le Président de la République devrait recadrer certaines situations, recadrer ses collaborateurs… Bien sûr qu’il le fait, mais il devrait doubler d’efforts. »