Nombreux sont celles et ceux qui apprennent tardivement le mal qui les ronge alors que celui-ci est déjà au stade 4. Certains s’en sortent au prix d’un traitement rigoureux. Mais d’autres, face au coût élevé des soins ou ne croyant plus en la guérison, abandonnent en cours de route. Global refugee Aid prévoit la mise sur pied d’un centre dédié à cette maladie afin de réduire le taux de mortalité causé par le cancer…
Il est 15 heures quand nous débarquons au Kings Conference Center, où doit se tenir cette réunion de prise de contact entre le Global Refugee Aid et les représentants de différents hôpitaux. A ma droite, un homme en costume tapote sur son ordinateur avec anxiété, regardant sa montre toutes les cinq minutes. 15 minutes d’attente avant que les hôtes n’arrivent lui semblent une éternité. Enfin ils sont là! Tous les yeux les fixent se demandant ce qu’ils peuvent bien nous réserver.
Un témoignage qui déchire le coeur
Elle s’appelle Aggripine Nyandwi, la belle dame autour de la quarantaine. Elle a survécu au cancer du sein. C’est son témoignage : “ C’était en 2012 quand j’ai remarqué les premiers signes inquiétants. Mais à chaque fois que j’allais me faire soigner, aucun spécialiste n’a soupçonné la présence de cellules cancéreuses dans mon corps. J’ai visité plusieurs cabinets de gynécologues mais aucun d’entre eux n’a eu le réflexe de m’envoyer faire la mammographie.” regrette-t-elle.
Selon elle, en 2014, elle est partie au Canada pour poursuivre ses études. Vers décembre 2015, elle a pris du poids et les symptômes se sont développés de plus en plus. Des ganglions se sont formés sous ses aisselles. Elle a fait la mammographie, mais celle-ci n’a rien révélée. A son retour au Burundi en mai 2016, les examens ne montraient toujours rien bien qu’elle sentait sa santé la lâcher. “Je suis alors partie en Inde. Après un examen général, on a décidé de sectionner le petit ganglion que j’avais sous mes aisselles. Ils ont fait une biopsie et ont trouvé des cellules cancéreuses dans ce ganglion, ”se remémore-t-elle.
Selon toujours elle, ce n’est qu’à ce moment qu’elle a commencé le traitement de chimiothérapie pour six mois, après quoi elle a dû subir une mastectomie. En 2017, elle est rentrée au Burundi, et heureusement pour elle, le cancer ne s’est pas métastasé, et elle va bien jusqu’aujourd’hui. Pourtant elle témoigne que la plus grande difficulté qu’elle a connue durant son parcours de traitement était de savoir de quoi elle souffrait exactement, puisqu’elle a visité différents spécialistes sans résultats concrets. Les docteurs n’ont pas su reconnaître les signes alarmants renvoyant directement au cancer. Sans oublier que les coûts étaient exorbitants.
Une deuxième difficulté était d’être acceptée par sa communauté. “Personne ne me réconfortait. Tout le monde me croyait mourante. Certains ont plaidé pour mon licenciement, d’autres me décourageait et je commençais à me lasser de me faire soigner, les coûts des soins ne facilitant non plus la tâche. Même ceux à qui je demandais de m’emprunter l’argent pour les soins refusaient de me rendre service, n’ayant pas de garantie pour ma survie. Dans un coin de mon coeur, j’avais honte de ma maladie. En parler m’était un lourd fardeau. Je ne savais plus à quel saint me vouer. Mais je me suis battue pour vaincre le cancer,” se désole Aggripine.
Après cette victoire, elle a décidé de créer une association avec les consœurs qu’elle avait croisées dans différents hôpitaux, afin qu’ensemble elles puissent sensibiliser les autres, leur proposer une écoute et réconforter les nouvelles malades du cancer du sein, mais aussi pour les orienter vers les hôpitaux susceptibles de les aider.
Aggripine a eu la chance de survivre, mais ils sont nombreux ceux qui meurent sans savoir de quoi ils souffrent faute de l’avancement de la technologie médicale au Burundi, ou sur le chemin de l’hôpital le temps d’économiser pour les soins, ou par découragement…
Les chiffres sont alarmants…
La majorité des malades du cancer du sein se font soigner tardivement. Selon le Dr Gustave, Oncologue au Tanganyika Hospital, ça ne fait que trois ans depuis que cet hôpital peut traiter le cancer. Et depuis ce temps, 780 cas de différents types de cancer ont été reçu et traité. Parmi eux, la majorité des patients sont originaires de la ville de Bujumbura, peut-être par proximité des hôpitaux pouvant traiter leur cas. Le cancer du sein est le plus fréquent, suivi de celui de la prostate. Selon toujours lui, même si le cancer du sein est fréquent chez les burundaises, 80% se font soigner quand la maladie est à un stage avancé.
