En nous basant sur l’expérience des 36 établissements abritant les clubs de lecture Jimbere à travers le Burundi, il y a toujours plus de garçons qui représentent leurs classes que les filles. Pourquoi ne participent-elles pas davantage? Manque de confiance? Sont-elles «bloquées» par la domination masculine? Les choses sont-elles en train d’évoluer? Pour tenter de répondre à ces questions, reportage à Rumonge et Makamba
«Voir une fille convoiter le poste de délégué de classe ? C’est très rare!», lance d’emblée Danielle Nahayo, 15 ans, lycéenne à Rumonge en 2ème Mathématique-Statistique.Elle explique que lors des élections des représentants de classe, les jeunes filles ne se présentent pas aussi souvent que les garçons: «Ils nous manquent de respect, nous découragent, se moquent de nous… Ils nous disent que nous ne sommes pas capables d’être des leaders », enchaîne Kamikazi Nuru, conseillère en 3ème année en section des langues au Lycée Rumonge.
Olga Citegetse, vice-déléguée de la même classe, indique que la majorité des filles ont peur de prendre les devants… «En revanche, notre déléguée est une fille courageuse, déterminée, intelligente, qui tient bon malgré les préjugés», observe Bukeyeneza Régis, élève en 2ème année, section Sciences, au Lycée Saint Pierre Claver à Makamba: «Elle est un bon leader à mes yeux, elle nous inspire. Rien à voir avec le genre !»
Manque de respect
Une fille qui craint d’entrer dans une salle par peur des regards sera-t-elle capable de représenter un établissement ou une classe?
Cette question, plusieurs lycéens n’hésitent pas à la poser. Et y répondre… «Elles n’ont pas assez confiance en elles», avance Jean Kelly, étudiant en 3ème année en pédagogie: «En première année, on avait proposé à une fille d’être notre déléguée-adjoint. Elle a catégoriquement refusé au seul motif qu’elle ne se sentait pas capable d’honorer les engagements qu’implique ce poste.»
Le doyen du Lycée Rumonge, Isaac Bigirimana, 19 ans, élève en 2ème Mathématiques-Physique, n’y va pas par quatre chemins: «Certaines filles ne sont pas compétentes pour occuper ces fonctions. Simple exemple: les élèves ne vont pas faire attention à un message de la doyenne car elle parle timidement… Conséquence: ils lui manqueront de respect, se moqueront d’elle. Le leadership exige de surmonter tout cela.»
Au sein du même établissement, Arnaud n’est pas vraiment d’accord. Il nuance: «Certains garçons ne sont pas compétents non plus. Il y en a qui blaguent au moment de transmettre un message. Si un délégué commet une telle erreur, on ne saura pas le respecter non plus. Ni lui, ni son adjoint. »
De son côté, Marius Habarugira, préfet des études au Lycée Rumonge, assure qu’il donne l’opportunité à tout le monde de se faire élire: «Mais ceux qui présentent leur candidature sont toujours des garçons », observe-t-il. «On a même perdu une fille au poste de vice-délégué.»
Cette peur qui les tétanise
Frère André Nininahazwe, directeur du Lycée communal Saint Pierre Claver à Makamba, indique que l’effectif total est de 872 élèves, dont 512 filles: «La culture burundaise nous a laissés croire qu’une femme ne doit pas être un supérieur en présence des hommes. Mais aujourd’hui, les mentalités commencent à changer», fait-il remarquer. «J’ai trois classes représentées par des filles. Dans les autres classes, elles sont soit déléguées-adjoint, soit conseillères. Pendant les activités parascolaires, elles sont même plus actives que les garçons. Elles peuvent actuellement faire monter le drapeau pendant l’hymne national.»
Le directeur poursuit: «Nous continuons à les sensibiliser et à appeler les enseignants à multiplier les séances d’exposés en classe. Objectif: inciter les jeunes filles à prendre la parole en public, et extirper cette peur qui les tétanise quand elles doivent s’exprimer devant une audience.»
Pour le doyen du Lycée Rumonge, les choses sont claires: «Les garçons devraient toujours être prêts à soutenir les filles», soutient-il. Son collègue au Lycée communal Saint Pierre Claver à Makamba abonde dans le même sens: «Nous continuons à les encourager en leur donnant les exemples de femmes leaders locales, à commencer par notre gouverneure et administrateure.»
Le rôle précurseur des clubs scolaires
Anne Best Kaneza, élève de Makamba en seconde Scientifique B, ajoute qu’auparavant elle avait une peur bleue de prendre la parole en public. Mais les choses ont évolué: «Les activités parascolaires, notamment les clubs Jimbere, Unesco, Génies en Herbe nous aident à surmonter cette crainte qui nous paralyse. Chacun y partage son point de vue, selon le sujet du jour.»
Elle souligne que l’encadreur du club Jimbere, Cyriaque Sindayikengera, les motive à s’exprimer en public. Aujourd’hui, Anne Best Kaneza est déléguée de classe: «J’encourage les autres jeunes filles à oser vaincre cette peur. Prenons notre destin en mains, réalisons nos rêves!»
Le psychopédagogue Janvier Kwizera indique qu’interdire à une jeune fille de participer aux places de représentation scolaire peut affecter négativement son estime de soi et la culpabiliser, l’empêchant ainsi de développer le caractère de leadership dans le futur. Mais il y a des moments où cette situation peut la pousser à se surpasser…