Il s’inquiète d’un côté du peu d’information sur le cancer au sein du staff médical, du manque criant du personnel oncologue, du manque de machine pouvant réaliser la mammographie (Le pays ne dispose que de deux machines), mais aussi du manque de ressources pour des examens de grande envergure comme la pathologie (Seul Buja path le fait en envoyant les échantillons en France, mais la période d’attente de résultats demeure trop longue car elle dure entre 1 et 3 mois), pas de radiothérapie au Burundi. D’un autre côté, les coûts des soins et les fausses croyances autour du cancer empêchent les patients de se faire soigner à temps.
Le Dr Jean de Dieu, de l’hôpital CMCK ne va pas à l’encontre de la présentation de son prédécesseur. Selon lui, le CMCK traite le cancer depuis 2020, et plus de 1000 patients ont été traité. 62% de ces patients arrivent à se faire soigner quand leur maladie a déjà atteint le stade 4. Parmi ceux-ci, 40% ont entre 50 et 70ans. 22% ont moins de 40ans.
Comme le souligne le Dr Jean de Dieu, plus ou moins 64 patients meurent au stade 4.
Selon lui, le manque de laboratoire d’analyse, du matériel suffisant sont les causes qui obligent les oncologues à transférer les patients à l’étranger. Les coûts découragent les malades, qui préfèrent se laisser mourir par faute de moyens. Mais aussi, les religions et les croyances ancestrales sont un blocage à la compréhension du danger que représente le cancer.
Quant au Dr Berchmans, venu de Kira Hospital, la capacité des hôpitaux à traiter le cancer et la capacité des patients à se faire soigner sont un réel blocage, parce que le prix est très élevé. Depuis 2020, des patients se confient à cet hôpital pour faire la mammographie. En 2020, 409 patients ont été diagnostiqués au cancer du sein. En 2021, les cas s’élevaient à 354. En 2022, 429 patients ont été traités. Et en 2023, au moins 170 patients ont été traités.
Et le bout du tunnel alors?
Entre les difficultés à reconnaître les symptômes renvoyant au cancer, les coûts des soins exorbitants et le supplice des patients zigzaguant entre différents cabinets de spécialistes sans parvenir à savoir d’où vient leur mal, y laissant tous leurs économies, l’organisation Global Refugee Aid propose quelques pistes de solutions : Créée au royaume uni par l’initiative de Madame Mireille Nkamicaniye, en collaboration avec des ressortissant de l’Afrique de l’est résidant au Royaume-Uni dans l’intention d’aider des refugiés, cette organisation propose l’amélioration systématique de l’accès à des ressources appropriées, et un service de qualité. Elle a facilité le dépistage du cancer du sein du 12 au 15 février 2024, par l’intermédiaire du centre Ikigayi.
Selon Madame Nkamicaniye, cette semaine se voulait celle de constater l’état d’avancement dans le traitement du cancer du sein au Burundi. L’étape suivante sera de créer un centre dédiée à cette maladie, avec la précision qu’il faut dans le diagnostic, et à un prix abordable. Elle proposera le renforcement des capacités du personnel médical en général, et oncologue en particulier. Des sensibilisations se feront pour informer la masse des signes alarmants qui renvoient directement au cancer. “Nous aimerions d’ici cinq ans, arriver au stade où aucun patient ne connaisse le calvaire qu’a connu Mme Agrippine, et celui des autres dont on n’a pas pu connaître la situation. Nous irons même à l’intérieur du pays. Nous voudrions réduire le taux de mortalité causé par le cancer”, souligne-t-elle.
Selon le Dr Libérât Niyoyandika, directeur du centre Ikigayi, avoir un centre de dépistage jusqu’à la prise en charge des patients équipé selon les standards internationaux sera un grand pas vers l’amélioration des conditions de santé au Burundi. L’espoir est que ce projet soit bénéfique et sauve des vies humaines, puisque l’objectif est que tous les burundais soient sensibilisés à la détection des signaux alarmants, et qu’ils aient accès à un centre de traitement bien équipé, avec un traitement adapté, à un prix abordable